L’idée n’est pas neuve : différentes études, des services de l’État et les observations régulières de citoyens pas trop endormis aboutissent tous à la même conclusion que les distributions d’aides sociales françaises ne tombent pas toujours dans les poches d’assurés méritant et, partant, s’impose alors l’impérieuse nécessité de contrôler un tant soit peu afin d’éviter la fraude.
Le constat posé, les propositions pour en venir à bout se bousculent évidemment (forcément, pensez donc) et c’est donc avec une vigueur que les hommes du gouvernement vont agir pour corriger tout ça prestement.
Et pour Gabriel Attal, une bonne idée consisterait donc à utiliser le fichier des passagers des compagnies aériennes, le PNR pour Passenger Name Record, afin de regarder quand une personne a pris l’avion en direction de la France.
En substance, il s’agit donc d’autoriser dans la loi les caisses de sécurité sociale à interroger ce fameux fichier pour y détecter les mouvements anormaux de bénéficiaires de prestations sociales qui auraient le mauvais goût de ne pas être résidents en France et qui, potentiellement, frauderaient.
Que voilà une idée revigorante !
Pensez donc : autoriser une grosse administration réputée pour sa souplesse, sa finesse d’analyse, son intelligence et sa capacité de compréhension, à venir tripoter encore plus de données privées, à avoir accès à encore plus de fichiers privés, cela ne peut que très bien se terminer. D’autant que les fuites de données récoltées dans le cadre de l’assurance maladie sont rares et d’une toute petite ampleur, c’est connu.
Certes oui, il faut bien sûr lutter contre la fraude.
Après tout, il s’agit d’argent qui a été collecté pour une raison donnée, par la force de surcroît (les différentes couvertures sociales françaises n’offrant aucune espèce de liberté). Il serait donc anormal que ces sommes bénéficient à des individus qui ne sont normalement pas couverts et n’ont pas cotisés non plus (ou, plus exactement, n’ont pas bénéficié de l’extorsion de la ponction obligatoire correspondante).
Et soyons clair, cette lutte n’est pas inutile tant cette fraude ne représente plus de petites sommes, même si le montant évoqué dans les articles sur le sujet sont étonnamment optimistes puisque le gouvernement évalue sans rire les montants à quelque chose de l’ordre de 351 millions d’euros pour 2022, ce qui semble bien faible au regard des éléments pourtant soulevés par des experts et qui avaient été relevés dans ces colonnes il y a quelques années à peine.
Ainsi, en gardant une estimation conservatrice de 2,5% de fraude (estimation fournie par la Caisse d’allocation familiale sur la base de ce qu’elle a elle-même constaté), on aboutirait à un chiffre plus près de 16 milliards d’euros (une quarantaine de fois plus que les calculs de coin de table d’Attal et de sa troupe de branleurs cosmiques). Mais ici, on supposera charitablement que ces quelques centaines de millions d’euros ne sont « que » des montants de fraude sociale des Français résidant à l’étranger.
Certes, jusqu’à présent, les Caisses de Sécurité sociale pouvaient déjà vérifier de nombreux éléments comme les factures et les mouvements bancaires des bénéficiaires de minima sociaux. Ici, on devra légitimement se demander si elles le faisaient effectivement, la distance entre « pouvoir » et « faire » étant parfois astronomique dans nos administrations, comme le rappellent les billets précédemment cités ; il n’est en effet pas rare qu’une fraude, pourtant repérée par une de ces nombreuses administrations de sécurité sociale (il y a plus de 130 organismes en charge de ce ce bordel infâme Système Que Le Monde Nous Envie) ne soit finalement pas traitée par les autres, laissant au fraudeur toute latitude pour continuer tranquillement…
En outre, on se souvient que ces mêmes caisses peuvent s’appuyer depuis 2020 sur les publications des bénéficiaires de prestations sur les réseaux sociaux pour vérifier qu’ils y ont bien droit. Malgré tout, on reste dubitatif sur ce dernier usage : d’une part, on peut raisonnablement douter que les services en charge de lutter contre la fraude soient plus performants dans ce domaine que dans le reste, et d’autre part, on sait à quel point ces réseaux sont trompeurs. Combien de faux négatifs, combien de faux positifs ? Tout ceci est suffisamment peu sérieux pour que, du reste, les organismes ne fassent guère de publicité sur leur utilisation de ces réseaux sociaux pour traquer la fraude.
À présent, avec l’accès au fichier « Passenger Name Record » des compagnies aériennes, ces mêmes caisses pourraient donc vérifier – youpi – que les prestations sont bien versées à un Français qui ne réside pas à l’étranger. On peine cependant à voir comment contrôler les trajets permettra de s’assurer que les bénéficiaires d’une prestation seront attrapés. Les douanes, qui ont un pouvoir de police nettement plus important, ont pourtant bien du mal à endiguer les torrents de drogues qui entrent en France tous les jours, nonobstant les prises médiatiquement publiées de temps en temps pour justifier l’existence de ces services policiers. On imagine qu’avec la fraude sociale, ce sera au moins aussi peu efficace.
En revanche, on voit très bien comment ce mode d’action peu très (trop, même) facilement être détourné pour un tout autre objet : de la lutte contre la fraude sociale, il ne sera pas difficile du tout de passer à la lutte contre les méchants trajets surnuméraires du citoyen éco-conscientisé.
Eh oui, rappelez-vous : limiter le nombre de vols aériens est aussi dans les cartons de nos anti-jouisseurs et autres extrémistes de la décroissance ou de la décarbonation finale.
Comme toujours, il faut absolument comprendre que toute extension des capacités, des droits et des facilités accordée à des administrations est une autoroute vers notre propre asservissement, à court, moyen ou long terme. Et vu la trajectoire actuelle des gouvernements qui se succèdent dans ce pays, le passage est maintenant ultra-court d’une possibilité présentée sous les meilleures intentions à un nouveau carcan imposé à tous les citoyens.
source : Hashtable