Certes elle a été une créatrice de mode, rédactrice pour quelques-uns des plus influents magazines, puis blogueuse, réalisatrice et créatrice du festival du film de mode ASVOFF. Certes. Mais Diane Pernet est avant tout une icône de l’univers de la mode. Style hyper marqué, voix traînante, personnage assumé. Un ton décalé, de l’auto-dérision et un regard amusé sur le monde de la mode. Nous avons eu envie de rencontrer ce mystère ambulant.
En tant que créatrice, critique, talent scout… vos yeux travaillent sur le beau depuis des années. Quelle est votre définition de la beauté ?
C’est quelque chose qui m’émeut et me fait sourire. J’aime le beau sous toutes ses formes. La beauté peut être aussi simple qu’une fleur sauvage, un sourire, quelque chose d’impalpable, un sentiment. Tout simplement quelque chose qui ravit les yeux et réchauffe l’âme.
Créer ne vous manque-t-il pas ?
J’ai créé pour ma propre griffe pendant 13 ans. C’était toute ma vie et, c’est vrai, qu’à l’époque je n’aurai jamais pu imaginer pouvoir m’arrêter un jour. Mais New-York, à la fin des 90’s, n’était pas un lieu agréable, ce n’était pas sur et il n’y avait aucune inspiration. J’ai abandonné ce qui est aujourd’hui l’empire de Marc Jacobs, à l’angle de Bleeker et de la 11ème rue. À cette époque, 80% de mon voisinage était mourant ou malade, et sincèrement, c’était une vraie souffrance à voir. Le Sida a dévasté West Village, sans même parler du reste de NY. En aucun cas je n’ai perdu la flamme de la création, mais je ne pouvais plus vivre à New-York. Je suis parti, je ne l’ai jamais regretté et j’ai embrassé une carrière que j’aime autant que la création.
On a l’impression que l’industrie de la mode est dirigée par les mêmes personnes depuis toujours. Est-ce une réalité ?
J’espère sincèrement que ce n’est pas le cas, parce que nous n’avons pas seulement besoin d’ouvrir la fenêtre, mais aussi la porte. Internet a changé ce qui était le privilège d’une élite. Chacun peut voir et donner son opinion sur ce qu’il voit. C’est pour ça que les gardiens perdent lentement leur pouvoir. C’est un mouvement bon et sain.
Comment jugez-vous l’évolution de cette industrie ?
Ces dix dernières années, la mode a été le jouet des business men. Je ne dis pas que ce n’est pas un business mais il faut plus de reconnaissance pour la créativité. Un équilibre entre créativité, concept et industrie. Je pense qu’il y a du changement dans l’air. Par exemple, ce que Nicolas Ghesquière va apporter à Louis Vuitton. Les gens sont plutôt optimistes dans l’industrie grâce à ces changements.
Avec cette nouvelle génération éduquée au DIY, chacun veut et peut créer son propre style. Cela rend-il votre job plus difficile ou plus intéressant ?
Bien plus intéressant.
Pourquoi Paris ?
Quand j’ai décidé de quitter New-York, ce fut une décision particulièrement difficile. Ma vie était là-bas, j’avais mon business depuis 13 ans et je me suis dit que si je voulais rester dans le monde de la mode, je n’avais que quelques options. Peut-être avais-je tort, mais je me suis dit qu’il y avait Milan parce que j’adore l’Italie et les Italiens et leurs dons, mais je n’étais pas si excitée que ça à l’idée de vivre à Milan. Je m’y sentais un peu à l’étroit. Londres était fantastique, l’énergie est incroyable mais pour une anglo-saxonne ce n’est pas vraiment exotique. Donc, j’ai choisi Paris parce que c’est la capitale de la mode et je crois dur comme fer que ce sera toujours le cas.
La façon dont on s’habille en dit long sur nous. Votre propre style est totalement iconique. Que dit-il sur vous ?
Personnellement, je pense que mon style est parfaitement simple et épuré. En fait, plus qu’un style élégant, j’ai conscience qu’il est inhabituelle.
Croyez le ou non, je ne prête pas tant d’attention que ça à mon apparence. Au fil des années, elle est devenue une fondation facilement reconnaissable, que je fais évoluer constamment en l’accordant à mon état d’esprit ou à mes différentes inspirations. Les gens ne notent pas généralement les subtiles changements au jour le jour. Même pas les professionnels de la mode. Certains ont l’air d’imaginer que je possède une immense garde-robe avec des douzaines de tenues identiques, toutes alignées comme celles d’une femme qui souffre de troubles obsessionnels compulsifs.
Quelques mauvaises langues ont même insinué que je portais la même tenue chaque jour (ce qui n’est pas le cas), comme quoi je n’aurai pas le temps de la laver.
Je comprends qu’il n’est pas facile de remarquer une nouvelle longueur de robe chez moi, un changement de texture, mon dernier accessoire ou n’importe quel détail. Ce n’est pas grave. Et sincèrement, je m’en fiche. Bien que j’aime les couleurs sur les autres, je ne les aime pas sur moi. Personnellement, porter du noir tous les jours me permet de me sentir plus forte. Je suis consciente de l’image que cela renvoie de moi. Mais, non, je ne suis pas morbide, et il n’y pas d’objets occultes ou de chaudron caché dans l’ombre.
Je ne me lasse pas du noir. Même si c’est le cas des autres. Je porte juste ce que je préfère, c’est aussi simple que ça.
Les films de mode utilisent de plus en plus le storytelling. Est-ce que la mode serait moins superficielle aujourd’hui ?
Personnellement ? Je pense qu’après quelques minutes, s’il n’y a pas de narration ou s’elle est trop vague, j’ai des difficultés à maintenir un véritable intérêt. Il y a bien sur quelques exceptions, quand il y a une telle explosion visuelle que ça vous laisse sans voix. Mais ce que j’aime en général, ce qui est le cas, par exemple, pour She Said She Said qui a remporté le Best Acting Prize pour ASVOFF 6, c’est quand le film est joué avec style et sex-appeal, mais avec un relief comique. Donc, vous voyez, en fait je recherche les mêmes choses dans un film de mode que dans un film classique.
Les films de mode doivent allier la beauté et le sens. C’est un peu la quintessence de la réalisation.
Pour répondre, je me référerais au film qui a remporté 3 prix cette année à ASVOFF 6. Holi Holy a une réalisation exquise et une qualité enivrante qui englobe l’atmosphère générale. C’est avec ce scénario coloré que sont présentées des tenues familières mais innovantes avec des racines en Inde, une culture ancienne et riche. Mais le fait que le film rende hommage à la révolution d’une tradition ancestrale qui obligeait les veuves à porter du blanc pour le reste de leur vie et leur interdisait de participer au festival des couleurs d’Holi, porte le film à un niveau supérieur.
Il y a aussi ces gens rencontrés dans la rue qui sont d’une beauté à couper le souffle. Les qualités de ce film sont telles qu’il est comme un long métrage sans dialogue et durant 5 minutes.
Ce film, en un sens, personnalise ce que nous voulons faire avec ASVOFF. Au sens large, quiconque aime les films et porter des vêtements fait partie du public d’ASVOFF. Je ne voulais certainement pas créer un événement élitiste, même si je ne me fais aucune illusion. Je sais que ce n’est pas pour tout le monde. La mode porte déjà de nombreux clichés, et il est vraiment difficile de convaincre les gens que les films de mode pourraient les intéresser bien plus que la mode elle-même. Mais c’est une telle récompense quand on voit cette épiphanie.
Quel est le plus grand film de mode jamais réalisé selon vous ?
Mon numéro 1 reste le film de William Klein, Who Are You Polly Magoo ? . Mais il y en a tellement d’autres. J’adore aussi Puzzle of a Download Child avec Faye Dunaway, l’histoire d’un top et d’un photographe et de l’importance de la mode sur leur vie.
Les Stars est le premier film du prolifique photographe, réalisateur, designer et parfumeur Serge Lutens. Le film a été montré à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes en 1976. Malgré sa réputation, le film est très dur à trouver, même en ligne. C’était donc un immense privilège d’avoir pu le projeter à ASVOFF après tout ce temps.
Avec vous une réaction aux mots de Dorothée Parterre dans Vanity Fair ?
(« …Diane Pernet, prêtresse gothique de la mode qui passe à l’instant telle une veuve fantomatique, coiffée d’un nid de corbeaux et portant ses lunettes de soleil à 23h15 (…) lâche de sa voix rocailleuse quasi-inintelligible : « J’ai lu ton texte à charge sur les films de mode. Tu y vas fort quand même. » Elle se retient de me gifler. compréhensible : elle organise un festival de films de mode, tous aussi soporifiques que vide de sens ».)
En fait l’article a été écrit par Yorgo Tloupas, mais ce n’est pas lui qui l’a signé. C’est un système courant à Vanity Fair. J’ai foncé sur Yorgo lors d’un repas Diesel Reboot et je lui ai dit que ce n’était pas professionnel de faire des remarques désobligeantes sur un sujet qu’il ne connaît absolument pas. Sans parler du fait qu’il n’a jamais participé à l’un de mes festivals, justement parce qu’il ne connaît rien aux films de mode. Il s’est excusé. Il pensait que c’était drôle et certainement pas insultant.