Elle a un nom qui sent les globules bleus et la bienséance. Et de la bienséance, Sarah De Vicomte en a. Suffisamment, pour ne pas apprécier le porno à l’ancienne. Un art cinématographique qui pouvait se borner à ses codes traditionnels tant que son mode de diffusion passait par des VHS louées en douce, ou les films de Canal visionnés sans le son pour ne réveiller personne. Mais dès lors qu’internet a permis une consommation instantanée et boulimique du porno, les choses ont changé. Promis, à la trentième éjaculation faciale de la journée, vous ne trouvez plus ça excitant. Et on ne parle même pas des orgasmes surjoués.
Faire du porno autrement, ce n’est pas une nouveauté. De John B. Root à Ovidie, beaucoup y travaillent. Mais Sarah De Vicomte est une fille d’internet, de la culture porno, comme le Tag Parfait a su la démocratiser. Rédactrice pour Barbi(e)turix et réalisatrice. Enfin, presque réalisatrice. Justement, Sarah fait appel aux dons pour réaliser son film dont le teaser se trouve sagement à la fin de ce post. On a donc posé quelques questions à Sarah.
Tu cherches des fonds pour réaliser un porno autrement. Beaucoup de questions découlent de cette simple phrase. D’abord, comment on en vient à avoir envie de réaliser du porno plutôt que du cinéma tradi ?
Alors, j’ai déjà eu les fonds, je vais faire en sorte de continuer à être financée en mettant un accès à mon film sur le net pour pouvoir financer plus de courts métrages pornos ! Hum, j’écris des articles de cul depuis quatre ans sur Barbi(e)turix et à force d’avoir écrit sur le porno fait par les autres, j’ai eu envie d’en faire. Je pense que la sexualité et ses représentations sont bien malmenées et je trouve que la sexualité est un sujet bien trop important pour le laisser dans les mains seules de mecs hétéros cis (contraire de trans, ndlr) blancs, du coup, j’ai pris la caméra et je l’ai fait, car j’avais déjà des idées là dessus, tout simplement. En fait, c’était presque évident de passer par là.
Plus jeune déjà, le porno m’intéressait en tant que médium de la sexualité, et il m’intéresse toujours autant !
Ensuite, ça veut dire quoi du porno autrement ? Quel est le souci avec le porno actuellement ?
Le porno mainstream, aujourd’hui, est non seulement mal fait, mais bon, chacun et chacune ses goûts, il ne respecte souvent pas les femmes et les hommes qui tournent dans ce genre de porno, les conditions sont parfois catastrophiques, la présentation de la sexualité y est assez tronquée et il est majoritairement réalisé par des mecs hétéro cis et blancs, et il est temps que les femmes soient derrière la caméra.
À chaque fois qu’on parle de faire du porno autrement, il y a une réflexion féministe sous-jacente. Est-ce indissociable ?
Je pense que ça l’est, indissociable, indiscutablement. D’une certaine manière, ne serait-ce que faire un porno dans lequel les conditions de tournage sont respectées et les actrices le sont également, c’est féministe.
Le porno est aussi mené par des impératifs visuels. Le plus connu étant bien sur de voir l’éjaculation, d’où l’omniprésence de l’éjac face. Comment penses-tu montrer l’orgasme masculin ?
Je fais des pornos lesbiens, donc la question ne se pose pas. Misungui éjacule dans mon porno même si ça se voit peu car je suis focalisée sur son visage, mais on l’entend. La suggestion, parfois aussi c’est chouette.
John B. Root avait déjà tenté de faire un porno plus féministe en donnant les clés de ses films à ses actrices. Il en résultait de très bons films d’ailleurs. Pourquoi ça n’a pas pris selon toi ?
J’imagine que certaines personnes ne sont pas prêtes à ce genre de film. On est formaté, nos fantasmes sont également formatés. Bien que je regarde moi-même du porno mainstream, je sais que les fantasmes que j’ai sont formatés. Ça ne m’empêche pas d’en regarder cependant. Mais regarder de plus en plus de porno queer a véritablement ouvert mes champs d’exploration de ma propre sexualité. Donc j’imagine que ça va venir.
Au-delà du porno, c’est tout le corps de la femme qui reprend une nouvelle place. On a une amie à Apar, Sophia Wallace, qui travaille pour faire connaître cet organe méconnu : le clitoris. Moi qui suis un homme, explique moi : comment on appréhende son corps socialement et sexuellement quand on devient une femme ?
C’est dur. On est sous pression constamment, on parle peu de masturbation féminine, tout est centré sur la bite. La masturbation féminine est taboue, même en France, même aujourd’hui. Moi, j’ai eu de la chance, j’ai des parents super ouverts, mais les autres… En ce qui concerne ma propre sexualité, ça allait, mais mon propre corps, j’ai passé toute mon adolescence à le détester et encore ce n’est pas gagné. Mais bon, ça dépend des femmes. Toutes les femmes ne le vivent pas pareil, donc je ne peux parler que pour moi.
Sur ta page facebook, tu te décris comme refusant de se soumettre aux stéréotypes de genre. Très en vogue comme réflexion. Mais entre : éviter d’acheter des voitures aux garçons et des dînettes aux filles ; et utiliser le pronom neutre, comme en Scandinavie, pour parler des bébés. Il y a un gap. Comment tu penses défendre l’égalité des sexes ?
Vaste question. Je pense que participer à la représentation de la sexualité des femmes ou des personnes queer et à une dédiabolisation aussi, ça aide. Ensuite, ne serait-ce que faire attention avec les enfants dans ma famille, au quotidien, éduquer les gens, parler, discuter. Tout ça, ça aide à combattre les stéréotypes de genre.
Il y a aussi des méconnaissances de la sexualité masculine, comme de croire qu’éjaculation = orgasme. Ou que l’homme jouit à chaque coït. Cette méconnaissance des deux sexualités est-elle toujours la conséquence de tabous ancestraux, ou le porno a-t-il renforcé le phénomène ?
On est plein de stéréotypes issus d’une culture judéo-chrétienne. Si la majorité des gens pensent que orgasme = éjac, c’est parce qu’on est dans une société qui a plus assimilé le sexe à la reproduction qu’au plaisir sexuel tout court. Il y’a beaucoup de travail encore à faire sur ça.
Le sexe, pour toi, c’est quoi ?
Le sexe, pour moi, c’est une forme de communication et d’amour. 🙂