Il a une gueule à poser pour du parfum italien. Un discours à mettre le feu à la société. Et 20 ans de kung-fu à mettre une branlée à Jackie Chan.
Mais Vincent Cespedes est surtout l’un des seuls penseurs actuels à ne pas s’attacher à hier pour marcher vers demain. Enthousiaste du changement. Les deux pieds dans la réalité. Le philosophe est l’auteur d’un texte simple mais efficace sur la jeunesse. Et ce qui est rare… non… unique puisque Vincent Cespedes ne se dit pas jeune pour autant. De la pensée sans ego. Une respiration et une inspiration.
Le titre du livre n’est pas une injonction comme c’est la mode.
Je m’adresse aux plus de 30 ans d’abord. Même si je parle de la jeunesse. Mon idée, c’est toujours d’appréhender la philosophie à travers le conflit de générations. C’est un conflit qui est de plus en plus présent. Il y a un véritable hold-up du pouvoir sur le potentiel de la jeunesse.
Cette idée de la jeunesse sacrifiée, elle a 3.000 ans.
Le paradigme a totalement changé parce que les jeunes sont de plus en plusinstruits, plus informés que les plus vieux. Ils ont un savoir-faire que les profs n’ont pas. Les jeunes en rang d’oignons devant l’adulte détenteur du savoir, les jeunes n’y croient plus. Et les profs n’ont plus d’ailleurs. Pour chaque cours, la question est : est-ce que j’apprends plus ici en écoutant une heure qu’en dix minutes sur internet ? Si la réponse est non, il y a conflit.
La jeunesse a une intelligence que j’appelle « connective », en opposition à l’intelligence collective, comme les syndicats, des générations précédentes.
Jamais la jeunesse n’a été aussi active, aussi créatrice, écrivante. Jamais la jeunesse n’a donne autant d’importance à la transmission immatérielle.
Comment créer un pouvoir qui concilie le souffle de la jeunesse et l’expérience de l’âge ?
La jeunesse fait excessivement peur aux plus de 30 ans. Il y a un souffle de ringardise énorme. Et ce, simplement par leur présence, ce n’est pas un complot de la jeunesse. Nous sommes en crise parce qu’on refuse de se brancher sur cette jeunesse.
Les baby boomers avec leurs idéologies ratées ont trusté le pouvoir à une génération nihiliste. Quand ils prendront leur retraite, le pouvoir va sauter une génération. Les milleniums qui agissent sans idéologies, mais qui agissent, vont prendre le pouvoir.
Oui. Tout à fait. C’est une génération qui agit. Ils sont dans ce que j’appelle l’illaboration, à l’inverse de l’élaboration. Ils avancent. Le maître-mot, c’est d’être branché sur nos énergies. On va vers un taoïsme. La logique du « faire ». C’est une idéologie que la politique actuelle refuse.
On a vu des économistes et des philosophes prendre la parole place de la République. Ce sont des icônes de l’ancien monde. La jeunesse n’a pas conscience de sa propre force ?
Il y a une grande naïveté chez eux pour ce qui est de la récupération. J’y suis allé hier. J’ai fait de nombreuses vidéos qu’on peut voir sur ma page Facebook. Ils sont pris dans une vague. Ils sont « shootés » à la démocratine. Ils sont sidérés de leur propre mise en avant. Je pense que le mouvement ne s’essoufflera pas, parce qu’il est connecté. Ils sont dans le collectif et le connectif.
Même si cela s’arrêtait matériellement, il y a une traînée de poudre sur internet. Et puis, ils sont obsédés par 2017. Ils ne veulent pas être obligés de voter contre le FN. Alors ils veulent peser dans la balance. La loi El Khomri n’est qu’un prétexte. Personne ne m’en a parlé sur place. Ils sont conscients d’être le vrai peuple et jouissent d’être un peuple qui se rencontre lui-même.
Place de la République, c’est très bigarré. Ce n’est pas un truc de « bobo blanc ». Il y a de tout. Des clochards et des avocats.
Ce qui ressort de leurs discours, c’est une convergence entre une crise psychologique personnelle, une recherche de bien-être, et l’idée que la politique peut résoudre ce souci.
Place de la République, ils ont créé un jardin, une librairie ambulante. C’est très concret. C’est un réveil à soi-même et un réveil aux autres.
Le mouvement prendra vraiment quand ils en trouveront la philosophie.
Quand la poésie va épouser la politique, la philosophie naîtra.
Mais pour trouver une philosophie, il faut des penseurs et donc des leaders, des portes-paroles. Est-ce que ce n’est pas incompatible avec l’horizontalité du mouvement ?
Il y a des penseurs sur place. Ils les écoutent, mais ils ne veulent pas savoir ce qu’ils doivent faire. Ils veulent juste partager leur « shoot de démocratine » avec eux.
On en est au stade des idées pragmatiques pour le moment. Ils cherchent les penseurs de leur époque. Leurs Bourdieu ou leurs Sartre. Pour sortir du pragmatisme. Des gens comme Albert Jacquard ou Edgar Morin.
Ce mouvement répond concrètement à cette vieille question : à quoi sert la philosophie ?
Je plaide pour une philosophie dans la rue. Pour l’instant, Nuit débout est très concret. Ils cherchaient à débloquer les toilettes publiques. Ils prennent des conseils concrets auprès des anciens. C’était impensable en 68. Aujourd’hui, ils parlent à tout le monde.
J’ai vu des étudiants avec des pancartes « je suis philosophe, si vous avez des questions » ou « je suis économiste ». Pour débloquer la parole, c’est génial !
Mais concrètement, qu’apporte la philo ?
Elle permet de repenser la société de fond en comble. Qu’est-ce que peut être le monde de demain ? Et puis, la philo sert à frapper la superstructure.
Pour les philosophes, frapper la superstructure, ça va de soi. Mais les jeunes sont encore soumis. Dès qu’ils vont comprendre …
Il faut d’abord le rêve général, ensuite la grève générale.
Il manque des artistes au mouvement. Mais ils vont venir.
S’ils n’ont pas théorisé leur mouvement, c’est qu’il est né d’une compréhension très instinctive ?
Oui. Parce qu’ils galèrent ou connaissent quelqu’un qui galère. Il y a un maillage très serré de la souffrance. Par exemple, si tu écoutes les paroles de rap aujourd’hui, elles racontent que les vrais héros sont les types qui se lèvent à 5 heures du matin pour bosser.
Ces jeunes savent qu’ils sont très sollicités, très demandés. Par les marchands, par les djihadistes, par le FN… Ils sentent qu’ils ont un pouvoir. Ils sont comme une jeune fille de 15 ans qui n’a pas conscience de sa beauté, alors qu’elle a un corps de bombe.
Comment jugez-vous le mandat de François Hollande qui avait mis la jeunesse au cœur de sa campagne ?
Je pense qu’il est sincère. Il m’a écrit en 2013 quand j’ai sorti L’Ambition ou l’épopée de soi (Flammarion). Il trouvait que l’ambition était un terme à réhabiliter. Il est sincère à mon avis, mais il est enfermé dans une technocratie politique. Il est enfermé aussi dans un logiciel philosophique de gauche très pauvre. D’une grande tristesse. On a qui à gauche comme philosophe ? Alain Badiou ? Un maoïste de première. Frédéric Lordon, j’aime bien, mais il ne bousculera pas la grande structure, remettre en cause le couple, la base…
L’absence d’idéologie à gauche comme à droite, ça commence à faire quelques temps déjà non ?
La droite ne pense pas. C’est ce que disait Simone de Beauvoir déjà. La droite, c’est l’amour des choses et des mécanismes. Il n’y a pas de productions nouvelles.
Regardez le clip de Macron, il y a tout ce qu’est la droite. Il a fait une publicité. On est dans un foutage de gueule décomplexé. Et ça, les jeunes n’en peuvent plus. De toute façon, des têtes vont tomber.
Ils ne pourront pas s’intégrer aux institutions actuelles ?
Ce qui ressort le plus, c’est une énorme générosité. Un truc fou, par exemple, à chaque fois que quelqu’un prend la parole au micro, il y a quelqu’un à côté qui traduit en langage des signes. Rien que ça, c’est fou. Ils le font naturellement.
Il y a une soif d’altérité.
Cette générosité, cette ouverture aux autres. C’est l’opposé du discours qu’on entend habituellement sur une jeunesse autocentrée.
Oui. C’est dire si l’incompréhension est totale. C’est mai 68 à l’époque d’internet. Il faut se dire que chaque personne présente, c’est tout son réseau Facebook qui est présent aussi. On peut nettoyer la place de la République, mais on ne peut pas faire disparaître le mouvement.