Rationalistes, vulgarisateurs scientifiques et enseignants de sciences et vie de la Terre, attention, cet article risque de vous déprimer. La Fondation Jean-Jaurès et la Fondation Reboot ont commandé à l’Ifop une enquête* auprès des jeunes « visant à mesurer leur porosité aux contre-vérités scientifiques au regard de leur usage des réseaux sociaux ».
Les résultats, consternants, montrent « la sécession d’une partie de la jeunesse avec le consensus scientifique », écrivent les auteurs. Dans cette tranche d’âge des 11-24 ans, plus d’un sondé sur quatre (27 % exactement) souscrit à l’idée que « les êtres humains ne sont pas le fruit d’une longue évolution d’autres espèces » mais qu’ils ont été « créés par une force spirituelle (ex : Dieu) », avec une pointe à 71 % chez ceux qui se disent musulmans.
Marginale chez les séniors (3 %), la théorie de la Terre plate séduit un jeune sur six (16 %), proportion qui double (29 %) chez les habitués de TikTok ! Qui a construit les pyramides d’Égypte ? Des aliens, répondent 19 % des sondés. Ils sont 5 % chez les séniors. Une proportion à peu près égale (20 %) croit que « les Américains ne sont jamais allés sur la Lune ». Là encore, les jeunes qui se disent musulmans sont les plus crédules (46 %), mais les autres croyants, catholiques ou protestants (souvent des évangélistes, précise l’Ifop), sont seulement quelques points derrière.
Nous sachons
Sans surprise à ce stade, 49 % des jeunes estiment que « l’astrologie est une science », contre 43 % en 1999. La croyance dans les esprits gagne 8 points depuis 2004, à 48 %, et la réincarnation progresse de 16 points dans le même intervalle de temps, à 35 % en 2022. L’écart entre les générations est considérable en ce qui concerne le paranormal : 44 % des 18-24 ans croient au mauvais œil, contre 10 % des plus âgés. Idem pour les fantômes : 23 % de croyance d’un côté, 4 % de l’autre.
L’irrationnel est particulièrement fort chez ceux qui utilisent beaucoup les réseaux sociaux. Sans surprise, ils sont nombreux. 69 % des sondés ont consulté les réseaux sociaux dans le mois précédant l’enquête. Un sur dix seulement a ouvert un journal ou regardé un site d’information en ligne de presse écrite.
Avorter par les plantes
L’étude souligne les risques des multiples biais de confirmation organisés par algorithme, dont les jeunes ne semblent pas percevoir la portée. Ainsi, 41 % des sondés qui utilisent TikTok comme un moteur de recherche adhèrent à l’affirmation selon laquelle « un influenceur qui a un nombre important d’abonnés a tendance à être une source fiable ». Même quand ces influenceurs racontent n’importe quoi ? Apparemment, oui. Des voix autorisées sur les réseaux sociaux font la promotion de remèdes à base de plantes, comme l’armoise, pour avorter « naturellement ». Un quart des jeunes y croient. C’est même un tiers (36 %) chez les « utilisateurs pluriquotidiens des réseaux sociaux de microblogging », et la moitié (48 %) chez les utilisatrices de Telegram !
La corrélation entre la fréquence de consultation de TikTok et le taux de croyance est flagrante, pour l’astrologie, la sorcellerie ou la cartomancie. Ceux qui ne vont jamais sur le réseau social sont systématiquement moins crédules que ceux qui y vont tous les jours, avec un écart qui peut aller jusqu’à 13 points en ce qui concerne les envoûtements. Les autres réseaux semblent un peu moins nocifs, sans être anodins pour autant.
Les rationalistes en minorité
À 31 % seulement, les jeunes sondés qui rejettent toutes ces croyances farfelues sont nettement minoritaires. Les filles sont un peu plus crédules que les garçons. 73 % d’entre elles adhèrent à une contre-vérité scientifique au moins, contre 66 % « seulement » des garçons. Le milieu social semble jouer beaucoup. Les rationalistes restent majoritaires dans les catégories aisées, avec 54 % des sondés n’étant ni platistes, ni conspirationnistes, ni adeptes du spiritisme, etc. En revanche, les études immunisent mal contre les croyances loufoques. 59 % des personnes interrogées de niveau master en avouent au moins une.
S’agit-il d’un effet d’âge qui peut s’estomper avec le temps ou d’un effet de génération qui a vocation à durer ? Peut-être un peu les deux, avancent les auteurs. « Les désordres informationnels de l’ère Internet venant sans doute accentuer la perméabilité traditionnelle des jeunes générations à ces croyances surnaturelles », leur manque de discernement atteint des records. La situation s’améliorera avec le temps… ou pas.
Ces résultats préoccupants poussent la Fondation Reboot (qui se donne pour but de développer l’esprit critique) à demander des mesures énergiques. Selon sa porte-parole Helen Lee Bouygues, il est temps de « faire la transparence sur le développement et le déploiement des algorithmes, et notamment des recommandations de contenus qui sont faites ». La fondation verrait d’un œil favorable « une interdiction de la sponsorisation de la désinformation », « avant qu’il ne soit trop tard ».
Source : Le Point
*Sondage par questionnaire autoadministré mené fin octobre et début novembre, auprès de 2003 jeunes de 11 à 24 ans représentatifs de la société française.