Tantôt il ne se souvenait pas, tantôt il s’agissait d’« humour ». Ce lundi 24 octobre, alors qu’il comparaissait devant le tribunal correctionnel de Paris pour « corruption de mineurs aggravée » dans le cadre de trois affaires distinctes, l’animateur de CNews n’a eu de cesse de passer d’une stratégie à l’autre. Tout de noir vêtu, le prévenu a gardé la tête droite pendant les huit heures du procès. Le regard rarement fuyant, la voix moins véhémente qu’à l’antenne, Jean-Marc Morandini a adopté une attitude qui, à plusieurs reprises, a déconcerté l’assistance.
Dès le départ, le ton a été donné. Une demande de huis clos formulée par ses avocates, Me Corinne Dreyfus-Schmidt et Me Céline Lasek, qui craignaient le « déferlement médiatique », a été rejetée. Les parties civiles, elles, ne le souhaitaient pas. Et pour cause : deux des plaignants, âgés de 15 et 16 ans au moment des faits, étaient présents. Ils ont eu « le courage de venir », a souligné Me Anthony Mottais, avocat de l’un d’entre eux. Ils ont aussi eu celui de témoigner à la barre.
Parmi eux, Simon (les prénoms ont été changés). C’est la première fois qu’il relatait son histoire. En mai 2015, ce collégien de troisième a 15 ans quand il contacte Jean-Marc Morandini sur Twitter. « J’étais fan, j’avais un sentiment de fascination », explique le jeune homme, qui sollicite l’animateur dans l’espoir de décrocher un stage. Il obtient un refus, mais ce dernier lui fait miroiter d’assister à une émission qu’il anime sur Europe 1 et de lui faire visiter les locaux de la radio.
Six mois plus tard, les échanges quasi quotidiens prennent alors une connotation sexuelle. « Il a appris que je faisais du foot. Il m’a demandé si la nudité me dérangeait, si je regardais les autres qui prenaient leur douche. J’ai trouvé ça étrange, mais j’ai répondu. Il m’a aussi posé des questions sur mon orientation sexuelle. J’ai répondu que j’aimais les filles », a-t-il raconté lors de son audition.
Avec insistance, l’animateur demande alors à Simon de lui envoyer des photos de lui nu. L’adolescent essaye « de gagner du temps », esquive tant bien que mal. Au procès, des extraits sont lus :
Simon : « Ça devient très très bizarre comme conversation. »
« C’était une blague, un défi […]. On était dans l’humour », se défend l’animateur de 57 ans. La présidente le pousse dans ses retranchements : « Quand vous réclamez une photo d’un adolescent nu à 41 reprises en 50 jours, est-ce que vous estimez que c’est une blague ? » « Oui », répond succinctement le prévenu.
J-M. M. : « Bah, on arrête alors, mais j’attends ma photo. »
Simon : « En fait, je suis mineur. Donc, je ne veux pas de problème. »
J-M. M. : « En même temps, il n’y a rien de grave. Tu t’amuses comme tu veux. »
Mis sous pression dans ce « jeu » aux allures de « cap ou pas cap », Simon, qui maintient tout au long des échanges un vouvoiement avec son interlocuteur, finit par lui envoyer une photographie d’un sexe d’homme qu’il a trouvé sur internet. A la barre, ému, le jeune homme aux lunettes rondes et à l’allure fluette raconte avoir ressenti un « fort sentiment de honte » :
« Il fallait que je tienne et j’ai fini par craquer, par lui envoyer une photo. Je me suis senti con de craquer aussi facilement. A 15 ans, on est juste insouciant. […] Ce n’était pas de l’humour. Je voulais travailler dans les médias. C’était la seule porte, le seul contact possible et je n’ai pas voulu la refermer. »
Des « petits warnings » ?
Si Jean-Marc Morandini n’a pas contesté qu’il connaissait l’âge de Simon, il a maintenu ne pas avoir été informé de la minorité de Raphaël, dont le cas a été abordé un peu plus tôt au cours du procès. « Quand j’ai su qu’il était mineur, j’ai arrêté », s’est défendu le prévenu. Les faits remontent au printemps 2013. Raphaël, 15 ans, « fasciné » par le monde des médias, avait lui aussi échangé avec l’animateur sur Twitter. Là encore, la conversation d’abord anodine avait, très vite, dérapé.
Il y était question d’un plan à trois, mais aussi d’un scénario fictif de fellation. « MDR tu es si coquin derrière ton air sage », « Est-ce que tu veux la toucher aussi ? », « Est-ce que tu bandes ? ». Les messages lus à l’audience sont crus, sans équivoque.
« Il y a un lien qui s’est créé entre nous. Est-ce qu’il y a séduction ? La réponse est oui », indique Jean-Marc Morandini qui dit avoir trouvé dans cet échange « une soupape de décompression » à ses heures d’antenne. La présidente, peu convaincue par les déclarations du prévenu concernant sa non-connaissance de l’âge de Raphaël, lui demande s’il n’a pas eu « des petits warnings », notamment quand celui-ci lui indique que sa mère lui fait réciter sa leçon d’histoire. Réponse : « Mes parents m’ont fait réciter mes leçons jusqu’à mes 20 ans. »
« Est-ce que vous tweetez avec n’importe qui ou est-ce que vous avez une idée de la personne avec qui vous tweetez ?, l’interroge Me Francis Szpiner, avocat d’un des plaignants et de l’association la Voix de l’enfant qui s’est constituée partie civile dans cette affaire.
– A partir du moment où il n’y a pas de rencontre, oui, répond Morandini. Quand j’échange des messages privés, je ne regarde pas avec qui j’échange.
– C’est très imprudent de votre part.
– Je m’en aperçois. »
Raphaël a depuis renoncé à sa constitution de partie civile pour échapper à la pression médiatique.
Un « traquenard »
Le cas de Clément est un peu différent, car chez lui il n’y avait pas la moindre admiration à l’égard de Jean-Marc Morandini. En 2009, cet adolescent de 16 ans inscrit sur un site de casting reçoit un e-mail d’une certaine Claire – pseudonyme dont l’enquête montrera qu’il appartient à l’animateur. Les échanges évoquent un film sur « le mal-être des adolescents ». En réalité, il s’agit d’une adaptation de « Ken Park », film du réalisateur américain Larry Clark réputé pour sa violence et ses scènes de sexe interdit à la diffusion aux moins de 18 ans.
L’adolescent, dont la mère assure avoir eu Jean-Marc Morandini au téléphone et lui avoir rappelé l’âge de son fils, se serait rendu alors au domicile parisien de l’animateur en vue d’y passer un casting. Le prévenu lui aurait alors demandé de se dénuder, pris des photographies de lui, rabaissé son physique, puis lui aurait demandé de se masturber. Clément refuse et quitte les lieux « choqué ». Jean-Marc Morandini conteste les faits. Sur la quinzaine de jeunes hommes qu’il dit avoir rencontrés pour ce projet – dont il n’a pas parlé à ses proches et pour lequel il n’a pas entamé de démarches d’acquisition des droits –, il ne se souvient pas de Clément. « Ça n’a pas pu se passer comme ça », ajoute-t-il.
« Je suis navré qu’il ne s’en souvienne pas, déclare à l’audience la victime présumée, qui a connu plusieurs épisodes d’anorexie entre ses 16 ans et ses 19 ans. Les remarques sur mon corps m’ont traumatisé. J’ai dû apprendre à passer outre. Je suis désolé qu’il y a des gens qui sont amnésiques. » Pour Me Francis Szpiner, son avocat, il ne fait aucun doute que ce casting était un « traquenard ». « M. Morandini se sert de sa notoriété et c’est un prédateur », a-t-il déclaré lors de sa plaidoirie.
Le procureur général a requis une peine d’un an d’emprisonnement intégralement assortie d’un sursis probatoire, ainsi qu’une obligation de soins et d’indemnisation des victimes. Les deux avocates du présentateur, elles, ont plaidé la relaxe, déplorant notamment de ne pas avoir l’intégralité des discussions mais uniquement des extraits. Le jugement a été mis en délibéré au 5 décembre. Au printemps 2023, un second procès attend Jean-Marc Morandini pour le « harcèlement sexuel » d’un comédien, majeur, dans le cadre d’un casting pour une websérie érotique et « travail dissimulé ».
Source : nouvelobs.com