On pensait que la France n’avait plus 10 ans de retard sur les États-Unis. Pourtant le nouveau roman de Jonathan Dee (La fabrique des illusions) sortie aux États-Unis en 2002, nous arrive tout juste dans les mains avec une petite décennie de retard. L’important me direz-vous c’est que le trésor finisse par être découvert. Et trésor il y a dans ce roman aux idées plus subtiles les unes que les autres. C’est simple, les clefs de l’avenir publicitaire sont dans ce livre. Sous forme d’exercice intellectuel, l’auteur s’amuse à dévoiler les coulisses d’un monde qui ne communique jamais sur lui même.
Comment d’ailleurs faire confiance à une agence de publicité qui ne nous montre pas ce qu’elle a dans le centre du ventre ? A savoir sa philosophie, ses créatifs, ses visions, etc. Au fond, sa seule valeur existe grâce à une poignée de professionnels de l’imagination sans qui rien ne serait possible dans cette industrie.
C’est ce qu’explique l’écrivain à travers un personnage hors du commun qui propose de transformer la publicité en art. En plus du décryptage et de l’analyse, il dévoile les fondations de ses moyens d’action. En provocateur libre, il prophétise l’avenir bien mieux qu’un expert ou qu’un universitaire. Normal, c’est un romancier.
Qui a crée un immense gourou de la communication dépassant largement toutes les extravagances dialectiques et créatives de Don Draper.
Jonathan Dee pourrait d’ailleurs aujourd’hui contribuer à l’écriture de la série Mad Men. Il en a la force, le talent et l’insolence.
Pour preuves, extrait de ses meilleures fulgurances.
« Nous sommes ici pour faire de l’art. Nous le ferons dans un décor communautaire. Néanmoins, cela ne veut pas dire que vous allez entendre toutes ces conneries sur « l’esprit d’équipe » auxquelles vous avez peut être eu droit dans certaines boîtes où vous avez travaillé. Je crois à la coopération, mais pas aux dépens de l’émergence du génie individuel. Aucune grande œuvre d’art n’est jamais née d’une décision de comité. La grandeur est un pur produit de la conscience individuelle. »
« La bonne nouvelle, c’est que la publicité a laissé derrière elle la dépouille de son ancienne forme – un dispositif d’une puissance extraordinaire -, et comme avec toute forme, la question du contenu demeure grande ouverte. Limitée uniquement par l’imagination des artistes. Oui, j’ai bien dit des artistes, car l’idée que les vrais artistes se prostituent obligatoirement en frayant avec l’univers du commerce, c’est là une idée sur laquelle tout le monde est d’accord d’emblée, une idée toute faite, une idée établie. Donc, une idée morte.
Et elle est indissociable d’une autre idée morte, à savoir que l’art qui atteint un public très vaste est par définition un art de mauvaise qualité, sous prétexte que la mauvaise qualité, comprenez la simplicité, est forcement l’unique moyen d’atteindre ce large public. Eh bien, tout ça, pour parler clairement, c’est de la foutaise. Les œuvres que nous produisons dans notre nouvelle agence, Palladio – des œuvres remarquables, des œuvres importantes, du seul point de vue artistique -, il faudrait quoi, les mettre dans un tiroir et les ressortir pour les montrer à nos amis quand ils passent nous voir ? Non. En tant qu’artiste, je suis persuadé que j’ai quelque chose à dire, et si j’ai quelque chose à dire, j’utilise pour m’exprimer le moyen le plus efficace à ma disposition. C’est une chose évidente, à mes yeux. Et pourtant nous sommes voués aux gémonies pour cela. Si notre art touche des millions et des millions de gens, c’est parce que c’est dans la nature même de sa forme. Peu importe qu’il soit de bonne ou mauvaise qualité, qu’il soit limpide ou abscons, cet art a le don de pénétrer dans la conscience de millions et de millions de gens. Tous ces tenants de l’art dans sa conception la plus noble… enfin, ils devraient acclamer la publicité, ils devraient la porter aux nues. « La publicité est décidément une chose merveilleuse. Un paradis pour les grands artistes. Là, au moins, ils n’ont pas à batailler, ils peuvent dire ce qui leur plaît, et ils ont à tous les coups un public de plusieurs millions de personnes ».
Inutile de vous dire qu’il n’en est rien. Les grands penseurs de l’Académie n’ont pas encore compris ça. Le monde des affaires n’a pas encore compris ça. »
Mais moi si ».
« Nous vivons dans une époque ou l’avant-garde a cessé d’exister, où plus rien ne choque personne parce que nous avons tout vu, tout fait, tout enfreint, tout renversé. Ce que j’ai découvert, c’est que pour retrouver cette puissance avant-gardiste, il faut, paradoxalement, travailler dans le plus banal de tous les médias. L’unique lieu, semble t-il, où certains types d’idées sont encore tabous. Où les deux partenaires en communication que sont l’éditorial et la publicité se cramponnent au mythe très « Siècle des Lumières » de leur incompatibilité essentielle. Un artiste qui se lance aujourd’hui arrive comme la cavalerie : en retard. Si on veut faire quelque chose d’intéressant, quelque chose de nouveau, on doit oublier les livres, oublier la peinture, la sculpture, le théâtre, le journalisme, le cinéma. On doit s’intéresser à la publicité. On doit annexer son incroyable capacité de destruction. »
« La publicité n’est pas une chose nouvelle. Nous nous représentons les vitraux de la cathédrale de Chartres comme de l’art, mais lorsqu’ils ont été faits ils n’étaient de l’art que de manière accessoire. Ils avaient été placés là pour vendre de la théologie – c’étaient des panneaux d’affichage – et si les gens qui ont construit la cathédrale avaient connu les néons ils en auraient raffolé. Tout cela n’a rien de neuf. Les mosaïques des églises byzantines et les premières églises chrétiennes sont des panneaux d’affichage vendant du christianisme. Les plafonds de Tiepolo sont de la propagande pour la Contre-Réforme. La vente est vieille
CHANGER TOUT »