- Samedi soir, en live, la TikTokeuse Ophenya a fait la promotion d’une application de rencontres pour adolescents, nommée Crush.
- De quoi alerter les internautes ces derniers jours. La plateforme serait dangereuse pour les plus jeunes qui risqueraient de se retrouver face à un utilisateur malveillant qui aurait créé un faux profil. Le fondateur de l’application Crush l’assure toutefois : tout est sécurité. Ce mardi, une mise à jour de l’application a été effectuée pour répondre aux craintes des internautes.
- Toutefois, la promotion d’Ophenya reste problématique. Aucune prévention n’a été faite et la transparence quant à la collaboration commerciale manque également à l’appel.
« C’est parti, vous pouvez tous aller sur l’application Crush. Vous cliquez tous sur le lien et vous la téléchargez ». En direct sur TikTok, ce samedi soir, Ophenya – créatrice de contenus suivie par 5 millions d’abonnés sur la plateforme et 800.000 personnes sur Instagram – a vanté les mérites d’une application de rencontres pour adolescents. Une flamme violette pour logo, le concept est simple : « Trouver qui crush sur toi en secret ». Pour Ophenya, Tiktokeuse favorite des plus jeunes notamment pour son engagement contre le harcèlement scolaire et « cupidon 3.0 » selon sa propre bio, le concept est tout simplement génialissime. « Tout est positif, il n’y a pas de négativité ».
Pas de négativité, on n’en mettra pas notre main à couper. Sur le papier, Crush aide les jeunes collégiens et lycéens à trouver qui dans sa classe ou dans son établissement a un faible pour l’autre. Pour cela, les utilisateurs répondent à des sondages anonymes sur leurs camarades. « Toujours positifs », souligne Marc Allain, le créateur de l’application invité sur la vidéo d’Ophenya. L’application se veut également sécurisée, promet la jeune femme de 24 ans. « Il n’y a pas de possibilités d’envoyer des messages directs », insiste le fondateur.
Mais depuis la promotion, c’est le déferlement sur les réseaux sociaux. Un regret pour le cofondateur. Au téléphone, Marc Allain l’assure : l’idée partait d’une bonne intention. « Il y a une part de personnel » dans sa création. Victime de harcèlement scolaire lors de son adolescence, le fondateur souhaitait trouver un moyen pour lutter contre l’exclusion de jeunes. « Nous ne l’avons pas présenté comme tel car c’est moins sexy, donc les potentiels utilisateurs ne seraient pas allés dessus. Je voulais surtout un truc cool et fun entre potes ».
« Le pire qu’il puisse faire c’est de répondre à des sondages anonymes »
Pourtant il y a effectivement un couac. Sur l’application Crush, le jeune utilisateur dévoile de nombreuses informations à son propos : son âge, sa localisation, son établissement, son niveau scolaire, ses comptes sur les réseaux sociaux… et plus si affinités. Une mine d’informations non négligeable pour toute personne mal intentionnée qui la téléchargerait. Ce serait par exemple le cas d’Anthony, 12 ans, en classe de 5e au collège Leonard de Vinci de Levallois-Perret. Sauf que ce jeune homme – qui aimerait secrètement Marion – n’a jamais été scolarisé dans l’établissement des Hauts-de-Seine. Non parce qu’il habite autre part, mais surtout parce qu’il n’existe pas. Anthony est seulement notre faux profil pour rentrer en immersion dans l’application.
En deux minutes, montre en main, l’inscription est faite. Seules quelques questions auxquelles répondre pour nous identifier, sans trop en dire sur nous. Mais rien de plus, pas de vérification. Comme souvent, ces applications sans la moindre sécurité font courir le risque d’intrusion malveillante. Si ce n’est pas un journaliste trop curieux dans le meilleur des cas, on pourrait imaginer également la présence de pédocriminels sur la plateforme. Toutefois, le cofondateur de l’application Marc Allain l’assure : « Même au pire des cas si Michel, 45 ans, arrive sur l’application, le pire qu’il puisse faire c’est de répondre à des sondages anonymes sur des gens qu’il ne connaît pas uniquement avec leur prénom ».
L’âge des utilisateurs ajusté
Pour accéder à ces fameux sondages, il faut ajouter au moins quatre amis. Puis défile une liste de questions : avec qui aime-t-on faire du sport, la personne pour qui t’écrirais des chansons, celui qu’on aimerait voir dans nos messages privés, celui qu’on admire en secret. Parmi les réponses, les noms de nos amis. Tess, Mélanie, Emma. L’embarras du choix pour Anthony, notre faux profil. Mais sans aller jusqu’au faux compte, l’application propose des rencontres pour les jeunes entre 10 et 21 ans, soit entre des personnes mineures et majeures qui pourraient avoir jusqu’à onze ans d’écart. Face à cette crainte des internautes, Marc Allain a souhaité réajuster son tir. Depuis ce mardi matin, l’application n’est dédiée qu’aux 13-18 ans. « Il n’y avait malheureusement pas de solution technique pour s’assurer de la minorité des utilisateurs », justifie-t-il rappelant une nouvelle fois la volonté de créer des contacts indirects.
Rajoutons à cela les coûts engendrés par l’application qui à première vue est gratuite. Pourtant, au fur et à mesure, tout devient payant. Pour découvrir qui nous aurait envoyé une flamme et lui parler, mais aussi pour répondre à de nouveaux sondages sans attendre une heure. Pour la modique somme de 3,99 € par semaine, le mode « Divinité » offre deux révélations de noms, une alerte crush secret ou une apparition plus fréquente dans le sondage des autres. Une somme importante pour des jeunes adolescents qui n’ont pour la majorité que de l’argent de poche.
Un succès auprès des fans d’Ophenya, mais un manque de transparence
Outre les risques de l’application, le lien entre une créatrice de contenus populaire et un éditeur pose problème tant les dangers de la plateforme ne sont pas bien expliqués auprès de sa jeune communauté. « Je n’aurais jamais sorti une application avec le moindre risque. C’est pour cela que j’ai explicitement refusé d’ajouter des messages privés », défend désormais Marc Allain. Pourtant la prévention manque à l’appel lors du live. Samedi soir, Ophenya a davantage invité ses abonnés à se rendre sur l’application et à laisser des notes positives. Depuis sur l’App Store, Crush récolte l’excellente note de 4,7 étoiles et se hisse à la huitième place dans la catégorie « Réseaux sociaux ». Les commentaires sont unanimes. La plupart semblent d’ailleurs venir des abonnés d’Ophenya. « Je trouve cette application vraiment incroyable ». « Ophenya, ton application est superbe, j’espère que cette application va aider beaucoup de personnes ». « Merci le génie et merci Ophenya pour cette application ».
Si Ophenya n’en est pas la fondatrice à proprement parler, son rôle n’est pas réellement transparent. Lors de son live, il n’a pas été notifié la moindre collaboration commerciale. Pourtant, depuis la loi du 9 juin 2023 visant à encadrer l’influence commerciale, les partenariats commerciaux doivent être obligatoirement explicités. Les vidéos du live et de l’entretien avec le fondateur de l’application, Marc, ont disparu du compte TikTok d’Ophenya. Contactée par 20 Minutes, la créatrice de contenus n’a pas répondu à nos demandes concernant ses choix.
Une structure vide pour le moment
Reste une dernière crainte pour les utilisateurs : l’origine de l’application. Sur TikTok, tout a été scruté. Le LinkedIn de Marc Allain, son site Epic App, son titre de « développeur ». Ce dernier l’assume, cette application, il en est le père. Son nom figure bien sur l’App store. Quant à son entreprise appelée « Epic App », spécialisée dans le développement d’application, elle servirait uniquement de structure pour héberger ses futures applications. Mais pour le moment, son chiffre d’affaires ne lui permet pas de la structurer plus. D’où les quelques inexactitudes sur son site. « Ce n’est qu’une pauvre page victime avec les informations vides », justifie Marc Allain dont l’application est toujours en cours d’immatriculation. « Ça prend du temps ».
Les craintes liées à l’application ne viennent pas de nulle part. Crush n’est pas la première plateforme à voir le jour pour proposer aux plus jeunes des rencontres. En août dernier, le site Rencontres ados offrait des espaces de conversation pour les 13-25 ans… des espaces trop libres où s’incrustent parfois des prédateurs sexuels. A l’époque, sur France Info, la secrétaire d’État en charge de l’Enfance Charlotte Caubel avait rappelé la nécessité de réglementer ces sites. « Depuis l’été 2022, nous avons une loi qui impose aux sites d’obtenir l’autorisation des parents pour que les moins de 15 ans puissent s’inscrire sur ces sites. Nous sommes engagés pour que le décret d’application de cette loi sorte très vite ».
Source : 20 Minutes