Tim Roth : “Travailler sous l’influence du ‘female gaze’ change ma perception d’acteur”

À l’affiche de “Sundown”, le plus américain des acteurs britanniques tient le rôle principal dans le nouveau film de son ami, le réalisateur Michel Franco. Rencontre avec un flegmatique à la carrière foisonnante, entre cinéma indépendant et superproductions.

Mandatory Credit: Photo by Anthony Harvey/Shutterstock (12205570ap) Tim Roth and Vicky Krieps 'Bergman Island' photocall, 74th Cannes Film Festival, France - 12 Jul 2021

Il est 20h30 à Sydney quand Tim Roth apparaît en visio dans ce qui semble être un salon, où est accrochée au mur une grande horloge ronde. Rasé de près, il porte un pull noir, et l’on remarque immédiatement sa posture atypique, presque une signature, la tête légèrement penchée. Sa diction est douce et son attitude, flegmatique. Il est midi et demi à Paris, le soleil tape dur au-dessus des toits. Ce mercredi 13 juillet, Tim Roth, 61 ans, vient de terminer, après six semaines en terres aussies, le tournage de la série Last King of the Cross, sur l’ascension de John Ibrahim, un immigré pauvre et sans éducation, devenu le magnat le plus célèbre de la nuit, dans le quartier de Kings Cross, à Sydney.

L’acteur britannique est à l’affiche de Sundown, réalisé par le Mexicain Michel Franco. Ce dernier lui avait déjà offert le rôle principal dans Chronic, en 2015, l’histoire d’un infirmier libéral spécialisé en soins palliatifs à domicile. « Comme à chaque fois avec son travail, j’ai mes propres idées sur les personnages qu’il a écrits et mis en scène, mais je préfère ne pas les partager », explique l’acteur avec un sourire malicieux. L’antihéros qu’il incarne, Neil Bennett, est en effet un homme énigmatique et insaisissable. Taiseux, en retrait, les yeux plantés sur les branchies d’un poisson à l’agonie, il décide de rester à Acapulco dans un hôtel modeste après des vacances luxueuses avec sa famille.

« Sundown », de Michel Franco (2022).

Ad Vitam

Un an après sa présentation à la Mostra de Venise, Tim Roth n’a toujours pas vu Sundown. « Je ne regarde jamais mes films, sauf ceux que je fais avec Michel, parce que je les trouve toujours intrigants et surprenants. Et je préfère les découvrir lors d’une projection publique, au moment de la sortie », se justifie-t-il. L’Anglais entretient un lien très fort d’amitié et de travail avec le réalisateur, et ce depuis 600 Miles, de Gabriel Ripstein, qu’ils avaient coproduit ensemble. Après Chronic, Tim Roth a aussi produit Les Filles d’Avril de Franco, et tout récemment Sundown. « S’il a besoin de conseils en postproduction, il m’envoie un lien du travail en cours et je lui envoie des notes. Je ne lui ai jamais refusé mon aide. Nous sommes toujours restés en contact depuis que nous nous sommes rencontrés », explique-t-il.

Entretient-il des relations aussi fortes avec tous ses collaborateurs ? « Depuis le tournage des Huit Salopards [de Tarantino, en 2015], nous avons gardé un groupe de textos avec l’équipe et nous continuons d’échanger ! Je n’ai pas vu Quentin depuis longtemps, car nous habitons tous dans différents endroits de la planète [Tim Roth en Californie, et Quentin Tarantino, en Israël], mais nous prenons des nouvelles de temps à autre. » La carrière américaine de l’acteur britannique doit en effet beaucoup à son personnage de Mister Orange dans le sanglant Reservoir Dogs, qui avait dynamité le cinéma américain indépendant en 1992.

Trente ans plus tard, force est de constater que l’époque est moins à la fête. « Tout a changé avec l’arrivée des plateformes et la manière dont les gens ont aujourd’hui accès au divertissement. Je ne pense pas que ce soit nécessairement une mauvaise chose. Mais je suis inquiet, spécialement après le Covid, quant à l’évolution et à la survie du cinéma en salles. Tant qu’il y aura un chemin pour que les plus petits créateurs puissent exposer leurs idées, je pense que ça ira. Cependant, on peut toujours craindre que les plus puissantes structures les écrasent. C’est pourquoi les festivals sont plus importants aujourd’hui qu’ils ne l’ont jamais été », analyse-t-il.

Tim Roth dans « Chronic », de Michel Franco (2014).

Lucia Films

S’il a toujours alterné les grosses productions et le cinéma d’auteur − un bel exemple cet été avec Sundown et She-Hulk, la série Marvel dans laquelle il interprète le villain Abomination –, c’est surtout grâce au cinéma indépendant que l’acteur a pu construire, depuis quarante-cinq ans, une riche carrière. Et aussi grâce aux femmes. Il se souvient de son rôle aux côtés d’Emma Thompson dans la pièce de David Hare, Knuckle, dirigée par la réalisatrice écossaise Moira Armstrong pour la BBC. « C’était très inhabituel qu’une femme soit aux manettes ! À cette époque, il y avait pourtant beaucoup de productrices dans l’ombre. Ce sont elles qui ont permis au travail d’Alan Clarke d’exister, comme souvent à la BBC. »

Vicky Krieps et Tim Roth dans « Bergman Island » de Mia Hansen-Løve (2021).

CG Cinéma – Neue Bioskop Film – Scope Pictures – Plattform Produktion – Piano – Arte France Cinéma

Allusion au téléfilm Made in Britain, dans lequel Tim Roth, né et élevé dans le sud-est de Londres, par un père journaliste issu de la classe ouvrière et une mère prof, a explosé, après une scolarité difficile. Dans le rôle inoubliable d’un skinhead adolescent après un passage en centre de détention. « C’est le rôle qui m’a fait changer de vie, m’a poussé dans une toute nouvelle direction, alors que mon avenir était de bosser dans un supermarché », se souvient-il avec une émotion palpable. Depuis, il a notamment travaillé avec Mia Hansen-Løve dans le très délicat Bergman Island, belle et cruelle leçon d’amour, et doit prochainement tourner dans Panzi, d’une autre réalisatrice française, Marie-Hélène Roux, le rôle du chirurgien belge Guy-Bernard Cadière qui « répare » les femmes mutilées par des miliciens, en République démocratique du Congo. Puis dans Poison, de la Luxembourgeoise Désirée Nosbusch. « Travailler sous l’influence du “female gaze” change ma perception d’acteur. »

De son côté, après un premier essai plus que prometteur (The War Zone, 1999, une dramatique histoire d’inceste, lui-même ayant étant la victime de son grand-père, qui avait avant lui agressé son père), il a décidé d’abandonner ses deux projets de longs métrages : une histoire de travailleur social à New York et l’adaptation de King Lear, sur un scénario de Harold Pinter. « À chaque fois que j’y pensais, je me souvenais de ce que signifiait faire un film, la longueur du voyage et la façon très différente avec laquelle on doit, en tant que réalisateur, s’immerger entièrement dans le projet. » Il préfère ne demeurer qu’un acteur, donc. Engagé totalement dans son art.

Source : Télérama

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