Publicité - Pour consulter le média sans publicité, inscrivez-vous



Publicité - Pour consulter le média sans publicité, inscrivez-vous


Crépuscule de la macronie : De la disruption à la destruction

Crépuscule de la macronie : De la disruption à la destruction

Quel goût amer a pris leur glorieux mantra de 2017… «On a fait le casse du
siècle», jubilaient les colistiers d’Emmanuel Macron au soir de son sacre.
Aujourd’hui, ils ne frissonnent plus d’ivresse, mais de peur : «Finalement, ce
sera peut-être la casse du siècle.» On entend, en les contactant un à un, les
mêmes mots : «sidération»,«tristesse»,«folie, cette dissolution»,«quel
gâchis…» Voilà ce que disent la plupart des fondateurs du macronisme, les
fameux «Mormons», ces ex-bébés strauss-kahniens, promoteurs de la «start-
up nation», tout comme leurs aînés, créateurs d’En marche, tels Philippe
Grangeon, Richard Ferrand ou Jean Pisani-Ferry, qui interpelle ainsi Libération :
«Pensez-vous vraiment qu’est venu le temps des oraisons funèbres ?»
L’heure est grave, le RN est aux portes du pouvoir, beaucoup ne veulent donc
pas être cités en cette veille d’élections législatives. Des flashs du printemps
2017 leur reviennent, cruels. La liesse dans les rues, les meetings vibrants, le
QG bouillonnant de «helpers», et toutes ces promesses lancées aux Français ;
dépassement des partis, démocratie participative, égalité des chances… Que
reste-t-il ? «Rien, zéro», soupire un ex-fidèle qui a changé de vie. L’ancienne
porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye, devenue secrétaire générale
d’Adecco, ne «renie rien, même si le moment terrible qu’on vit aujourd’hui
m’oblige à une grande humilité». Beaucoup s’accrochent aux succès : la
baisse du chômage, le retour des investissements, la french tech… rappellent
l’adversité, du Covid à la guerre en Ukraine, et la montée, partout, des
populismes. Mais tant de ratés, comprennent-ils bien tardivement, comme cette
barre à droite donnée dès le départ, le mépris des corps intermédiaires,
jusqu’à cette loi immigration honteuse… L’abattement se mêle à la colère. Ils
disent ne pas vouloir charger davantage la barque de Macron, et surtout pas
celle des derniers camarades encore à ses côtés. A l’Elysée subsiste Alexis
Kohler, le général en chef d’En marche et indéboulonnable secrétaire général
de l’Elysée, au cœur du réacteur depuis sept ans, pour beaucoup le «dernier
garde-fou». Sont retournés au front, pour cette campagne éclair, deux
artificiers essentiels de la victoire de 2017, Julien Denormandie et Ismaël
Emelien, dans l’ombre. Et puis, sur le terrain, il y a encore des marcheurs
historiques, candidats à la députation. Aux avant-postes, Stéphane Séjourné,
l’ex-conseiller politique du chef de l’Etat promu ministre des Affaires étrangères,
et Stanislas Guerini, ancien d’HEC, éternel boy-scout toujours prêt. Celui qui fut
envoyé seul sur scène pour meubler le soir de la victoire de 2017, avant d’être
élu député, de diriger le parti aux ordres de Macron, puis d’être nommé
ministre des Comptes publics. «Pas le temps d’avoir des états d’âme, confie
Guerini. L’idée de faire une passation avec un type du RN m’empêche de
dormir. Je suis mobilisé dans ma circo.» Richard Ferrand, l’ex-président de
l’Assemblée nationale, le soutient. Philippe Grangeon, ex-conseiller élyséen, a
tracté avec lui dans le XVIIe arrondissement de Paris. Les vieux briscards du
macronisme ne sont pas du genre à déserter. Leur fidélité au chef de l’Etat
prime, c’est ainsi : «Quand on aime quelqu’un, soupire Richard Ferrand, on ne
cherche pas à le changer…»

Lui eut l’honneur d’apprendre la dissolution de la bouche d’Emmanuel Macron,
quelques heures avant son intervention à la télévision. Annonce factuelle,
invitation à le rejoindre au palais. Ferrand répondit simplement : «C’est
audacieux, mais risqué.» La décision était prise, sans appel, le discours écrit,
costume choisi pour la circonstance, noir. Alexis Kohler, lui, crut bon d’informer
son ami Philippe Grangeon. Cet inlassable promoteur du dialogue social, forgé
par une vie de militantisme de la LCR au PS, SOS Racisme, la CFDT, fut sonné.
Il prit la plume et fit porter à l’Elysée une lettre, dont il refuse de dévoiler la
teneur. «Ça ne regarde que le Président et moi.» D’autres croient savoir
combien elle était solennelle, sombre, avertissant des dangers. Le chef de
l’Etat l’a lue, en rentrant de son dimanche au Touquet. Coup de fil pour la forme
à son ancien conseiller dont il dit souvent : «Il fait chier Philippe», mais qu’il estime. Exposé rapide des raisons de sa décision, pas un gramme de doute.
Rien ni personne n’arrête Macron.

«On n’a pas su l’arrêter, le protéger»

Tous ceux qui l’ont vu éclore le savent. Ils l’ont tant aimé, leur «Emmanuel»,
qu’ils ont aujourd’hui le cœur lourd. Tant d’incompréhensions, de non-dits, de
regrets, parfois de culpabilité. «On a fabriqué un monarque», se désole un ex-
pilier d’En marche. C’était aussi le constat de Gérard Collomb, l’ancien maire
socialiste de Lyon, premier élu rallié à Macron, propulsé à Beauvau, rencontré
à l’hiver 2022, un an avant sa mort, alors qu’il réfléchissait à un livre sur les
dérives de ce président auquel il avait tant cru. Avant que l’histoire ne tourne au
tragique, d’autres s’amusaient à décrire le chef de l’Etat en «Dom Juan»,
bluffant au départ, puis inquiétant. Ils voyaient tant de gens – ministres, élus,
conseillers officiels ou officieux, textotés à toute heure, même de soi-disant
amis, hommes, femmes, tous âges, tous bords politiques, ainsi séduits, puis
lâchés sans égard. Inévitablement, la colère est montée dans le microcosme,
comme chez les Français. «On n’a pas senti le potentiel destructeur
d’Emmanuel», glissent certains fondateurs. D’autres, ton grave : «On n’a pas
su l’arrêter, le protéger.»

Au lendemain de la dissolution, le Monde a pointé l’influence des nouveaux
«mousquetaires» de l’Elysée, ceux qui ont remplacé les Mormons : Bruno
Roger-Petit, le conseiller mémoire, Jonathan Guémas, chargé de la
communication, et son inséparable prédécesseur, Clément Léonarduzzi,
propulsé vice-président de Publicis, ainsi qu’un drôle de tonton flingueur initié
en sarkozie, l’ancien sénateur LR Pierre Charon. Tous, après s’être vantés,
minimisent leur rôle sur le thème : «Vous savez bien que personne n’influence
le président.» On les a rencontrés, senti leur fébrilité. Macron les a tancés,
comme l’a révélé Libération furieux d’être dépeint en marionnette aux mains
d’une bande d’apprentis sorciers. Rien ne l’irrite davantage. Il tient par-dessus
tout à sa liberté. Il sait tout, décide de tout. Souverain. Son entourage n’est pas
la cause de ses errements, mais un symptôme. Un président choisit ceux qui
l’entourent. «La macronie, c’était une aventure humaine, rembobine un des
fondateurs. Très vite, après la victoire, on a perdu ça, le sens de notre combat.
Et l’humanité.»

Tous ont gardé en mémoire l’intronisation à l’Elysée, le 17 mai 2017. La pompe
républicaine sous les lustres, le poids immédiat de l’institution. Souvenir d’avoir
alors «vu le visage d’Emmanuel changer, un masque s’installer». Son sourire,
autrefois joueur, avide d’échanges, s’est mis à scalper les avis divergents. Les
Mormons l’avaient vendu et fantasmé en Obama français, héraut d’une
nouvelle gauche libérale. Macron a illico penché à droite, obnubilé par son
Premier ministre piqué aux Républicains, Edouard Philippe. Il s’est révélé
suspicieux, soucieux d’être toujours devant, omnipotent, seul en scène. Il se
voulait «Jupiter».

Chien truffier de la droite

Ce surnom, désormais éculé, a d’abord été le titre humoristique d’une boucle
de discussion WhatsApp lancée en 2016 par Bertrand Delais, alors journaliste,
futur réalisateur des documentaires sur le candidat En marche (et aujourd’hui
dirigeant de LCP) et son copain, Bruno Roger-Petit, dit BRP, ex-présentateur
télé, placardisé à Challenges, remarqué pour ses louangeuses tribunes envers
Macron. Le plumitif, cultivé, fan de foot, de complots, de bons mots, plut à
Macron. Il lui parla des Deux Corps du roi de l’historien Ernst Kantorowicz, de
François Mitterrand, son maître, pour son art du secret. «Pour moi, Mitterrand,
c’est d’abord une façon de vivre sa vie en toute liberté, confie-t-il. Ça
s’applique à Macron, qui ne supporte pas qu’on contraigne sa liberté.» BRP lui
prédit qu’il remportera l’Elysée, mais qu’il lui faudra vaincre l’élite, les médias.
Macron savoure, lui qui se vit comme un être hors système, «un métèque»
selon ses mots, comme s’il n’avait pas été adoubé par la crème de l’énarchie,
de la finance et du CAC 40. Les Mormons, eux, n’ont jamais accroché avec
BRP, trop obscur, trop franc-maçon, et surtout journaliste, intime de
l’éditorialiste populiste de CNews, Pascal Praud. Méfiance… Macron chargea
donc Brigitte de prendre sous son aile BRP, qui s’en rappelle : «On prenait un
thé une fois par semaine à la Rotonde.» L’épouse prenait des notes, riait des
vacheries, des bruits de Paris. Elle se confiait, loin des jeunots du QG, qui ne
voulaient pas d’elle sur la photo, la jugeant has been, très «droite gourmette»,
avec ses amis Line Renaud, Stéphane Bern, Bernard Montiel… «On a fait
l’erreur de la négliger, réalise un des Mormons. Il faut dire qu’elle nous disait ne
pas vouloir apparaître, préserver sa famille. En réalité, elle était ambivalente, on
découvrira après l’étendue de son influence, de son tropisme sarkozyste, et de
son rôle politique.» Tous ceux qui ont servi à l’Elysée l’assurent : «Il y a un gros
sujet Brigitte.»

Bruno Roger-Petit, lui, a su écouter cette femme qui a porté les ambitions de
son élève, puis les rêves de grandeur de son époux. L’Elysée, au fond, c’était
leur bébé. Et le journaliste a murmuré au couple qu’il saurait, à deux, insuffler la
sacralité dont cette vieille nation française a besoin. BRP finit par intégrer
l’Elysée, à côté du cabinet de Brigitte Macron, avec le titre de porte-parole.
Fureur des Mormons qui rêvaient de transformer l’Elysée en Maison Blanche,
communication filtrée au cordeau. BRP, lui, distillait une autre musique à ses ex-
confrères, confidences et boules puantes, analyses sur la vacuité des minots
de «la start-up nation», la déconnexion des technocrates, incarnés à ses yeux
par Alexis Kohler. Pas faux, acquiesçaient les Macron. Ils ont vu BRP se
carboniser en direct dans l’affaire Benalla, défendant par un communiqué stupéfiant leur ex-garde du corps, condamné à un an de prison ferme pour des violences commises en marge de la manifestation du 1er mai 2018. Première et dernière prestation du porte-parole. Les Mormons demandèrent sa démission.

«Si vous me lâchez, je me lâche», menaça BRP, suggérant que ses notes
quotidiennes pourraient constituer un recueil salé. Brigitte Macron l’a sauvé,
avec un titre de «conseiller mémoire». Et BRP a continué de prendre soin
d’elle, de phosphorer sur ses projets de commémoration. Il n’a jamais cessé de
s’occuper des journalistes, d’abord Pascal Praud qu’il alimente
quotidiennement, ni de jouer les chiens truffiers vers la droite ultra-
conservatrice, jusqu’à convaincre Macron de parler dans Valeurs actuelles. Il
s’est affiché au grand jour, à la Rotonde, brasserie fétiche des Macron, lors
d’un déjeuner avec Marion Maréchal, l’héritière Le Pen, alors cheval de Troie du
RN dans le parti d’Eric Zemmour. A l’Elysée, certains s’en sont émus, dont
Alexis Kohler, qui n’a jamais cessé, comme d’autres, d’alerter Macron, sur les
penchants «brun-roses» de BRP, son potentiel de nuisance. En vain.

S’acoquiner avec Nicolas Sarkozy

Le Président est darwinien : que les meilleurs gagnent. Il cultive tant de cercles,
de jeunes hackers underground à ses vieux copains avocats ou banquiers
d’affaires, des militaires des forces spéciales qui le fascinent – au point d’en
avoir pris deux à son service – aux génies de l’IA. De Thierry Solère, l’ex-député
LR canaille, multi-mis en examen, qui l’a aidé à dynamiter la droite, à Julien
Dray, l’ancien limier du PS, fondateur de SOS Racisme, qui a inspiré la série
Baron noir et l’a coaché à ses débuts. De Mimi Marchand, l’abrasive papesse
de la presse people, à l’académicien et ardent défenseur des libertés
publiques François Sureau. De Yassine Belattar, l’humoriste condamné pour
menaces de mort, proche de l’islam radical, qui l’a convaincu de ne pas aller à
la grande marche contre l’antisémitisme le 12 novembre, au grand rabbin de
France, Haïm Korsia, avec qui il a soufflé des bougies de Hanoukka à l’Elysée.
Liste non exhaustive…

L’«Etat profond» du système macronien est abyssal. Le
Président cloisonne tout. Ses compagnons historiques l’ont vu, hallucinés,
s’acoquiner avec Nicolas Sarkozy, dont il ne parlait jamais. C’est Brigitte
Macron qui l’admirait, nouant les liens avec Carla Sarkozy, avant que les époux
s’apprécient, illico soudés par la détestation de François Hollande et l’envie de
laminer les LR. Sarkozy, désireux d’être l’ultime chef de sa famille politique, a
soutenu Macron. Il était ainsi de nouveau considéré, envoyé en mission
diplomatique, de nouveau au cœur du pouvoir, précieux pour son business de
consultant. Sarkozy a donné des conseils, notamment dans la tempête Benalla,
quand l’Elysée fut perquisitionné. «De mon temps, les juges ne rentraient pas
au palais, dit-il, suggérant alors de changer de garde des Sceaux. Nicole
Belloubet est alors remplacée, en 2020, par l’avocat Eric Dupond-Moretti,
meilleur ami de Thierry Herzog, conseil historique de Nicolas Sarkozy. L’ancien
président, mis en examen dans de lourds dossiers dont celui du présumé
financement libyen de sa campagne de 2007, condamné dans les affaires
Bismuth et Bygmalion (pour lesquelles il s’est pourvu en cassation), a espéré
que Macron tempère un peu les juges, comme si c’était possible. «Moi, clame-
t-il souvent, j’ai sauvé Chirac de la prison.» Macron l’a laissé croire. Il est le
maître des ambiguïtés. Toujours méfiant et méthodique, il prit soin d’ausculter
Sarkozy, en approchant ses ex-fidèles disgraciés comme Frédéric Lefebvre, ou
son chef sniper à l’Elysée, Pierre Charon, devenu sénateur, fin connaisseur des
arcanes du Palais du Luxembourg, si opposé à la macronie. Un homme
doublement utile. BRP a fait les présentations. Et Charon fut vite conquis, en
quelques ping-pongs à la Audiard et un peu de whisky : «Quand je fais du
benchmarking, Macron est le meilleur, je ne vois pas d’équivalent pour diriger
le pays.» Il prit l’habitude de passer par «l’allée des maîtresses» pour venir
discuter tambouille politique avec Macron, planifier la stratégie, décider qui
«flinguer», traiter tel ministre de «grande folle honteuse», telle autre de
«Chantal Goya», faire rire un peu ce président qui dit souvent : «Je suis seul, ils
sont tous si nuls !»

Qu’est devenu l’héritier proclamé du philosophe Paul Ricœur et de Michel
Rocard ? «Comment en est-on arrivé là ?», s’interrogent les premiers
marcheurs. Quand la belle mécanique macronienne s’est-elle grippée ? «Très,
trop vite», réalisent-ils. «Le point de bascule, ce sont les gilets jaunes, affine
l’un d’eux. De là date l’échappée solitaire, la montée de l’ivresse.» Macron a
d’abord refusé de discuter avec ces Français qui manifestaient sans violence :
«Pas du niveau d’un président.» Il était sourd aux revendications, oublieux des
13 millions d’électeurs qui avaient voté pour Marine Le Pen. Confidence d’un
conseiller de l’époque : «Macron pensait qu’il était le meilleur et ramènerait à la
raison les partisans du RN.» Il ne comprenait pas l’image de «président des
riches», qui lui colle à la peau depuis son passage chez Rothschild et sa
décision de supprimer l’ISF pour ne taxer que la fortune immobilière. Une
mesure profitable à tous, arguait-il, avec sa théorie du ruissellement qui avait
fait bondir le père de son programme économique, Jean Pisani-Ferry, coauteur
d’une note alertant, dès 2018, sur la droitisation de la macronie et «l’image d’un
pouvoir indifférent à la question sociale». Le Président n’y a jamais répondu. Il
levait les yeux au ciel quand certains suggéraient de s’afficher moins
ouvertement avec le milliardaire Bernard Arnault, fondateur de LVMH, qui
habille Brigitte, finance ses écoles «Live» et trône à presque tous les dîners
d’Etat. «Sur le plan des symboles, pas terrible. La première dame ne pourrait-
elle choisir aussi d’autres marques ?» ont glissé des conseillers, aussitôt
rudoyés. Macron, lui, a refusé d’être habillé par Dior. «Moi, personne ne me
tient, je suis libre», répète-t-il. Il voulut imposer à marche forcée ses réformes, troupes contrôlées à l’Assemblée, syndicats piétinés. «Ça va mal se finir», prédisait Philippe Grangeon.


«Pourquoi tant de haine ?»


Macron a accepté l’idée de son grand débat, quand les gilets jaunes, le 1er
décembre 2018, ont brûlé au bout d’une pique son effigie, et menacé
d’enfoncer les grilles de l’Elysée. «Ce jour-là, se remémore un collaborateur, le
Président était muet. Plus de son, plus d’image.» La peur physique l’a secoué.
Macron est alors allé à la rencontre des Français, des réunions sans fin dans
tous les coins du pays… Un tour de force, 17 milliards d’euros lâchés. Et la
colère du peuple s’est apaisée, en apparence. «Alors il a cru, note un proche,
qu’il pourrait toujours, seul, inverser le cours de l’Histoire.»


Sans doute a-t-il espéré, par la dissolution, reconquérir les Français ? L’idée a
germé dans l’esprit de Macron dès les législatives de 2022, quand il s’est
retrouvé sans majorité absolue à l’Assemblée. «S’ils m’emmerdent, je dissous»,
lançait-il, bravache. Comme pour tester le système, il a accéléré sa course à
droite, à toute blinde, imposant à sa Première ministre, Elisabeth Borne,
d’abuser du 49.3 pour faire voter sa réforme des retraites, et sa loi immigration,
soutenue par le RN. Crise dans la macronie, des députés sont entrés en
dissidence, quelques ministres aussi, dont le ministre de la Santé, Aurélien
Rousseau, démissionnaire, qui se présente aujourd’hui aux législatives sous la
bannière du Nouveau Front populaire. Le Président a saisi le Conseil
constitutionnel pour une loi qu’il savait d’emblée non conforme à la Constitution,
alimentant ainsi les critiques sur le gouvernement des juges. Pourquoi jouer
sans cesse avec le feu ? L’ambiance au Palais est devenue crépusculaire.
«C’est Gomorra», aussi violent que ce best-seller sur la mafia, va jusqu’à
affirmer un ex-poids lourd de l’Elysée. Le secrétaire général, Alexis Kohler,
turbine, lessivé, de plus en plus isolé. BRP a fait alliance avec le nouveau
conseiller en communication, Jonathan Guémas, l’ancien, Clément
Léonarduzzi, très investi malgré son poste de vice-président chez Publicis, et
leur vieil ami, Pierre Charon. Les Mousquetaires, s’appellent-ils. Macron, lui, a
continué de jouer aux petits soldats avec ses ministres. En décembre, il a voulu
changer Elisabeth Borne, négligeant ceux qui préconisaient de la conserver
jusqu’aux élections européennes, pour se garder la carte du remaniement.
Jupiter voulait un visage neuf pour affronter Jordan Bardella. Il a alors
convoqué son fidèle Julien Denormandie, l’ex-ministre du Logement puis de
l’Agriculture, qui s’est dit prêt pour Matignon. Mais il choisit Gabriel Attal, tout
juste installé à l’Education. «Le plus jeune Premier ministre de France», jubilait
le Président. Dans la foulée, il nommait ministre des Affaires étrangères son
protégé Stéphane Séjourné, ex-député européen sans expérience de
diplomate. Sidération dans tout l’appareil d’Etat, d’autant que c’est un secret de polichinelle : Séjourné a longtemps été le compagnon d’Attal.

«Il était triste, Stéphane, il fallait le requinquer, le récompenser», glissait Brigitte Macron à
ceux qui s’inquiétaient de ce choix au Quai d’Orsay. Bouquet final avec
Rachida Dati, l’égérie de la sarkozie, au ministère de la Culture. Là, les
marcheurs se sont littéralement étranglés, Kohler compris. Macron n’a-t-il plus
aucun filtre ? Il lâche les chevaux, espérant ainsi repousser la victoire du RN
aux européennes. Peu probable. Il le sait, la France bout, comme dans la
Fièvre, la série d’Eric Benzekri, avec qui il a dîné, le scénariste ayant voulu
tourner à l’Elysée, et même demander au communicant Jonathan Guémas de
briefer ses acteurs. Le réel surpasse la fiction. Et Macron ne sait plus comment
jouer. Brigitte peine désormais à le coacher, elle qui demande aux
interlocuteurs de confiance : «Mais enfin, pourquoi Emmanuel suscite-t-il tant
de haine ?»


Plus rien ne prend. Ses ultimes tentatives d’alliance avec le président du Sénat,
Gérard Larcher, ont échoué. Tout indique qu’il devra affronter, à l’automne, une
motion de censure sur le budget. Quelle humiliation… Le Président réactive
ainsi, dès la mi-janvier, l’hypothèse de la dissolution, discutée avec ses quatre
Mousquetaires, mais aussi avec Alexis Kohler, le ministre des Armées
Sébastien Lecornu, et Thierry Solère qui dit : «Au bout de sept ans, toute
dissolution est une autodissolution.» Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin,
furieux de n’avoir pas été désigné à Matignon et quasiment assuré d’être réélu
à Tourcoing, est pour. Tous attendent le verdict des élections européennes. Les
sondeurs annoncent la débâcle. Alors, au fond, pourquoi ne pas rebattre les
cartes, tout changer, d’hommes, de décor, de scénario ? Repartir, comme en
2017, d’une page blanche. Le Président aussi a la fièvre. Sa décision est prise
au moment où il va célébrer le 80e anniversaire du Débarquement en
Normandie. «La France renaît», a scandé le Président. Pour l’heure, elle est
exsangue.

Source : Libé


Publicité - Pour consulter le média sans publicité, inscrivez-vous



Publicité - Pour consulter le média sans publicité, inscrivez-vous


Génial ! Vous vous êtes inscrit avec succès.

Bienvenue de retour ! Vous vous êtes connecté avec succès.

Vous êtes abonné avec succès à APAR.TV.

Succès ! Vérifiez votre e-mail pour obtenir le lien magique de connexion.

Succès ! Vos informations de facturation ont été mises à jour.

Votre facturation n'a pas été mise à jour.