Ça fait plus d’un an qu’on nous fatigue avec l’arrivée de Studio +. C’est l’avenir. C’est le futur de la télévision. Tout va se jouer là. Ça vient enfin de sortir. Et comme on était curieux d’entrevoir ce que sera le monde des séries de demain, on a demandé à notre plus jeune contributrice de passer le week-end sur son téléphone et de décrypter pour nous ce qu’elle a vu dans les tréfonds de cette nouvelle application.
Comme tous les médias servent la soupe en nous expliquant que Studio + va tout révolutionner mais que personne jamais ne parle de ce qui fait cette marque, à savoir les contenus, notre jeune collaboratrice a décidé de tout regarder, d’un trait. Selon elle, les effets secondaires ont été pires qu’après une nuit sous MDMA. Debrief donc ici et maintenant du « futur » de la télévision.
Tout devait être nouveau. Pour tout le monde. Pour les producteurs, pour les auteurs et pour les réalisateurs. Nouveaux contenus, nouveaux formats, nouvelles formes d’écriture scénaristique.
Nouveau diffuseur, nouvelle application mobile, nouvelle marque.
Et surtout nouvelle façon de produire. Alors on a pensé un temps, « tiens et si la liberté éditoriale de demain passait par les séries digitales ? » Et puis on a téléchargé Studio +.
Où l’on a très vite navigué entre telenovelas de la fin du XXe siècle et soap opera généralement diffusés très tard la nuit ou très tôt le matin sur des chaînes obscures de la TNT. Loin donc, au premier coup d’œil, de la révolution annoncée.
Quand on lit le communiqué de presse, 35 millions d’euros ont été déployés pour se retrouver à s’ennuyer au bout de soixante secondes. Parfois, dans la production contemporaine, on n’arrive pas à comprendre où va l’argent. Ou tout du moins comment est-il dépensé ?
On se retrouve donc face à une ligne éditoriale floue. Brouillonne. Alors même que ça à l’air de s’adresser à notre génération de vingtenaires. Personnellement je trouve beaucoup mieux sur Vimeo. Ou tout ou presque est gratuit. C’est bien français en même temps d’avoir l’arrogance et la suffisance de se confronter à Vimeo, Youtube et Netflix en même temps.
Mais tout ça n’est rien par rapport à la vraie arnaque contenue dans cette nouvelle application. Les doublages. Totalement hallucinant. Plusieurs séries tournées en Espagnol puis doublées en Français ressemblent à nos souvenirs d’enfance lorsqu’on était malade la semaine et qu’on pouvait zapper à outrance entre 10h et 17h. Il n’y avait rien à regarder. Tout les doublages en français étaient affreux mais on était au chaud loin des cours de physique-chimie. Donc Studio + c’est un peu une madeleine de Proust. Un vieux souvenir du siècle dernier. Avec parfois un arrière goût d’aspirine.
Il y a bien les productions de Rockzeline et de Save Ferris qui sauvent un peu l’affaire.
Les amateurs de genre trouveront peut-être un intérêt à la série T.A.N.K. (si ils sont sans connexion dans le désert, loin de Netflix et de Youtube) qui raconte l’histoire d’un évadé dans une ambiance de road-movie ou la série Kill Skills, qui raconte la rencontre de deux tueurs à gages.
Pour ce qui est de la série Surf Therapy (les visuels de présentation pouvaient paraitre alléchants) c’est en réalité un « auto-coup-de-pute » du diffuseur. Le nom était pourtant bon mais la mise en scène fait peine à voir et encore une fois les doublages donnent envie de se balancer par la fenêtre. Il y a aussi la série Urban Jungle que les adolescents nouvelle génération vont regarder de haut tellement c’est ennuyeux. A se demander si les dirigeants ont vraiment regardé les séries qu’ils diffusent…
On ose pas vraiment vous présenter non plus la série La Revanche des Moches et Romantic Encounters qui m’a fait mal aux yeux et aux oreilles, alors, ne vous forcez même pas à essayer, autant regarder son plafond pendant une heure, la seule question qui est venue en regardant ces deux séries a été, « mais comment peut-on financer et diffuser ça en 2017 ? »
Mais la palme d’or des séries digitales revient peut-être à Farmed and Dangerous, où le pitch se suffit à lui-même : « Un agriculteur sans scrupule nourrit son bétail à base de pétrole. Petit problème : les vaches explosent. » Le spectateur aussi, croyez-moi !
Passé ces 15 mini-séries, l’application est vide. Vide de sens. Vide de contenus satellitaires. Aucune plus-value éditoriale aucun contenu supplémentaire autour des séries, assez mal vendues par le diffuseur. Face à des Stranger Things, Westworld et autre Game of Thrones, comment lancer sur un mur virtuel autant d’argent sans s’assurer de la promotion en amont ?
L’idée de mettre en lumière la convergence média-télécom est une excellente idée mais faut-il encore savoir créer une réelle architecture des contenus. Pour ne pas finir par diffuser en France des telenovelas espagnol à un public qui attend plutôt des superproductions en anglais. C’est le problème d’avoir distribué les contenus en premier lieu au Brésil, en Argentine, au Mexique, en Uruguay et en Equateur. Encore une fois la convergence c’est bien, mais l’Uruguayen de 16 ans n’a pas forcement envie de voir la même chose que le français ou l’allemand du même âge.
On ne comprend donc toujours pas bien le concept. Des purs produits télé destinés aux millenials directement pour leur téléphone portable ? Alors que rien n’est réellement adapté au mobile ? A quoi bon parler de révolution si c’est pour se retrouver avec des contenus télé sur un écran cent fois plus petit…que sa télé ? Vraiment on ne comprend pas. Si au moins il y avait eu un brin de créativité. De prise de risque. Mais non rien. Pas une série filmée avec un téléphone portable par exemple. Pas un plan réellement adapté à ce nouveau médium. Un vrai mystère.
On entend d’ici les réunions résonner chez Vivendi, « nous aussi on veut faire rêver la jeunesse même si on va bientôt fêter nos 60 ans… » Pour l’instant c’était plus épuisant émotionnellement de regarder en entier les 15 premières séries courtes de Studio + que de se taper les 35 heures de direct de Cyril Hanouna. Tout ça est produit dans le même groupe de toute façon. Dirigé par le même homme. Et c’est bien le seul lien logique qu’on trouve chez Vivendi. De Cyril Hanouna à Studio +, le fil rouge c’est le contentement de soi-même.