Paris est morte, pour toujours

Paris n’est plus une fête. C’est terminé. Paris ressemble à un enterrement sans fin. Sans joie ni plaisir. Oui, Paris est morte à la fois artistiquement, intellectuellement et politiquement. Il ne reste plus rien de Paris si ce n’est des cendres. Paris portait déjà en elle le virus. Depuis la fin des années 70 probablement. Mais sa phase terminale s’est accélérée avec le Covid-19. Mais ce n’est pas seulement l’histoire d’une mort que j’ai envie de vous raconter, c’est l’histoire plutôt d’un meurtre.

Il est courant de dire aujourd’hui que Saint-Germain-des-Près est décédé, que le Marais a été assassiné et que Pigalle a perdu son âme. Et qu’en plus de l’hypergentrification, il est simple d’avouer que les politiques locales n’ont favorisés que les mieux lotis ces dernières décennies.

Les bars cool ont ​​été remplacés par des succursales bancaires. Les librairies ont été vidées et transformées en magasin de sacs à mains Louis Vuitton. Les ateliers d’artistes ou les cinémas d’Art et d’essai sont devenus des restaurants  ou des hôtels chics.

Dans le même temps, Facebook et Twitter ont remplacés les cafés-restaurants. Tik-Tok a remplacé les karaokés. Youtube a remplacé les théâtres. Spotify ou Deezer ont remplacé les clubs. Instagram a remplacé les galeries photo. Et Fortnite et Animal Crossing ont tout simplement remplacé la réalité.

Paris ne valorise désormais que la cupidité et la vanité. C’est en partie pourquoi nous avons les gouvernants que nous avons maintenant. C’est pourquoi les choses s’effondrent. Il est clair que la bataille de demain sera une guerre entre les nantis et les démunis. Entre les gens qui ont le pouvoir et les gens qui n’en ont pas.

Pour les uns Paris était la ville lumière, pour les autres la capitale de l’amour libre. Rien ne pouvait rivaliser avec Paris il y a encore un demi-siècle. C’était Miss Univers et a mal vieillit, elle s’est transformée en Tati Danielle, mégère et méchante, vulgaire et vénère.

Paris s’est rétractée sur elle-même, année après année, avec comme je le disais un immobilier de plus en plus cher et une atmosphère de plus en plus délétère, de jour comme de nuit.

Avant la pandémie, les touristes s’offusquaient déjà, autant de la mauvaise humeur des Parisiens, que des conséquences d’attentes exagérées, il y a d’ailleurs un parallèle à faire entre la situation à New-York et celle à Paris.

Le stress, les bruits, la pollution, le surtourisme, l’hypergentrification, les inégalités, la violence grandissante et le prix des loyers élevés, mais pas seulement. Depuis 2011, la capitale perd plus de 12.000 habitants chaque année au profit de la province. Un exode qui s’est accéléré avec le confinement. D’après une étude de « Paris Je Te Quitte » qui aide les Franciliens à s’installer en région, presque un Parisien sur deux souhaitent quitter définitivement la capitale en 2020. A New-York et Londres, l’exode a déjà commencé.

Toutes les mégalopoles sont en train de devenir des villes fantôme. Tout le monde travaille à domicile. De nombreuses entreprises comme Google ont même autorisé leurs employés à travailler l’année prochaine directement de chez eux. Paris comme Londres ou New-York ne ressemble plus à rien. Elles ne sont plus que l’ombre d’elles-mêmes.

Les employés n’iront plus ni déjeuner ni faire des « after-work ». La perte financière va être colossale. La fuite des cerveaux a déjà commencé. L’impact émotionnel et culturel commence à se faire sentir partout. Tout le monde veut tout réinitialiser et pourtant rien ne se passe. La gentrification avait déjà démoli toutes les mégalopoles, la pandémie a achevé de les détruire.

Et puis, à Paris, c’est devenu impossible d’être pauvre sans se sentir comme un moins que rien, comme un rat en cage, cerné par le manque d’argent. Alors que même que dans l’inconscient collectif, Paris comme la France était une femme. Paris était comme Marianne. Une idée. Elle était incarnée par différentes femmes. Regardez la statue de la liberté, c’est la même chose que la tour Eiffel, c’était avant tout une idée. Mais, la France comme Paris avait toujours eu cette touche particulièrement féminine en plus. Pas Berlin, pas Londres, pas Madrid, non juste Paris et aucune autre. C’était comme ça que le monde voyait Paris. Profondément féminine et poétique. Mais ça c’était avant.

D’ailleurs je n’ose aborder le sujet du sexe à Paris. Ça aussi, c’est fini. Même pendant l’Occupation allemande Paris n’était pas aussi mort. Aujourd’hui, plus de bordel, plus de clubs libertins, plus de maisons closes, plus de soirées osées, plus rien. Depuis la libération de Paris, tout n’a fait que lentement coulisser vers un politiquement correct mortifère, d’un ennui à faire mourir une nonne. Terminée la belle époque où même Paul Verlaine et Arthur Rimbaud pouvait écrire des poèmes en créant en même temps le « fist fucking ».

Comme l’a écrit récemment le philosophe Mehdi Belhaj Kacem : « A Berlin, de nombreux mondes coexistent sans se gêner; il n’y a pas de cri de ralliement. À Berlin, vous pouvez faire votre propre truc dans votre propre coin, et la solitude ne se transforme pas en désolation. Les gens se parlent, comme dans le Paris des années passées: je peux m’asseoir à n’importe quel bar ou terrasse de magasin turc et être plus ou moins certain que dans une demi-heure, j’aurai entamé une conversation avec quelqu’un, indépendamment de leur «genre» (pas de paranoïa de «ramassage»). C’est ce qu’était Paris avant 1968. C’est pourquoi il y avait les impressionnistes, Dada, les surréalistes et les situationnistes. Aujourd’hui, plus rien ne se passe, sauf par artifice. Tricky, qui a longtemps vécu à Paris et en parle désormais comme une «ville de merde», vit aujourd’hui à Kreuzberg, l’immense quartier anarcho-punk de Berlin. Il explique que parfois il s’assoit simplement à la terrasse d’un café, juste pour regarder les gens défiler: c’est une activité à part entière. Je peux le confirmer. J’ai passé un mois entier à faire exactement cela; c’est une drogue. Chaque nouveau venu vous surprend. À la vue de chacun, vous vous dites: « Ce n’est pas possible, personne ne pourrait être plus étrange que la personne qui vient de passer devant mes yeux il y a une minute. » Et puis une autre personne arrive, et vous êtes à nouveau surpris. A Paris, tout le monde est inoffensif. A Berlin, je me sens moi-même. Je me sens incarné. Berlin est la seule ville au monde où vous avez le droit d’être vous-même. Il y a quelque chose d’assez horrible, après tout, dans le conformisme du «milieu» parisien. Tout le monde suit le même signal, va voir la même chose, lit ou prétend avoir lu la même chose. Berlin est beaucoup plus libre, plus féroce, «rhizomatique» – ce que Paris devait être avant. »

Je ne peux qu’être en phase avec sa pensée et son analyse. Oui, Paris est définitivement une ville trop riche, un peu comme un vieux musée blindé mais où plus personne ne veut rentrer. Le philosophe lui dit que c’est une « ville de bourgeois et petits bourgeois crispés, paranoïaques, névrosés, perfides et médisants […] qu’il n’y a plus d’espace à Paris; tu ne peux pas respirer. Même les plus petites villes de province de France sont stressantes, névrosées, tendues, paranoïaques: médiocres. Paris n’est qu’une loupe de la médiocrité française. À Berlin, vous pouvez également échapper à la vie urbaine en un rien de temps, dans d’innombrables parcs gigantesques et somptueux. Benjamin a parlé de «faire entrer la campagne dans la ville»: le Berlin du XXIe siècle a accompli ce que Paris du XIXe siècle a simplement décrit. Quelle est la meilleure chose qui puisse arriver à Paris? Une catastrophe qui réveille cette ville de somnambules de son ennui. Une catastrophe qui détruit suffisamment pour que ses habitants commencent à se reconstruire, ou, en d’autres termes, à créer. »

De l’autre côté de l’atlantique, l’auteur James Altucher, propriétaire d’un club de comédie et ancien gestionnaire de fonds spéculatifs a lui aussi auto-publié un essai au vitriol (depuis il a reçu plusieurs menaces de mort à cause de son texte), en commençant par dire : « J’adore NYC. Quand j’ai déménagé à New York, c’était un rêve devenu réalité. Chaque coin était comme une production théâtrale se déroulant juste devant moi. Tant de personnalités, tant d’histoires. Chaque sous-culture que j’aimais était à New York. Je pouvais jouer aux échecs jour et nuit. Je pourrais aller dans des clubs de comédie. Je pourrais démarrer n’importe quel type d’entreprise. Je pourrais rencontrer des gens. J’avais de la famille, des amis, des opportunités. Peu importe ce qui m’est arrivé, NYC était un filet sur lequel je pouvais me rabattre et rebondir. Maintenant, il est complètement mort. «Mais NYC rebondit toujours.» Non pas cette fois. « Mais NYC est le centre de l’univers financier. Les opportunités s’épanouiront à nouveau ici. » Pas cette fois. »

En réponse à son billet d’humeur, le comédien multimillionnaire Jerry Seinfeld qui possède autant de Porsche que de Ferrari, pense comme Vanessa Friedman du New-York Times, qu’au contraire tout va bien, dans le meilleur des mondes. Ils sont riches, ils sont blancs et vivent avec autant de privilèges que les hauts responsables du parti communiste chinois, donc forcement ils sont dans le déni, remplis d’illusions, ils se défendent comme ils peuvent, pour pouvoir dormir encore quelques nuits sans anxiolytiques. En fait, ils ont quitté Paris, New-York ou Londres depuis des mois mais, sans être en ville, dans le réel, pensant détenir la vérité du futur.

Désolé mes petit(e)s marquis(e)s, mais votre amour de New-York ou de Paris ne changera pas les faits sur la crise historique que ces villes traversent. Plus personne ne veut regarder la réalité en face. L’immobilier a d’ores et déjà perdu la moitié de sa valeur à New-York, et à Londres l’État vous offre 50% de la note de votre restaurant. Il est temps d’ouvrir les yeux, au moins en France. Paris n’est pas LVMH. Paris n’est pas Kering. Paris n’est pas un sac à main ou un centre commercial à défendre. Il serait temps de prendre conscience de l’urgence. Et de prendre rdv avec ceux qui détiennent réellement les clefs de la ville. Bernard Arnault, Xavier Niel, François Pinault & co, conservez un trou dans votre emploi du temps de rentrée, les parisiennes et parisiens arrivent, ils ont besoin de faire un double de vos clefs.

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