Il y a plus de trois ans, nous étions les premiers à publier la stratégie de Bernard Arnault pour prendre le pouvoir sur Beverly Hills, cet article avait fait enrager les équipes du groupe LVMH, bien plus étrangement que celui où nous donnions les plans de Bernard Arnault à l’horizon 2040. Trois ans plus tard, c’est au tour du journaliste Benjamin Cuq de lister ce que Bernard Arnault a acheté à Paris. Quand vous additionnez l’ensemble, ça donne le tournis. Au moins vous savez maintenant, mathématiquement, qui sera le maître incontesté de vos enfants.
Un jeu de riche ? Dans les rues de Paris, Bernard Arnault semble se livrer à une partie de Monopoly grandeur nature. L’entrepreneur et président de LVMH investit en effet dans (presque) tous les arrondissements parisiens. Et il commence par la plus célèbre artère : les Champs-Elysées. Un constat s’impose, «la plus belle avenue du monde» ne l’est plus… Les enseignes cheap de fast-food et de fast fashion occupent depuis trop longtemps le trottoir de droite (côté soleil) des «Champs». Les cinémas Gaumont et les grandes marques automobiles (Peugeot, Citroën ou Mercedes) ont toutes abandonné ce côté-là.
Historiquement présent avec des marques d’accessoires et de parfum (Tiffany & Co., Sephora, Guerlain et Tag Heuer), le groupe LVMH voit désormais plus grand pour la prestigieuse voie. Son arme secrète ? Les excellentes relations que le numéro 1 mondial du luxe entretient avec la mairie de Paris, grâce à son secrétaire général depuis vingt ans, Marc-Antoine Jamet. Egalement directeur immobilier du groupe de Bernard Arnault depuis bientôt dix ans, cet énarque normand d’adoption est, sur son temps libre, conseiller départemental de l’Eure et maire de Val-de-Reuil, sous l’étiquette PS. Occupant actuellement la fonction honorifique de président du Comité des Champs-Elysées, il bénéficie donc d’une oreille attentive d’Anne Hidalgo, l’édile parisienne. C’est ainsi qu’il a pu convaincre la municipalité en place du bien-fondé du projet de Bernard Arnault.
Dans la continuité de l’emblématique flagship Louis Vuitton, qui occupe tout un immeuble à l’angle de l’avenue George-V, l’homme d’affaires va ouvrir une immense boutique Christian Dior au 103, avenue des Champs-Elysées. «Elle a été un peu retardée pour cause de Covid-19 et de volonté de perfection. Mais elle devrait ouvrir ce mois de février. En cours de rénovation, la boutique historique de l’avenue Montaigne suivra plus tard dans l’année», commente-t-on du côté de LVMH. Pour Bernard Arnault, ces boutiques sont un défi : rendre à Paris son lustre et en particulier sur la portion haute de l’avenue. En face de Louis Vuitton et de la future vitrine de Dior, le groupe a déjà installé à la place de l’ancienne concession Peugeot une succursale de son joaillier Bulgari. Objectif avoué : que les Champs-Elysées soient à la hauteur de leur prestige pour les JO de 2024.
Non loin des Champs, il y a le bois de Boulogne. Au cœur du très chic XVIe arrondissement, Bernard Arnault ne s’est pas limité à la Fondation Louis Vuitton. Le grand public l’ignore, mais en contrepartie d’avoir pu faire construire son bâtiment par Frank Gehry (pour un coût total qui avoisinerait les 760 millions d’euros), le groupe LVMH a entièrement rénové le Jardin d’acclimatation. Géré avec la Compagnie des Alpes (filiale de la Caisse des dépôts qui gère aussi le Parc Astérix et le Futuroscope), le parc de loisir parisien a bénéficié de 60 millions d’euros d’investissement avant sa réouverture au printemps 2018. Il a aussi dû conserver des tarifs populaires : à partir de 3,2 euros l’entrée et 3,5 euros l’attraction à l’unité… On est loin des prix pratiqués à Disneyland Paris.
Dans le prolongement de ces deux bâtiments où la rentabilité n’est pas la priorité, l’année 2022 devrait voir l’ouverture de la Maison LVMH – Arts-Talents-Patrimoine. Situé dans l’ancien bâtiment du musée des Arts et Traditions populaires, cet établissement rendra hommage à tous les savoir-faire artisanaux et à tous les métiers d’art préservés par le groupe. Coût de l’édifice : environ 150 millions d’euros.
Mais la partie de Monopoly de Bernard Arnault ne se limite pas aux Champs-Elysées. Non loin de ceux-ci, au 30, avenue George-V, il a ouvert ce 2 décembre 2021 le quatrième palace de l’artère : l’hôtel Bulgari Paris. Après Milan, Londres, Dubaï, Bali, Pékin et Shanghaï, la capitale accueille un cinq-étoiles à l’accent italien avec un restaurant tenu par le chef trois étoiles Michelin, Niko Romito. Cette offensive dans l’hôtellerie de luxe est concomitante à celle opérée par la transformation de la Samaritaine, avec l’inauguration en septembre dernier de l’hôtel Cheval Blanc Paris, face au pont Neuf. Une opération qui a elle aussi été rendue possible grâce aux bonnes relations entre LVMH et la municipalité.
Si son groupe était déjà présent au cœur du Ier arrondissement avec le siège de Louis Vuitton, Bernard Arnault a pu édifier son l’hôtel, ses restaurants et rouvrir le magasin de la Samaritaine en signant avec la municipalité la construction dans l’enceinte du bâtiment de 96 logements sociaux, dont les loyers vont de 430 euros pour un studio à 929 euros pour un quatre-pièces. Cet accord gagnant-gagnant montre que l’empereur du luxe est aussi un stratège.
Autre symbole du luxe parisien logiquement investi par Bernard Arnault : la place Vendôme. Les marques de son groupe y sont omniprésentes. A l’exception du joaillier Fred qui a cédé son bail à Grand Seiko et s’est déplacé 14, rue de la Paix (à 50 mètres), une boutique sur deux de la place affiche l’enseigne d’une des maisons de LVMH. Louis Vuitton est installé au 4. Les joailleries Repossi et Dior sont respectivement au 6 et au 8. L’horloger Hublot a son flagship au 10. Il est voisin du joaillier Chaumet, au 12. Quant à Bulgari, il est au 21.
Sans être aussi touristique, la rive gauche n’est pas pour autant abandonnée par Bernard Arnault, déjà propriétaire du Bon Marché. A deux pas de Saint-Germain-des-Prés, il vient d’installer les bureaux de Moët Hennessy au-dessus de La Grande Epicerie de Paris. Le studio Barbarito Bancel Architectes (Ivana Barbarito et Benjamin Bancel) a transformé en bureaux flambant neufs et labellisés HQE (haute qualité environnementale) cinq étages à architecture Eiffel en véritable oasis de verdure au milieu du béton parisien. Au sommet du bâtiment : un rooftop exceptionnel qui offre une vue inédite de Paris pour les chanceux qui y ont accès.
Toujours rive gauche mais dans un quartier plus populaire (le XIIIe arrondissement), Bernard Arnault a installé La Maison des start-up. Pas moins de 130 jeunes pousses en lien avec le luxe, la distribution ou la mode ont posé leurs valises dans l’ancienne halle Freyssinet, où Xavier Niel (patron de Free et gendre de Bernard Arnault, NDLR) a imaginé et créé la Station F, important incubateur de start-up.
Dans l’immense partie de Monopoly auquel se livre Bernard Arnault, n’oublions pas les gares parisiennes. Hormis la gare d’Austerlitz, toutes disposent d’un Sephora, l’enseigne beauté de LVMH. En outre, la gare de l’Est est le point de passage obligé du Venise Simplon Orient-Express, le train de luxe de la compagnie de tourisme Belmond rachetée au printemps 2019 par le groupe de luxe.
Quant à«La caisse de communauté» (cartes du Monopoly), Bernard Arnault y participe grandement. Outre les 200 millions versés pour la reconstruction de Notre-Dame, il a inauguré en septembre dernier le premier affichage publicitaire couvrant l’église de la Madeleine, avec une immense bâche pour Louis Vuitton. «La restauration concerne toute la façade que l’on voit de la rue Royale : le grand escalier monumental, l’ensemble des 16 colonnes corinthiennes jusqu’à la porte d’entrée, le «pronaos» (vestibule)», explique à l’AFP Karen Taïeb, adjointe à la maire socialiste chargée du patrimoine et des relations avec les cultes. Au total, la rénovation devrait courir jusqu’en 2023 et coûter 10 millions d’euros. Mais sur cette somme, 8 millions seront financés par des publicités, dont une bonne partie sûrement pour des marques de LVMH.