Il est l’un des auteurs historiques des Guignols. Il est aussi co-scénariste de la série des OSS 117. L’humour absurde et politisé, en France, c’est lui. Fin octobre, sa série, Au service de la France, débutait sa diffusion sur Arte. Du jamais vu. Pinçant. Tapant là où les tabous républicains font mal. Et surtout, bien bien con. Comme on aime.
Nous avons donc immédiatement envoyé une série de questions à Jean-François Halin. Entre temps, la France a été frappée par la connerie sous sa forme la plus absurde : la violence. La France s’est aussi rappelée qu’elle était mère de liberté. Et les Français se sont aussi souvenu qu’user de la liberté n’était rien. En abuser était tout.
Finalement, Jean-François Halin est la bonne personne à interviewer dans cette situation, même s’il le dit : « J’aurais aimé être plus drôle, mais je suis comme tout le monde : plombé. »
D’abord, j’aimerai savoir si vous avez regardé la première diffusion de la série, si vous avez lu les commentaires sur internet ensuite, si vous avez regardé les audiences dès le lendemain. Bref, comment vous avez vécu cette sortie ?
J’ai regardé les trois soirées de diffusion. Je voulais voir la série dans la grille d’Arte. Je n’ai pas regardé les commentaires sur internet, par contre on m’a communiqué les réactions sur Twitter. On me dit que c’est important et significatif, alors je m’incline. Je n’ai aucune personnalité dans le fond.
Quant aux audiences, on me les a communiquées dès le lendemain de chaque diffusion à 9 heures. Que je le veuille ou non.
Et s’il n’y avait que ça… Il faut regarder le nombre de replays ensuite sur Arte + 7.
C’est donc du trac, du stress, de la satisfaction – de très courte durée – puis à nouveau trac, stress… Tout ça pendant deux petites semaines, après des années de travail. C’est donc assez absurde.
D’où vous vient cette obsession pour le monde des services secrets ?
C’est confidentiel.
Que ce soit OSS ou la série, il s’agit du meilleur remède à la nostalgie ambiante, au « c’était mieux avant » que tout le monde nous sert ?
C’est un peu ça. Bien que selon moi il ne s’agisse pas vraiment de nostalgie, mais plutôt de déprime, voire de dépression.
C’est une façon de montrer que ce n’était pas tellement mieux avant, ou que ce n’était pas terrible non plus. À la différence que 1960 était 15 ans après la guerre, et pour le coup c’était mieux qu’avant.
D’ailleurs, la série est la meilleure réponse à Nadine Morano non ?
C’est involontaire. Personnellement je fais peu de cas de ce qu’elle dit, ou vocifère. Ou beugle ou braille.
Ce qui fait un peu froid dans le dos c’est que les propos des trois agents réacs (Calot, Moulinier et Jacquard) devraient nous paraître dépassés, ringards, préhistoriques quasiment mais ils ne le sont pas tant que ça.
Il y a une réplique qui tombe particulièrement bien dans le dernier épisode :
« ça va durer longtemps cette petite mode de faire dire n’importe quoi au Général de Gaulle pour justifier la moindre ânerie ?! »
Vous vous attaquez à un sujet extrêmement tabou en France : son passé colonial. Vous avez eu des réactions négatives ?
Absolument aucune. C’est l’avantage de la démarche humoristique, les gags ou les répliques font passer le fond.
Concernant l’épisode sur l’indépendance africaine, nous avons eu de très bonnes réactions des trois comédiens incarnant les émissaires africains. Les trois sont Africains. Ils ont fait la part des choses et ont reconnu le discours de Patrice Lumumba devant le roi des Belges en 1960 dont nous avons utilisé des extraits.
Est-ce que vous avez pris part au casting pour la série, parce qu’il est franchement excellent ?
Dès le départ il y a la démarche salutaire d’Arte qui ne nous a pas imposé d’employer des comédiens très connus. Le directeur de casting a donc eu toute liberté pour proposer des acteurs talentueux (très talentueux) qui n’étaient pas encore identifiés à un rôle.
Le réalisateur, Alexandre Courtès, le producteur, Gilles de Verdière, et moi avons ensuite choisi en fonction des essais.
Nos comédiens ont immédiatement incarné les personnages. Pour les trois auteurs, Claire, Jean-André et moi, c’est un plaisir infini de les voir animer nos héros.
Souvent les comédies tombent dans le piège de n’être qu’une suite de sketchs. Comment évitez-vous cela ?
Si c’est le cas, je crois que c’est en grande partie grâce à nos personnages.
Une fois que nous les avons campés dans les premiers épisodes, nous les avons mis dans des situations dans lesquelles leurs personnalités pouvaient s’exprimer et leurs confrontations prendre du sens.
Ensuite nous avons voulu traiter de sujets propres à cette époque-là, qu’ils soient historiques (guerre d’Algérie, indépendances africaines…) ou de société (émancipation de la jeunesse, place de la femme…). Il y avait dès le départ une envie d’avoir du fond et des sujets.
J’aimerais connaître votre regard sur l’évolution de Canal +.
Il n’est sans doute pas très différent du vôtre… Je déplore que l’impertinence diminue ou soit appelée à diminuer. J’aime cet humour là, et s’il n’existe plus à Canal, il n’existe pas vraiment ailleurs. Où allons-nous le trouver ?
Peut-être sur Arte.
J’attends avec impatience, et un peu d’appréhension, le retour des Guignols, j’aime bien le Petit Journal même s’il est maintenant trop long.
Pour moi l’émission la plus drôle de Canal, de toute la télé française à vrai dire, c’est Importantissime, une pastille de trois minutes de, et avec, Chris Esquerre. C’est impertinent (justement), insolent, odieux.
C’est tout à fait ce qui me fait rire : ce ton pince sans rire, cette comédie qui n’est pas jouée lourdement. Pour moi, c’est très proche de The office de Ricky Gervais. Oui, je n’y vais pas de main morte…
Et pour finir, je voudrais savoir si vous n’en avez pas marre que vous dise que vous avez fait élire Chirac ?
Pas tant que ça. Et puis ça fait quelque temps qu’on ne me l’a pas dit.
À vrai dire, même si ça fait longtemps que j’en suis parti, ça ne m’embête jamais quand on me parle des Guignols. C’est un grand souvenir, quasiment insurmontable, de ma vie d’auteur.
Ceci dit, dire que les Guignols ont fait élire Jacques Chirac, c’est faire peu de cas de l’intelligence des électeurs.
Et je crois qu’ils sont largement capables de faire des conneries tout seuls.
Si Le Pen est élue en 2017, on ne pourra pas incriminer les Guignols qui seront, au mieux, en crypté. Et à pas d’heure.