Bruno Smadja est le fondateur et président du Mobile Film Festival dont nous sommes fiers d’être partenaires cette année. Nous avons voulu avoir son regard éclairé sur les changements fondamentaux que sont en train de connaître les réalisateurs et les producteurs. Entretien avec un visionnaire qui a eu l’intuition il y a déjà une décennie d’inventer le concept : « 1 Mobile, 1 Minute 1 Film ». Pour citer Franck Capra, « une intuition, c’est la créativité qui essaye de vous dire quelque chose » . On laisse donc la parole à Bruno Smadja.
Vous avez été précurseur, il y a une décennie, en comprenant que le mobile allait prendre une place décisive dans le monde de l’image, on a du vous prendre pour un ovni en 2004, non ?
Oui il y a 10 ans beaucoup de gens nous ont pris pour des fous ! Sauf les créateurs qui ont dès le début adhéré aux contraintes créatives du Mobile Film Festival, 1 Mobile, 1 Minute 1 Film.
Je me rappelle d’ailleurs que lors de la première édition, les téléphones mobiles avec caméra étaient si rares que je mettais des mobiles à disposition des collectifs, des réals afin qu’ils puissent participer au Mobile Film Festival.
C’était le premier boom de la vidéo sur Internet avec le rachat par Google de You Tube quelques mois après sa création, le lancement de DailyMotion;le Web, grâce à la puissance de l’ADSL qui se généralisait, devenait un écran vidéo au même titre que la TV mais pas avec les mêmes contenus.
C’est grâce à cette opportunité, que nous avons choisi dès l’origine de ne pas être un Festival de courts-métrages comme les autres en diffusant gratuitement et sur toutes les plateformes les films en compétition. Le Web nous permet de présenter ces courts à un public très large en recherche de création, de fiction et de découvertes.
En 2014, nous avons eu 2.000.000 de vues sur la sélection officielle de 50 courts de l’édition française en seulement 3 semaines.
Pensez-vous qu’avec l’amélioration constante des qualités d’images de nos téléphones portables nous serons demain potentiellement tous réalisateurs ?
C’est une question que l’on me pose depuis la création du Festival et que je comprends, mais cela va à l’opposé de l’esprit du Mobile Film Festival.
Notre objectif est de découvrir de jeunes réalisateurs, de les accompagner, les soutenir dans leur démarche de professionnalisation.
Si j’ai choisi le téléphone mobile comme caméra exclusive, c’est avant pour permettre à tous les réalisateurs de partir sur la même ligne de départ, pas de différence de moyens financiers. Ainsi les réalisateurs doivent se concentrer sur l’histoire, la direction d’acteur et les émotions qu’ils veulent transmettre pour faire le meilleur film.
Il en va bien évidemment de même pour le format d’une minute, qui n’est pas du tout un format publicitaire mais bien au contraire un format de narration qui, après 10 ans de Mobile Film Festival, s’avère avoir une saveur particulière et un intérêt très grand pour tous les réalisateurs qui participent.
Je constate d’ailleurs que 2 des 4 lauréats de la Bourse BNP Paribas qui récompense le prix du Meilleur Film Mobile sortaient d’une formation de scénariste.
Je ne crois pas que grâce au mobile nous serons tous des réalisateurs, nous savons tous écrire mais il y a très peu d’écrivain.
En revanche, le mobile est potentiellement une magnifique opportunité dans les collèges et les lycées pour faire de l’éducation à l’image, un sujet qui me semble absolument fondamental dans notre société actuelle, apprendre à nos enfants à faire des images pour savoir mieux les comprendre et les analyser.
Nous avons un projet de Mobile Film Festival -18 ans, mais nous n’avons pas encore trouvé d’écoute au niveau de l’éducation nationale, je suis certain que les consciences évolueront pour faire du pire ennemis des profs, le mobile, un outil pédagogique.
Si on décrit le téléphone portable comme l’œil des temps modernes qu’est ce que cela vous évoque ?
Le téléphone portable est seulement l’un des trop nombreux œil sous lesquels nous vivons au quotidien. Les caméras de surveillance dans des lieux privés mais surtout dans des lieux publics me semblent beaucoup plus les yeux des temps modernes. Au moins le mobile vous pouvez choisir de l’éteindre de temps en temps, la caméra de surveillance vous ne savez pas toujours que vous êtes filmés.
D’un point de vue plus cinématographique, j’ai constaté au fur et à mesure des années les professionnels du cinéma utilisés de plus en plus leur mobile dans des phases de repérages par exemple.
Mais ceux qui en parlent le mieux ce sont les réalisateurs lauréats du Mobile Film Festival et les anciens membres du jury ici
Le Mobile Film Festival innove cette année avec une campagne de crowdfunding sur Ulule qui soutient 14 projets de ses lauréats, pouvez-vous nous en dire plus sur cette initiative ?
Nous avons décidé de mettre en avant le talents des créateurs sélectionnés lors des 4 dernières éditions du Mobile Film Festival afin de donner encore plus de sens à notre démarche d’accompagnement des créateurs.
La diversité des 14 projets audiovisuels proposés (courts métrages, documentaire, web-doc, clip et web séries) démontre la créativité et le professionnalisme des participants à notre festival.
Le crowd funding me semble un changement majeur pour le financement de l’audiovisuel et en particulier une opportunité formidable pour les jeunes réalisateurs. Vous pouvez aller au contact de votre public, comme toujours le Web élimine les intermédiaires en l’occurrence entre les créateurs et les spectateurs.
Enormément de cinéastes ont commencés par le court-métrage, peut-on dire qu’on est passé de « 1 Super 8, 1 Vidéo » à « 1 Mobile, 1 Film » ?
Je crois que l’on peut même dire que tous sont passés par le format court.
C’est ce qui est très beau dans les rencontres que j’ai pu faire grâce au Mobile Film Festival et aux soutiens que nous avons reçus dès le début de la part de grands réalisateurs. Ainsi Claude Lelouch, président du jury en 2009, a tout de suite vu l’analogie avec son expérience personnelle de l’apprentissage du cinéma grâce au Super 8. Jean-Pierre Jeunet nous a raconté comment la découverte de la Super 8 a changé sa vie, comment il a quitté l’école, pris un job alimentaire et passé ses nuits et ses week-ends à faire des courts métrages.
Je crois que pour cette génération de réalisateurs, qui n’est pas née avec le digital, a encore plus conscience de l’opportunité extraordinaire pour les jeunes réalisateurs actuels de pouvoir créer sans limite.
Pour ceux qui ne la connaîtrait pas, je vous invite à lire cette lettre de Martin Scorsese à sa fille, c’est un superbe manifeste pour le Mobile Film Festival, si je puis me permettre !
Pensez-vous qu’aujourd’hui cette nouvelle génération de cinéastes est annonciatrice d’un changement profond dans le milieu de la production ?
Je pense que la rupture technique et technologique actuelle peut être comparée à la Nouvelle Vague. L’apparition des caméras 16 mm a permis aux réalisateurs de sortir beaucoup plus facilement des plateaux et d’avoir une plus grande liberté de création, le résultat a été exceptionnel.
Le numérique et la diminution des coûts de production que nous connaissons actuellement représentent une nouvelle étape vraiment importante, il est certain que des talents naîtront, mais des nouveaux Truffaut ou des Godard, je le souhaite !
Je fais une petite parenthèse sur un autre événement que nous organisons depuis 5 ans à Paris, les Cross Video Days qui est devenu le marché européen leader sur le financement transmedia, et je pense que c’est sur les formes de narration que nous devrions connaître les plus grandes évolutions. La nouvelle génération de spectateurs a été élevée aux jeux vidéos et donc son rapport à l’histoire est beaucoup moins linéaire et passive que les générations précédentes.
Le Mobile Film Festival pourrait presque créer une école de l’image pour apprendre à fabriquer et à décrypter les images d’aujourd’hui, est-ce un projet envisageable ?
Oui et c’est d’ailleurs la grande nouveauté de cette 10e édition, la création de la Mobile Film Academy.
C’est un projet que j’avais en tête depuis longtemps et que nous avons pu lancer grâce au soutien de BNP Paribas qui parraine notre Academy.
Nous avons rassemblé les 29 artistes qui ont reçu un prix lors des 4 dernières éditions du festival et nous leur proposons de bénéficier gratuitement de workshops avec des professionnels du cinéma et de l’audiovisuel et de master classes avec des grandes personnalités du cinéma. Pour compléter ce dispositif de formation, nous contactons des agences, des marques pour leur proposer de faire appel à nos brillants réalisateurs dans le cadre de projets de brand content, de publicité ou de création en général, illustrant ainsi à quel point les membres de la Mobile Film Academy sont brillants et créatifs.
Nous avons déjà réalisé une première opération ACER 4 CINEMA, la marque de mobile lançait un nouveau modèle de smartphone 4K. Ils ont choisi de faire appel aux membres de l’Academy pour réaliser 4 courts-métrages.
Je vous invite à découvrir « Get that job » de Benjamin Busnel, une ingénieuse comédie musicale dans l’univers du recrutement.
Vous allez fêter les 10 ans du Mobile Film Festival, qu’est ce qu’on peut vous souhaiter de meilleur ?
Vous pouvez nous souhaiter de continuer encore longtemps à découvrir des talents aussi prometteurs que Guillaume Renusson, lauréat de la bourse BNP Paris en 2013, qui a réalisé le court-métrage « Après les cours » qui voyage dans les festival du monde entier depuis 6 mois : Philadelphia, Rhodes Island, Singapour et bien d’autres.
Vous pouvez aussi nous souhaiter d’être plus internationaux avec des éditions locales et mondiales du Mobile Film Festival.
Parmi les projets que nous avons, nous aimerions organiser une édition pour la valorisation du Français et les rencontres virtuelles entre de jeunes réalisateurs francophones du monde entier.