Après le défilé Dior où Xavier Niel était venu embrasser Rihanna avec sa femme Delphine Arnault et son beau-père Arnault 1er, il a du aller chez les sauvages, enfin les vrais gens, à Marseille, mercredi 2 mars, avec l’intention de rencontrer une partie des représentants du personnel, l’actionnaire minoritaire du groupe de presse a été mis dehors par le PDG du quotidien.
Mépris, violence, yeux exorbités, bouche pincée sans lèvres, #Niel découvre le réel dans les bureaux de #LaProvence, bien loin de ses bisous baveux à #Rihanna quelques heures avant au défilé #Dior. https://t.co/jJj0CDkx1v
— Apar.tv (@APAR_TV) March 3, 2022
Ce mercredi matin, Xavier Niel, patron de Free s’est rendu au siège de la Provence. En arrivant, devant les journalistes présents l’homme d’affaire s’est faussement étonné de l’agacement provoqué par sa venue.
« Ah bon je ne suis pas le bienvenu? vous n’êtes pas contents que je sois là »?
Et pourtant plusieurs syndicats s’indignent de le voir aujourd’hui. Ils considèrent que le patron de Free essaie de passer en force, alors que l’offre de la CMA CGM est en cours d’examen.
« Nous ce sont nos emplois qui en découlent, il y a une procédure, c’est protégé par le tribunal de commerce de Marseille. Ce qui est très important. Donc là automatiquement aujourd’hui, on se sent un petit peu bafoués dans nos droits, parce qu’il y a un droit qui est là et on veut se défendre », explique Ouiam Edhahbi du syndicat snep sud presse distribution.
A peine 10 minutes plus tard Xavier Niel ressort.
Echange tendu sur le perron du quotidien avec le PDG du journal, Jean-Christophe Serfati .
Xavier Niel prétend avoir été mis à la porte par le PDG, ce que dément ce dernier.
Jean-Christophe Serfati s’en tient à l’aspect légal.
« A aujourd’hui, la majorité des salariés sont complétement contre cette façon de procéder et respectent la loi. Puisqu’aujourd’hui le liquidateur nous a demandé de ne présenter qu’une offre« , explique Jean Christophe Serfati PDG de La Provence.
Pour certains syndicats c’est une déception, ils auraient aimé entendre Xavier Niel.
« Aujourd’hui il y a en effet une décision de justice qui a figé dans le marbre le fait que la consultation telle que la prévoit le droit du travail, n’aura lieu que sur l’offre la mieux-disante du point de vue du liquidateur. C’est à dire celle de Monsieur Saadé. Sauf que lorsqu’on dit mieux-disante du point de vue du liquidateur, c’est uniquement la somme d’argent qu’on met sur la table pour rembourser la dette envers l’Etat. Nous ce que l’on veut, c’est pouvoir confronter deux projets qui sont différents, qui ont chacun leur intérêt et on nous prive de cette confrontation aujourd’hui » explique Marie-Cécile Bérenger du syndicat CFDT La Provence.
L’offre à 81 millions d’euros de la CMA CGM sera soumise aux salariés dans 3 semaines. Xavier Niel aura alors la possibilité de faire valoir son droit de préemption pour proposer légalement une nouvelle offre.
Petit retour chronologique
Suite au décès de son patron Bernard Tapie, le quotidien régional devait trouver un repreneur. Pour racheter les 89% des parts, les candidats au rachat avaient jusqu’au 30 novembre 2021 pour se faire connaître.
Sur quatre candidats potentiels, deux d’entre eux ont finalement déposé une offre à Me Xavier Brouard, le liquidateur judiciaire du groupe détenu par Bernard Tapie jusqu’à son décès.
D’un côté, le fondateur de Free, Xavier Niel. De l’autre, le géant marseillais du transport maritime, la CMA-CGM.
Le premier apparaissait comme le repreneur naturel du titre et part favori : sa holding NJJ détient déjà 11% du capital de ce journal tandis que Bernard Tapie détenait les 89% restants.
Ce qu’avait rappelé le syndicat national des journalistes dans un communiqué du 21 octobre : « Il faut savoir que déjà présent dans la Provence, NJJ a clairement une longueur d’avance, d’autant qu’un pacte d’actionnaires passé avec GBT lui accorde une préférence. »
Xavier Niel a également racheté le groupe Nice-Matin en 2019. Il n’hésite pas à parler d’une « marque puissante inscrite dans notre patrimoine régional et national » pour décrire La Provence.
Le second a presque créé la surprise. Le groupe CMA-CGM, troisième armateur mondial et présidé par Rodolphe Saadé, emploie 110.000 personnes à travers le monde.
Il avait déjà tenté de prendre pied à La Provence en 2019, sans succès. Très attaché au quotidien marseillais, Rodolphe Saadé explique vouloir « écrire une nouvelle page de l’histoire » du quotidien régional.
Dans un courrier adressé aux représentants du personnel, le président de CMA-CGM s’engage à conserver l’indépendance de la rédaction. « Il n’y aura pas de licenciement économique« , ajoute celui qui veut aussi donner une nouvelle dimension numérique au quotidien.
Le 11 novembre, le tribunal de commerce de Marseille a suspendu le pacte d’actionnaires qui offrait un droit de veto à Xavier Niel, en tant qu’actionnaire minoritaire, sur tout candidat au rachat des 89% de GBT (Groupe Bernard Tapie).
La clause d’agrément « fait obstacle au processus de réalisation des actifs de la liquidation judiciaire du Groupe Bernard Tapie (..) et constitue un trouble manifestement illicite« , écrivait le juge du tribunal de commerce de Marseille dans son ordonnance de référé.
Une décision dont a fait appel Xavier Niel.
Les salariés veulent être concertés
Les offres déposées le 30 novembre dernier, par ces deux candidats n’ont pas été étudiées alors que le liquidateur lance une nouvelle procédure d’appels d’offres.
Le 1er février, un deuxième appel d’offres a été lancé par les coliquidateurs judiciaires, les candidats pouvant déposer leurs dossiers jusqu’au 14 février à midi pour une ouverture le lendemain.
« Nous ce que l’on veut c’est que cela aille vit, que ce soit concurrentiel, avec un volet social, et pouvoir donner notre avis sur le futur repreneur. on a l’impression que ce dossier est parti pour des mois de procédures qui se télescopent et que les salariés sont complétement tenus hors-jeu » , explique Sophie Manelli, du syndicat national des journalistes.
Une liquidation arrangée d’avance?
« Nous on tenait à témoigner à la fois de nos inquiétudes, de notre colère et de notre indignation. On a l’impression que les 850 salariés sont pris pour des imbéciles dans une affaire où on est pris au piège et otages de petits arrangements entre amis ce qui est parfaitement scandaleux », explique Julie Sanguinetti FO, Corse-Matin.
« On nous impose cette nouvelle procédure alors que personne n’a jamais vu les
offres des deux candidats« , constate Catherine Swarcz, avocate des requérants,
évoquant « un trouble manifestement illicite » pour les représentants des salariés
qui ont le droit d’être informés et de donner leur avis sur la procédure en cours.
Le tribunal de commerce de Marseille était saisi en référé par trois des six CSE (comité social et économique) du groupe La Provence, avec le soutien du Syndicat des journalistes SNJ de La Provence et FO et CGT de Corse Matin. Ils lui ont demandé d’ordonner le transfert à Marseille des premières offres déposées à Bobigny et leur ouverture. Mais à l’audience, l’avocate de la société « Avenir Développement », contrôlée par Xavier Niel, a expliqué que cette demande des CSE « n’avait plus lieu d’être », son client ayant déjà récupéré l’enveloppe contenant son offre au tribunal de commerce de Bobigny.
Les avocats les deux liquidateurs judiciaires et du quotidien La Provence ont de leur côté contesté la recevabilité de la procédure engagée par les CSE à Marseille, considérant notamment que seul le tribunal de commerce de Bobigny était compétent sur la question des offres de rachat. Dans sa plaidoirie, Me Swarcz a justifié l’urgence de sa saisine par « les risques sociaux, psychologiques et les tensions palpables » au sein du quotidien liés à la procédure de reprise en cours, en regrettant que l’intérêt des salariés passe au second plan.
La diffusion de La Provence, un des quotidiens phares du sud-est de la France, affiche une baisse régulière ces dernières années, passant d’environ 100.0000 exemplaires quotidiens en 2017 à environ 75.000 aujourd’hui.
Le groupe La Provence détient également le quotidien régional Corse-Matin.
Les sociétés de Bernard Tapie, l’homme d’affaires décédé en octobre, sont en liquidation judiciaire depuis 2020 et ont été condamnées à payer environ 400 millions aux structures gérant le passif du Crédit Lyonnais.