2019, dépucelage du Printemps de Bourges. Ce pèlerinage dont on m’avait tant parlé, je l’ai vécu. De l’intérieur. Avec cette race de gens qu’on appelle « les pros », les fins connaisseurs, les grands pontes de l’industrie, les mélomanes experts. Ces mêmes qui décident à 4h du mat’, parfois tout bourrés avec une haleine de frite-mayo sur le dancefloor de l’espace VIP (qui se nomme à très juste titre « La Prairie »), quels artistes seront les élus pour faire tous les festivals de France et de Navarre de demain – et plus si affinités.
Autour de ces festivités nocturnes, il y a quand même des concerts. Plein de concerts (trop de concerts ?). Plus ou moins chiants. Pas mauvais, mais pas spécialement bons non plus. Souvent formatés. Mais ma foi, rassurants. Autant que la bavette que tu manges dans ce bistrot de quartier depuis 7 ans, qui a un rapport qualité-prix « honnête », mais qui te fait pas franchement bander/mouiller (oui, maintenant, askip, faut accorder). L’angoisse.
Puis au milieu de ça tout de même, quelques pépites. Une énorme déculottée par les jeunes pousses d’Atoem (Sélection des Inouïs du Printemps de Bourges), la scéno assez folle de l’indémodable Étienne de Crécy et of course Odezenne. Ah Odezenne ! Carrière modèle pour tout amoureux de la (vraie) musique indé. Avant d’assister à leur live épique, j’ai eu la chance de les avoir rien que pour moi pendant 10 minutes. Tête-à-tête serré. Coeur-à-coeur ouvert. Juste le temps de discuter un peu, hors format. Pour prendre le temps – parce qu’on le prend trop rarement.
– Artura Bandina : Ça va ?
– Alix : Très bien.
– Artura : Je suis hyper contente de vous voir !
– Mattia : Merci, nous aussi !
– Artura : Je vous ai vus en live au Trianon et j’ai bien chialé, quoi…
– Alix : Ah ouais ? C’est vrai ? C’était cool ce concert putain, le sol tremblait !
– Artura : Le parquet allait craquer…
– Alix : On le sentait de la scène, c’était fou, quoi ! Fallait y être pour réaliser…
– Jacques : C’était un des plus beaux moments de live qu’on ait pu faire. Y en a eu plein hein… Mais y a avait un truc au Trianon…
– Artura : Je me suis demandé si sur vos lives, c’était toujours comme ça…
– Alix : c’est toujours un peu comme ça quand même. Mais là, la salle, elle est quand même propice. C’est-à-dire que c’est un entonnoir : c’est petit, c’est haut, c’est dense.
– Artura : Moi, le truc qui m’a le plus frappé c’est que – et les chansons je les connais par cœur mais – j’étais bloquée parce que les gens chantaient tellement…! La ferveur qu’il y a autour de votre projet c’est dingue non ?
– Alix : C’est vrai que nous on le réalise là. Depuis cette tournée, c’est assez fou hein. Y a eu un vrai gap là entre y a deux ans et cette tournée-là. C’est pas les mêmes tournées. Vraiment. Déjà, y a deux-trois fois plus de monde partout, et malgré le fait qu’on soit quand même de moins en moins médiatisés – ce qui est assez bizarre – en fait, du coup les gens, ils s’accaparent le projet. C’est leur truc, quoi. C’est trop bien ! Nous on kiffe de dingue. C’est les seuls moments où on passe à la caisse, le reste du temps on est un peu isolés…
– Jacques : C’est le retour direct, c’est à ce moment-là que ça se passe !
– Artura : Le truc qui m’a aussi vachement marquée en vous voyant sur scène c’est – ce truc qu’on sent déjà dans les clips – cette espèce d’urgence de vivre… D’où est-ce que ça vient ? Est-ce que c’est quelque chose de commun à tous les trois ?
– Alix : Je sais pas si t’as déjà été sur scène ?
– Atura : Oui…
– Alix : C’est quand même assez urgent, quoi… Puis on part pas d’un truc hyper cadré : on n’a pas fait le Chantier des Francos etc. les trucs un peu comme tout le mode « lève les bras à gauche, fais des trucs à droite », donc nous on a dû faire nos armes et quand on est sur scène, c’est un peu urgent parce que c’est pas du tout « humain » comme truc. C’est chelou et du coup, forcément, j’imagine que ça se voit… Mais je pense que c’est parce que c’est pas formaté du tout.
– Artura : Oui, ça se sent vachement je trouve…
– Alix : …L’autre jour y a un programmateur qui nous disait « vos concerts, c’est quand même bizarre, ça ressemble à rien d’autre ». Les gens comprenaient pas… Le rythme et tout… T’es pas la première à le dire.
– Mattia : Puis, c’est vrai qu’on fait des morceaux un peu sérieux. Donc du coup, c’est un peu des trucs bizarres, des trucs un peu profonds, un peu chelous, un peu variants… Y a des émotions tendues, y a des choses un peu fortes quand même. Du coup, de les faire sur scène c’est encore un truc en plus. Et quand t’as le retour du public comme ça, c’est un peu euh… Tu sais plus où t’es au bout d’un moment !
– Alix : Ouais, c’est un moment un peu particulier ouais…
– Artura : … Et du coup, le truc qui vient juste après, qui me titille, c’est cette espèce de liberté à 360°. Je vous trouve super super libres… Et ce qui m’intéresse beaucoup c’est la jeunesse, les jeunes d’aujourd’hui et tout – ce qu’on a envie de leur laisser, ce qu’on a envie de leur dire. Et vous, qu’est-ce que vous diriez à un jeune…
– Alix : … Tu te considères pas comme partie prenante de cette jeunesse ? Tu parles des plus jeunes ?
– Artura : Bah des plus jeunes encore ouais… Parce que tu crois que j’ai quel âge ?
– Mattia : 25 ? 22 ?
– Artura : 22 ? Pas mal… 33…
– Alix : 33 ??? (rires) Et nous tu penses qu’on a quel âge ?
– Artura : Je le sais, je joue pas… Mais du coup, qu’est-ce que vous avez envie de leur dire pour qu’ils deviennent des gens libres ? Parce qu’aujourd’hui on fait quand même tout pour qu’ils ne le deviennent pas…
– Alix : Moi déjà, j’ai envie de faire confiance, malgré tout. Parce que quand même souvent, je peux vite tomber dans le regard du vieux un peu presque aigri sur la jeunesse. Mais je me refuse à le penser parce que je vois quand même que les jeunes aujourd’hui, notamment dans la mode, ils sont méga libres. Ils font des trucs à la limite du mauvais goût pour un vieux comme moi. Et pourtant j’adore ! Parce que je trouve ça… Je sais pas, ils font matcher des trucs qui n’ont rien à voir. Moi, j’ai un petit cousin qui est un peu dans la mode, il a 22 piges, il me bluffe, il me perd, j’adore ça tu vois ? Et y en a plein de jeunes comme ça et donc j’ai pas envie de regarder déjà tout ce qui va pas, mais plus me concentrer sur ce qui va bien. J’ai pas envie de leur dire moi personnellement des choses, je veux leur montrer que c’est possible. Je préfère faire que dire. Tu vois ce que je veux dire ?
– Jacques : Moi ce qui me fascine toujours – pareil, comme il le dit – dans ma tête de vieux c’est de voir comme les jeunes arrivent à faire fonctionner les choses qui à notre époque étaient interdites. Tu vois, dans l’art pas exemple ou dans je sais pas quoi. Mais en vrai, c’est toujours ce qui a fait avancer l’art. C’est quand tu t’appropries quelque chose dans ta vie et que t’en fais quelque chose de bien, tu vois ? Et je trouve que tout se porte plutôt bien. J’ai plutôt confiance en cette prochaine génération qui arrive – et pas que dans l’art, dans plein de choses. Ils sont beaucoup plus conscients que moi je l’étais à leur âge en tout cas, de plein plein plein de choses.
– Alix : Puis moi je considère aussi que j’ai beaucoup à apprendre en observant la jeunesse. C’est eux qui sont jeunes.
– Jacques : Nous, on a besoin de nouvelles leçons. On n’a pas besoin de gens qui donnent des leçons. On a besoin de nouvelles leçons qui viennent naturellement…
– Artura : Et justement en parlant de cette jeunesse, y a un truc qui est quand même assez fort chez eux, c’est cette fluidité de comportement entre genres, leur sexualité… Vous, comment vous vous positionnez par rapport à ça ?
– Alix : Je pense à la dernière phrase de Jacques sur « Au Baccara » qui dit « t’es pas la femme de ma vie, t’es la femme de la tienne » bah c’est quand même assez clair 🙂
– Jacques : Ni genre, ni nombre. Pas d’homme, pas de femme, pas de riche, pas de pauvre, pas de vieux, pas de jeune, quoi. Tu prends les gens comme ils sont.
– Mattia : Nan puis c’est vrai que quand t’es quand même un peu bien élevé, ça paraît tellement être une évidence. T’es pas obligé forcément de te dire qu’il faut mettre le doigt dessus. Mais effectivement tu te rends compte qu’en fait tout le monde n’est pas forcément bien élevé, et qu’il faut mettre le doigt dessus. Mais du coup, c’est assez naturel comme mise en avant. C’est pas forcément conscient, ça fait partie d’un tout quoi. Mais c’est bien quand même, il était temps !
– Artura : Ouais, c’est sûr… Mais ça fait du bien, le fait de l’entendre. Parce que même chez les gens « bien élevés », en vrai, on sait très bien que… Là, par exemple, dans l’industrie, ils ont beau être bien élevés…
– Alix : Y a un manifeste là qui a été signé !
– Artura : Oui, Jeanne Added en parlait tout à l’heure…
– Alix : …C’est marrant mais moi c’est peut-être aussi parce que dans ma « fratrie », d’ailleurs y a pas de mot pour le dire autrement – j’ai deux sœurs en fait, une petite, une grande – j’ai quand même plus été au quotidien avec des femmes, mes sœurs, qui sont mes égales. Bref, du coup bon voilà pour moi c’est assez naturel.
– Jacques : Ça aide forcément… Moi j’ai qu’une sœur et c’est pareil, c’est question que je me posais déjà pas quand j’étais petit.
– Mattia : Puis même, si tu l’envisages forcément comme quelque chose de naturel, ça fait quand même se poser des questions. Tu vois, je pense qu’on a toujours respecté les femmes, mais on a fait « Je veux te baiser » qui a été prise pas Delphine Dhilly pour un documentaire sur le consentement sexuel, qui a été produit par France 2, qui justement mettait le doigt là-dessus. Sur le consentement féminin, le désir, le fait de savoir se retrouver… Et quand tu vois des témoignages, tu vois même des mecs qui en gros pensent que quand une fille dit « non » ça veut dire « oui »… Ces questions qui peuvent te parler et entre le jeu de la séduction qui peut être là et en même temps, le vrai désir que peut ressentir une personne, quel que soit le genre. C’est vrai qu’il y a un truc fort dans ce documentaire où la finalité c’est qu’il faut faire de la prévention, faut prendre soin, faut s’assurer des choses et du coup je pense que les jeunes peuvent peut-être un peu plus se dire les trucs. Y a moins de trucs qui restent un peu tabous, enfin ça parle un peu plus, quoi.
– Alix : Delphine d’ailleurs elle a choisi la chanson « Je veux te baiser » parce qu’elle le voyait comme un hymne au consentement : « je veux, tu veux, nous voulons ».
– Mattia : Au moins, c’est clair !
– Artura : C’est ça ! Quand j’ai entendu le titre au début, je me suis dit « ouh là, qu’est-ce qu’ils vont nous sortir comme chanson ? » Et en fait, je me suis dit « mais oui, mais grave ! » et encore une fois, ça fait du bien de l’entendre.
– Jacques : Ça fait du bien de le chanter hein ? (rires) C’est quelque chose qui paraît comme pas naturel alors que c’est ce qu’il y a de plus naturel quelque part…
– Artura : Puis pour les nanas aussi de le dire à haute voix en fait.
– Mattia : C’est vrai que c’est un vrai jeu de séduction quand les filles disent « non ». Ça pouvait vouloir dire « oui »… C’est quand même bien aujourd’hui qu’une femme dans la vie elle puisse dit « oui » sans faire genre « non parce qu’en fait c’est pas ce qu’il faut que je dise ». Mettre des mots sur le désir féminin c’est ça qui est important.
Sur ces bonnes paroles, la demoiselle payée (ou pas) pour surveiller le temps a toqué une seconde fois, nous arrachant de notre moelleuse bulle de sincérité qu’on s’était mutuellement offerte.