C’est certainement un mélange entre le cynisme de notre époque et les désillusions des plans com’, mais nous sommes toujours sceptique devant l’engagement des stars (ou people, si vous voulez être péjoratifs) pour des grandes causes. Mais Emma Watson vient de faire voler ces doutes en éclats. Nommée ambassadrice pour l’ONU Femme en juillet dernier, deux mois après avoir obtenu son diplôme de littérature anglaise à l’université de Brown, elle a donné mercredi 17 septembre, un discours devant un aréopage onusien pour son programme He for She.
Loin des discours vindicatifs qui fatiguent hommes et femmes du 21ème siècles, l’actrice britannique a tout simplement donné l’un des discours les plus mesuré, les plus intelligents et les plus émouvants de ces dernières années. Et surtout, une représentation tellement exacte d’une génération qui souffre autant dans ses ovaires que dans ses testicules des attentes écrasantes des stéréotypes de genres.
Pour les moins anglophones d’entre vous, une traduction sous la vidéo.
« Nous lançons aujourd’hui une campagne appelée He for She. Je me présente devant vous parce que nous avons besoin de votre aide. Nous voulons mettre fin à l’inégalité entre sexes et pour cela, nous avons besoin de chacun. Il s’agit d’une première à l’ONU. Nous voulons impliquer autant d’hommes et de garçons possible pour qu’ils deviennent à leur tour les acteurs de ce changement et que notre campagne ne soit pas que des paroles. Nous voulons essayer et rendre tout cela tangible.
J’ai été désignée ambassadrice de bonne volonté pour l’ONU Femmes, il y a six mois et plus je parle de féminisme, plus je réalise que se battre pour les droits des femmes est trop souvent synonyme de haine des hommes. S’il y a une chose que je sais pour sûre, c’est que cela doit cesser.
Sachez que, le féminisme, par définition, est la volonté que les hommes et les femmes soient égaux en droits et en opportunités. Il s’agit de la théorie politique, économique et sociale de l’égalité des genres. J’ai commencé à m’interroger sur les idées préconçues sur les sexes il y a longtemps.
À 8 ans, j’étais déroutée d’être appelée « petit chef » parce que je voulais diriger les pièces que l’on montait pour nos parents. Alors que les garçons n’avaient pas ce surnom. Quand à 14 ans, j’ai commencé à être sexualisée par certains médias, quand à 15 ans, mes copines ont commencé à toutes abandonner leur sports d’équipes adorées parce qu’elles ne voulaient pas avoir l’air trop musclée, quand à 18 ans, mes amis garçons étaient incapables d’exprimer leur sentiments, j’ai décidé que j’étais féministe. Et cela me paraît tellement simple. Mais j’ai réalisé dans mes recherches que le féminisme était devenu un mot impopulaire.
Les femmes décident aujourd’hui de ne plus être identifiée comme féministe. Apparemment, je fais partie des femmes qui sont perçues comme trop forte, trop agressive, isolée et anti-homme, et même peu séduisante. Pourquoi ce mot est-il devenu aussi inconfortable ?
Je viens de Grande Bretagne et il me semble normal que je sois payée autant que mes collègues masculins. Il me semble normal que je puisse prendre mes propres décisions concernant mon corps, je pense que c’est normal que les femmes sont impliquées, en mon nom, dans les politiques et les décisions qui impactent ma vie. Je pense que c’est normal que l’on m’accorde, socialement, le même respect qu’aux hommes.
Mais malheureusement, je peux affirmer qu’aucun pays au monde ne peut assurer ces droits aux femmes. Aucun pays au monde ne peut aujourd’hui affirmer qu’il a atteint l’égalité des sexes. Ces droits, je les considère comme des droits de l’homme, mais je fais partie des privilégiées, ma vie est un pur privilège parce que mes parents ne m’aimaient pas moins parce que j’étais une fille. Mon école ne m’a pas limitée parce que j’étais une fille. Mes mentors n’ont pas pensé que j’irai moins loin parce que je donnerai vie à un enfant un jour. Ces personnes d’influences sont les vraies ambassadeurs de l’égalité des sexes.
Ils ne le savent peut-être pas, mais ils sont ceux qui changent le monde chaque jour. Nous avons besoin de plus de gens comme eux et si vous détestez toujours le mot féminisme, ce n’est pas le mot qui est important. C’est l’idée et l’ambition qu’il sous-tend. Parce que toutes les femmes n’ont pas reçu les mêmes droits que moi. En fait, statistiquement, une infime minorité les a reçus.
En 1997, Hillary Clinton a fait un discours resté célèbre à Pékin au sujet des droits des femmes. Malheureusement, la plupart des choses qu’elle voulait changer alors, sont toujours d’actualité. Mais ce qui m’a le plus marqué, c’est que moins de 30% de l’audience était masculine. Comment pouvons nous changer le monde quand seulement la moitié du monde est invitée ou se sent la bienvenue dans les débats ?
Messieurs, j’aimerai profiter de l’opportunité qui m’est offerte pour réaffirmer votre invitation officielle. L’égalité des sexes est votre problème aussi. Parce que j’ai vu le rôle de mon père en tant que parent être moins valorisé par la société bien que sa présence me soit indispensable, en tant qu’enfant, autant que celle de ma mère. J’ai vu de jeunes hommes souffrir de dépressions, incapables de demander de l’aide, de peur d’en être moins des hommes. En fait, au Royaume-Uni, le suicide est le plus grand meurtrier d’hommes entre 20 et 49 ans, devant les accidents de la route, le cancer et les maladies coronariennes. J’ai vu des hommes vivre dans la peur et l’insécurité à cause des attentes concernant le succès masculin. Les hommes n’ont pas les bénéfices de l’égalité non plus.
Personne n’ose parler des hommes bloqués par le stéréotypes de genre, mais ils le sont. Quand ils en seront libérés, les choses changeront naturellement pour les femmes. Si les hommes n’ont plus à être agressifs, les femmes n’auront plus à être obéissantes. Si les hommes n’ont plus à contrôler, les femmes n’ont plus à être contrôlées.
Il est temps que nous réalisions tous que le genre est un spectre et non pas deux idéaux opposés. Nous devons arrêter de nous définir les uns, les autres, par ce que nous ne sommes pas et que nous commencions à nous définir par ce que nous sommes. Nous pouvons tous être plus libres et c’est ce pour quoi He for She se bat. Pour la liberté. Je veux que les hommes prennent cette responsabilité pour que leurs filles, leurs sœurs, leurs mères soient libérées des préjudices et que leurs fils aient le droit d’être vulnérables et humain, et ce faisant, qu’ils soient une version plus vraie et plus complète d’eux-mêmes.
Vous vous demandez peut-être «qui est cette fille d’Harry Potter ? Que fait-elle à l’ONU ? » et c’est une très bonne question. Je me la suis posée aussi. Tout ce que je sais, c’est que se problème me touche et que je veux améliorer les choses. En ayant vu ce que j’ai vu et avec les opportunités qui ont été les miennes, je me sens le devoir de prendre la parole. Le politicien Edmund Burke a dit « tout ce dont le mal a besoin pour triompher, c’est que les gens de bien ne fassent rien ».
Dans le stress de ce discours et mes moments de doutes, je me suis dit fermement : si ce n’est pas moi, alors qui ?Si ce n’est pas maintenant, alors quand ?
Si vous avez des doutes similaires quand des opportunités s’offrent vous, j’espère que ces mots vous aideront parce que la réalité c’est que si nous ne faisons rien, il faudra 75 ans ou peut-être même 100 selon moi, pour que les femmes puissent espérer être payées autant que les hommes à travail équivalent. 15,5 millions de filles seront mariées dans les 16 prochaines années, alors qu’elles ne sont que des enfants et au rythme actuel, les Africaines n’auront pas accès à un enseignement secondaire en zone rurale, avant 2086.
Si vous croyez dans l’égalité, vous pouvez être l’un de ses féministes du quotidien dont je vous parlais et pour cela, je vous applaudie. Nous nous battons pour un monde uni, mais la bonne nouvelle, c’est que nous avons un mouvement uni. Il s’appelle He for She. Je vous invite à vous avancer pour être vu et à vous demander : Si ce n’est pas moi, alors ? Si ce n’est pas maintenant, alors quand ?
Merci beaucoup. »