Loin du porn chic ambiant, de la vulgarité des corps, des clips de chanteuses dénudées sans intérêt, Joe Wehner est une respiration. De celles qui nous rappellent que l’érotisme peut emprunter deux chemins. Celui du conditionnement, le chemin aisée de la bouche entrouverte, des jambes écartées et des regards aguicheurs. Le chemin du cerveau reptilien. Et puis, il y a le chemin du beau. Celui où l’érotisme fait appel à votre zone érogène la plus puissante mais la plus complexe : le cerveau. Ce chemin, Joe Wehner l’a arpenté de long en large.
Pourtant, son dernier clip, il le réalise pour Gambles, en remettant une GoPro à Chris, un ami du groupe, SDF.
Un changement de style qui nous a suffisamment interloqué pour enfin interviewer Joe Wehner.
You won’t remind it, ton dernier film, marque un énorme changement. Pas de femmes nues. Pas de filtres sexys. Que t’est-il arrivé ?
(Rire) Ne vous inquiétez pas, je reviendrai rapidement à mon style habituel. Matthew (Gambles) et moi, on voulait filmer quelque chose de différent pour ce titre. Cette chanson a des vibrations bien plus sombres que ses précédentes. On réfléchissait et on a pensé à montrer une journée de la vie de Chris. Chris est un sans-abri avec qui Matthew est devenu ami il y a quelques années. On a décidé d’utiliser une GoPro sur la tête de Chris, masquée par un bonnet.
C’était une expérience unique. On voyait tout ce qu’il voyait. Installés à quelques blocks de lui, on a été surpris de voir les bonnes attentions qu’il recevait. C’était une vision optimiste de l’humanité, dans son ensemble plutôt bonne, même s’il ne s’agit que d’un panel restreint à NY.
Le porn chic est partout. En comparaison, tu es très sensuel et romantique. Je dirai même candide.
Merci. Je suis d’accord, le porn chic est une facilité pour attirer l’attention. C’est comme crier très fort. Ça marche. Moi, je préfère parler simplement et voir si les gens m’écoutent.
En fait, je n’ai pas l’impression que le style porno soit mon style. Je ne serai pas capable de réaliser un film d’assez bonne qualité dans ce style pour concurrencer ce marché bien rempli.
Jamais un mot dans tes films, que de la musique. Cela colle parfaitement avec ton style. Mais cela donne aussi une impression nostalgique. C’est une volonté ?
Je crois que j’ai toujours eu un problème pour m’exprimer avec des mots. Je ne suis pas écrivain, donc je dois m’accrocher à ce que je sais faire. Mais, je travaille de plus en plus avec des auteurs, puisque je commence à tourner des court-métrages. C’est d’ailleurs des collaborations très intéressantes.
Donc, oui, c’était volontaire, mais seulement parce que c’était mon unique option.
Chaque clip de Rihanna ou de Miley Cyrus sont plus pornographiques que tes films. Comment perçois-tu l’évolution du sexe à l’écran ?
Le sexe sur écran, ici aux États-Unis, est très contraint. Tout est fait sous la surface ou en coulisses, ce qui le rend encore plus tabou et donc plus marchand. Miley Cyrus fait des films érotiques et elle est un nom très connu. Donc, on ne peut pas dire que ça ne marche pas. Si vous montrez un téton, on parle de vous dans tous les journaux. Mais, les choses s’améliorent, avec les séries sur le câble qui repoussent les frontières de façon plus subtile.
Tout le monde fait l’amour, alors pourquoi en faire une telle affaire ? Tout le monde ne commet pas de crime, et les meurtres sont facilement utilisables dans des films.
Allons plus loin. Que penses-tu du traitement du corps de la femme en général ?
Celle-là est compliquée. Je ne suis pas une femme, donc je ne peux pas dire comment cela affecte la femme moyenne. Pour moi, il est impossible de dire que le corps de la femme n’a pas un immense pouvoir. Mais il serait simplement mieux pour notre société si l’on regardait d’abord les femmes et ensuite l’effet de leur corps. Il semblerait que l’on fasse l’inverse. Mais tenter de désexualiser le corps des femmes n’est pas la bonne solution non plus.
Voyeurisme. Sensualité. Même ta lumière. Tout rappelle le regard d’un enfant. L’innocence, quand nous étions encore plus curieux que réellement attiré. Les fantasmes naissent à cette époque. Après, ce n’est plus que du sexe.
Je suis d’accord. La sensualité, c’est tout ce qui compte. L’innocence qui vient avec la sensualité, la curiosité que cela implique, les fantasmes qui se créent. Voilà des choses qui m’intéressent.
Le sexe a une extrémité où la sensualité ne fait que grandir et devient de plus en plus attirant.
Si vous êtes chanceux, vous n’obtenez jamais ce que vous désirez.
Il y a beaucoup de gros plans dans tes films. La beauté est dans le détail ?
J’ai toujours été plus intéressé par la façon dont une femme caresse son épaule, laisse tomber ses cheveux, croise ses jambes… Et ensuite, juste voir ses seins. Il s’agit d’un instant fugace qui ne peut être retenu, c’est la beauté de la chose. Mon but, c’est de capter l’un de ces rares moments.
Quelle est l’inspiration absolue de la beauté ?
Pour moi, c’est le moment inatteignable. Ce que l’on voit a un effet émotionnel sur nous en disparaissant. Si l’on pouvait obtenir ces choses, elles perdraient de leur pouvoir. C’est tragique, mais c’est ce qui fait sa beauté.
En préparant cette interview, tu nous as dit que tu avais quelques projets en cours. Tu peux nous en dire plus ?
Le livre The Roommates devrait sortir début 2015. Je shoote les 15-20 derniers sujets dans les prochains mois. La série de vidéos arrive en septembre. La première parlera d’une femme introvertie qui devient obsédée par sa colocataire. Ce devrait être marrant.
Puis, un livre et une vidéo sur un vieux professeur qui devient obsédé par une étudiante après avoir eu une liaison avec elle. Celui-là sera plus sombre et psychologiquement plus stimulant que d’habitude. Les Français devraient l’adorer !