Pourquoi lui ?
Évidemment, quand un auteur comme Bortnikov vous propose une promenade sur les rives du fleuve de la haine des Enfers, on peut y réfléchir à deux fois. Dante a eu des propositions plus alléchantes.
Pourtant, on plonge dans un monde bien plus fou que celui des flammes infernales. On plonge ici dans un esprit. Parce que Bortnikov écrit comme on pense. Comme le courant électrique circule dans nos neurones : par sauts. La parole est belle, mais lente. La pensée fuse. Son auteur l’a façonné, la connaît par cœur. Elle n’a pas besoin de mors. La pensée est un étalon libre. C’est ainsi que Bortnikov écrit. Peut-être un peu comme Louis Ferdinand Céline. Il faut imaginer un sculpteur devant un bloc de granit, taillant une superbe Vénus dedans. Un pas de recul. Et le burin reprend son ouvrage pour recréer le bloque initial. Juste un peu plus petit. Il a l’air brut, mais il est passé par un chef-d’oeuvre pour en arriver là. Et on le sent dans chaque veine. C’est ainsi que Céline écrivait. Bortnikov aussi. Dans le roman, l’important est ce qui n’est pas dit. Alors, on tient le roman des romans.
À vous, lecteurs, de choisir : parcourir les pages aussi vite que la pensée et retenir une idée, une odeur, un concept. Ou alors s’arrêtait sur chaque phrase, sur chaque mot, qui cache une vie entière (une Vénus), on le sent.
Où le lire ?
Seul. En société, la parole vous paraîtrait laborieuse après coup.
Incipit.
Encore hier elle était bien vivante.
Le passage à retenir par cœur.
Mais vraiment, c’est plus facile de trouver un pantalon dans lequel on n’a jamais pété que de découvrir le vrai visage d’une femme. rien à faire : ni à l’œil nu ni en braille ! faut la surprendre quand elle s’ennuie ! c’est le matin d’un visage, matin ultime ! ni colère ni haine ni passion, ni utérus rival, rien de tout ça ! juste l’ennui, ah oui, et par petites vagues ! l’ennui froid ! dimanche et puis campagne et puis pluie ! voilà la soupe magique ! ça mettra à genoux la fée la plus rieuse ! l’ennui c’est le meilleur démaquillant ! à décaper trente déesses ! grande marée du visage ! houououou, ça donne froid aux yeux !
À qui l’offrir ?
Aux auteurs au style ampoulé. Mais on n’a pas la place de tous les lister ici.
Face au Styx, Dimitri Bortnikov, éd. Rivages, 749 p., 21 €