La forme c’est le fond qui remonte à la surface, et c’est exactement ce que l’on a pensé en découvrant le travail du nouveau duo de réalisateurs, fascinés et fascinants, qui se cache sous le nom de Louise & Irwin.
Représenté par l’excellente société de production Eddy, que nous avions classée ici il y a plusieurs années comme l’une des maison de production française les plus créatives, Louise & Irwin sont promis à un avenir radieux.
En plus d’être réalisateurs, Louise Ernandez et Irwin Barbé sont aussi photographes. Avec une vision commune et un langage vidéographique précis : une image dense et brute, laquelle tient dans l’usage de lumières naturelles, mais aussi dans les confrontations violentes de matières et d’échelles.
Autrement dit, ces deux professionnels de l’imaginaire vont rendre les marques qui s’adressent à la nouvelle génération plus pertinentes et plus audacieuses qu’elles ne le sont.
C’est un duo authentique, simple dans ce que ce mot peut avoir de plus noble. Loin des artifices des faux paradis branchés parisiens (qui ne fait plus vraiment rêver personne de toute façon), ils sont donc à nos yeux d’une certaine façon la relève pour celles et ceux qui désirent réaliser des films pertinents.
Nous connaissions bien le travail de Louise Ernandez, et cela a été un plaisir de découvrir l’univers Irwin Barbé. Ces deux là font la paires devant et derrière la caméra.
Il était donc important d’en apprendre d’avantage sur les films qu’ils ont déjà réalisés et surtout sur ceux qui arrivent…
Comment est née votre envie de travailler ensemble ?
Nous nous sommes rencontrés au début de nos études à l’ENSAD Paris, et nous avons vite compris que nos deux univers étaient extrêmement proches, aussi bien sur le plan visuel qu’au niveau des histoires et éléments qui nous fascinent. Nous cherchons tous les deux à capturer la puissance et l’étrangeté dans les espaces que nous découvrons, qu’ils soient naturels ou urbains, et la singularité des personnages que nous filmons ou photographions. Nous avons d’abord réalisé plusieurs clips de musique électronique ensemble, pour ensuite se lancer dans des recherches plus profondes et expérimentales.
C’est le fruit d’une longue collaboration qui a donné naissance à « Dyad », un film qui montre les pérégrinations de plusieurs jeunes durant l’été à Berlin, 7 minutes incroyables qui donnent à voir ce qu’aucune étude marketing ne montrera jamais sur la jeunesse. Quel a été le point de départ de ce film ?
La genèse de ce clip a été extrêmement organique : nous sommes partis à Berlin pendant un mois, sans script ou idées précises de ce que nous allions filmer, et nous avons construit le film petit à petit, au grès des rencontres et des explorations psychotropiques que nous faisions. C’était un tournage moite, chaotique et cotonneux, (qui nous a valu de nous faire arrêter par la police), et on espérait justement que cette atmosphère transparaîtrait dans les images.
https://vimeo.com/140180914
Vous venez de signer ensemble la nouvelle campagne digitale Adidas Glitch, qu’avez-vous retiré de cette collaboration ? Et surtout comment est née l’idée du film où vous avez tourné à la fois en caméra VHS, en Gopro, en caméra thermique et avec un drone ?
Notre idée pour cette campagne était de réinterpréter les codes esthétiques d’Adidas et du football en les intégrant à une narration à mi-chemin entre documentaire et fiction : dans notre film, les joueurs incarnent les agents d’un réseau illégal qui distribuent un produit mystérieux. Nous avons essayé de trouver un équilibre entre des éléments bruts, presque anxiogènes, et l’aspect ludique de l’univers du football. Notre choix d’utiliser des procédés techniques vidéo comme la caméra thermique a été déterminé par le fait que ce sont des technologies réellement utilisées à des fins de surveillance. Ils nous ont aussi permis d’obtenir une richesse graphique et une variété de textures sans avoir besoin d’utiliser d’effets spéciaux numériques et artificiels.
Votre nouveau court-métrage Landmind, débute en festivals, et suit plusieurs personnages errants au travers des montagnes et villes des Balkans, vous ne faites rien dans la facilité, pourquoi avoir voulu immortaliser les forêts de Tjentiste ou les ruines des jeux olympiques d’hiver de Sarajevo ?
Les paysages et l’histoire des Balkans dégagent un étrange pouvoir magnétique qui nous fascinait depuis longtemps. Il y a trois ans nous avons décidé de nous rendre à Sarajevo pour aller ensuite marcher dans les montagnes de la Bosnie et du Monténégro. Cette marche s’est progressivement transformée en quête, puis en errance chaotique. Nous oscillions entre moments de bonheur solaire, et épisodes plus angoissants. L’aventure s’est d’ailleurs finie de façon assez catastrophique (Louise a dû aller à l’hôpital à cause d’une blessure), mais sur le chemin nous avons filmé compulsivement toutes les étranges scènes qui se déroulaient sous nos yeux : une cabine téléphonique qui sonnait sans relâche au milieu d’un village désert, un papillon de nuit en train de mourir sur le bitume d’une gare routière, une vieille femme qui nourrissait des louveteaux à l’entrée d’une forêt, un orage au dessus d’une forêt brûlée…
En revenant en France, il nous a fallu un long temps de réflexion avant de trouver une idée qui structurerait toutes cette matière visuelle et sonore. Nous avons pris conscience que c’était justement le caractère mystérieux et absurde de ces endroits, et de notre voyage qu’il fallait mettre en relief. Nous avons ensuite collaboré avec trois artistes (Sabrina Tamar, Diane Barbé et Lucia Martinez) qui ont écrit la voix-off du film, qui est devenu petit à petit une exploration psycho-géographique et poétique des Balkans. Un film qui en quelque sorte, remue le couteau dans les plaies du paysage.
Quels sont vos projets futurs ? Et si nous avions une baguette magique, avec qui rêveriez-vous de collaborer prochainement ?
Nous travaillons actuellement sur un projet de documentaire expérimental qui s’inspire de récits de rêves vécus par des aveugles (et des images que certains “voient” dans leurs rêves), en les mettant en parallèle avec des séquences filmées dans des lieux où l’humanité étudie des phénomènes imperceptibles à l’œil nu (infiniment grand et infiniment petit).
Un de nos rêves serait de collaborer avec Forest Swords, un producteur anglais de musique experimental-electronic-dub, qui crée des morceaux avec des voix, parfois des sonorités hip-hop et des percussions puissantes. Sa musique oscille entre des sonorités psychédéliques et est à la fois empreint d’une grande poésie qui pourrait dialoguer de façon très intéressantes avec nos images.
Quelles sont vos inspirations aujourd’hui, où puisez-vous votre matériel à imaginaire?
Quand nous réfléchissons à nos projets de vidéos et photographies, nous essayons de nous inspirer de choses extrêmement variées : cinéma, littérature, mais aussi des gens qui nous entourent et de notre rapport sensoriel au monde. Nous sommes très attachés aux sensations immersives, transcendantales que nous éprouvons au cours nos différents voyages (géographiques et mentaux), pendant nos sessions d’écoutes musicale, de plongée sous-marine, de méditation… Des moments où l’esprit se libèrent un peu des codes culturels omniprésents pour retrouver une forme de simplicité.
Avance t-on plus vite pour co-réaliser un film à deux ou au contraire est-ce un processus plus long pour être exactement sur la même longueur d’onde ?
Nous fonctionnons de manière extrêmement symbiotique, parfois à tel point que c’est légèrement inquiétant tant ça se rapproche de la télépathie, donc co-réaliser des films nous permet clairement d’être plus créatifs et efficaces.