Il y a une question que les clients posent souvent aux travailleurs du sexe : “Quel est votre vrai nom ?” C’est une façon de prendre le pouvoir. Ce qu’ils veulent dire, c’est : “Je sais que vous contenez des multitudes et j’ai le droit de les connaître.” Parce qu’ils ont payé, après tout.
Ceux qui me posaient cette question étaient généralement persuadés que nous entretenions une relation (amoureuse ou sexuelle) pour laquelle ils n’auraient pas été obligés de payer si nous nous étions rencontrés dans d’autres circonstances. Quand ils se montraient trop insistants, j’aimais bien la leur retourner.
“Je m’appelle vraiment John”, disaient-ils par exemple, amusés par l’idée qu’ils auraient eu plus à cacher que moi.
“Moi aussi”, répondais-je avec un clin d’œil.
Pendant presque dix ans j’ai été “maîtresse Natalie”, une dominatrice professionnelle. Avoir de l’humour et un esprit taquin est un atout dans ce travail.
“Je ne suis pas seulement celle que vous voyez”
Je n’ai pas toujours éludé cette question. Il m’arrivait parfois de répondre honnêtement en disant que mes amis m’appelaient Chris. C’était une façon de sortir du jeu de pouvoir. Ce que je voulais dire, c’était : “Je contiens des multitudes et je veux que vous sachiez que je ne suis pas seulement celle que vous voyez maintenant.”
Je me disais que ces clients étaient différents, jeunes comme moi, ou étudiants en doctorat comme moi, ou queer comme moi. J’avais besoin de croire qu’ils voyaient celle que j’étais vraiment derrière les corsets, les faux cils et les cuissardes.
Révéler mon vrai nom a toujours été une mauvaise décision. Les bonnes raisons de le faire ont été très rares. Un faux nom est une limite, et certains clients n’ont aucun problème à franchir les limites fixées par un travailleur ou une travailleuse du sexe.
Je reçois aujourd’hui encore des e-mails d’une cliente qui a commencé à me harceler après que je lui ai donné mon prénom.
“Chère Chris, un jour je construirai une maison et j’espère que vous y vivrez avec moi.”
“Chère Chris, vous êtes l’amour de ma vie.”
“Chère maîtresse Natalie, la première fois que je suis venue vous voir, j’étais nerveuse et vous m’avez mise à l’aise. Aujourd’hui, je me rends compte que j’ai fait exploser mes limites avec vous.”
J’essaie d’ignorer ces messages, mais c’est difficile. Cette femme me fait peur. Elle faisait également peur à ma petite amie de l’époque. Elle consultait ma liste de souhaits sur Amazon pour m’envoyer des cadeaux qui s’entassaient devant ma porte pendant mon absence.
“Ne t’inquiète pas, bébé, disais-je à ma petite amie. Elle ne connaît pas mon nom de famille. Elle ne sait pas où nous habitons.” Mais je n’en étais pas sûre.