Benjamin Booker fait un travail de mineur en allant creuser pour trouver des choses dont on savait qu’elles existaient mais qu’on n’avait jamais découvertes. Ce son brut sans être brutal repose sur une énergie rugueuse puisée directement dans les veines de Robert Johnson. Mais Booker pioche aussi dans le heavy rock seventies.
Il transpire le blues old school du Delta tout en domptant une énergie sauvage à la limite du punk.
A 25 ans, il paraît bien plus mature que nombre de ses contemporains. On retrouve cette maturité jusque dans les morceaux plus calmes qu’il aborde avec une simplicité désarmante. On croirait qu’il révèle alors une certaine fragilité. Il n’en est rien. Il charge simplement ses chansons avec une émotion presque enfantine. L’influence de Robert Johnson se déploie clairement dans «I Thought I Heard You Screaming». On n’a plus qu’à se laisser faire, ballottés par ce rythme lancinant à l’ancienne. Et toujours avec la voix éraillée d’un gars qui «en a vu d’autres». Le dernier morceau,
«By the evening», sonne comme un rappel des forces qui composent l’album. On commence avec un blues qui aurait pu être joué en 1924 puis la chanson glisse doucement mais sûrement vers un son plus lourd, plus massif, pour finir dans une petite apothéose puissante. En 3 minutes 50 on a deux énergies distinctes mais une seule entité cohérente. Dans «Have you seen my son», Benjamin Booker se rapproche du bon gros son heavy sans jamais s’y vautrer. C’est là une grande partie de sa force: il reste aux frontières. Il y a aussi du Chuck Berry dans son jeu, notamment avec ce riff ravageur digne de «Johnny b. Goode» au début de «Violent shiver». Ce morceau n’est pas sans me rappeler le «Secret plans» des Eagles of death metal par certains aspects, mais on est bien plus dans le décoffrage, dans l’expression spontanée.
Le rock de Booker c’est la première pression à froid, celle dont on pourra extraire des saveurs pleines de promesses, de surprises.
Et des surprises, on se dit que ce petit nouveau à l’ascension fulgurante (personne ne le connaissais il y a 3 ans) nous en réserve des pleins wagons.
C’est comme si, à peine sorti du garage où il répétait avec ses potes, on l’avait poussé en avant pour prouver au monde que le Rock n’est pas mort. Il n’est pas le premier mais son talent frais, cette énergie maîtrisée rajoute une pierre à l’édifice qu’ont bâti les Black keys, White stripes, Eagles of death metal et autres Arctic monkeys de la première heure. Et le drapeau que ces groupes ont hissé claque fièrement dans le vent de 2015. Non, non, le Rock n’est pas mort.
Le diable doit vociférer dans son coin. Car s’il a dû proposer la virtuosité à Johnson en échange de son âme, Booker peut déployer un talent indéniable sans avoir eu besoin de se séparer de la sienne.
Espérons simplement que son album suivant (s’il doit y en avoir un autre) ne sombrera pas dans des travers prétentieux qui sacrifieraient ce feu primitif sur l’autel de la suffisance.
Alors Rihana peut continuer ses déhanchements lubriques en guêpière de dentelle noire supposés masquer la nausée que provoque sa répétition à l’infini. Booba peut sortir encore des chansons dans lesquelles il explique comment baiser des «biatch» sur le capot d’une Bentley. Lady gaga peut continuer à porter des robes en steak haché pour attirer l’attention sur l’anti-événement permanent qu’elle incarne. Shaka Ponk peut encore, paré de la «légion d’honneur», vomir des albums de posture pour ados rebelles…
On s’en fout.
Un jeune mec vient juste de sortir de derrière le rideau, avec un sourire sincère au lèvres. Il ajuste
son micro, pose ses doigts sur les cordes et…….