Parcours d’une profileuse hors norme
Le chemin de Nadine Touzeau vers le profilage est atypique. Ancienne cadre dans le commerce et la communication au sein de grands groupes internationaux, elle opère un virage dans sa carrière au tournant des années 2000. Un drame personnel – la perte de son époux – la pousse à « développer l’humain » plutôt qu’à rester dans la course effrénée du monde des affaires. C’est ainsi qu’elle découvre ses aptitudes naturelles pour profiler autrui. À l’époque, elle ignore presque tout de ce métier popularisé par les séries télévisées. « Je ne connaissais pas le mot, je refusais même que mon employeur m’appelle ainsi » confie-t-elle, expliquant qu’un client anglo-saxon fut le premier à lui dire qu’elle était profiler. Déterminée, elle se forme alors aux sciences du comportement et obtient un diplôme spécialisé en détection du mensonge (Lie to Me en version réelle) : la certification Paul Ekman International, réputée pour son enseignement aux cadres du FBI, de la CIA ou Scotland Yard. Ce diplôme – « le seul au monde sur la détection du mensonge, des micro-expressions et des émotions » – lui confère une expertise rare, à valeur juridique internationale.
Armée de ce bagage, Nadine Touzeau se lance dans le profilage criminel. Elle débute en tant qu’indépendante, testant ses méthodes sur le terrain et peaufinant sa technique. Rapidement, son talent attire l’attention au-delà des frontières. Sollicitée sur plusieurs continents, elle finit par être reconnue par ses pairs et même par certains organismes officiels. Selon son site, de grands services de défense l’auraient classée parmi le top 3 des profilers mondiaux, aux côtés d’un Américain et d’un Israélien. Parallèlement, elle commence à transmettre son savoir : elle intervient comme formatrice, et aurait même enseigné dans des institutions spécialisées (École de gendarmerie de Moramanga à Madagascar, École de criminologie IHECRIM à Paris). Ces expériences témoignent d’un parcours professionnel oscillant entre le monde académique, le conseil en sécurité et le terrain de l’analyse criminelle.
Expertises en profilage et net-profiling
Ce qui distingue particulièrement Nadine Touzeau, c’est son investissement pionnier dans le net-profiling, c’est-à-dire le profilage des criminels opérant dans le monde virtuel. Constatant dès le milieu des années 2000 que « l’espace virtuel » nécessitait une approche spécifique, elle s’attelle à adapter les outils du profiler classique aux cyberdélinquants. Le principe reste similaire : collecter un maximum d’indices sur la personne – comportements, émotions, langage verbal et corporel – et les analyser pour dresser un portrait psychologique. Mais dans le cas des cybercriminels, il faut compléter l’observation humaine par une analyse de l’environnement digital, en cherchant des indices dans les écrits, interactions en ligne ou modes opératoires techniques. Nadine Touzeau explique ainsi que le profiling traditionnel permet de comprendre « qui sont ces personnes, leur caractère, leurs failles, leurs goûts, leur mode de vie… », tandis que le net-profiling intègre les spécificités du monde virtuel, où les individus peuvent moduler leur comportement et identité. Elle souligne que les actes commis derrière un écran peuvent être plus violents ou extrêmes qu’in situ, profitant de l’anonymat et de la « transversalité » d’Internet. Ces réflexions l’ont amenée à développer plusieurs théories scientifiques sur les différences de comportement entre le réel et le virtuel. Quatre de ces théories ont fait l’objet de publications scientifiques aux États-Unis, contribuant à faire évoluer la compréhension de la cybercriminalité. En ce sens, Nadine Touzeau fait figure de précurseure dans un domaine à l’intersection de la criminologie, de la psychologie et de la cybersécurité.
Sa palette d’expertises ne s’arrête pas au numérique. Qualifiée de « spécialiste de la détection de mensonges », elle apporte aussi son concours dans des domaines variés : enquêtes criminelles classiques, soutien aux entreprises (par exemple pour recruter sans risque ou prévenir les malversations internes), profilage de personnalités publiques, etc. Toujours, son approche est de combiner l’intuition informée du profiler avec des données concrètes. « Le corps ne ment jamais », rappelle-t-elle, indiquant que la communication humaine est à 80 % non-verbale. Ainsi, un tic de langage, une micro-expression fugace ou une incohérence comportementale peuvent trahir une information précieuse pour qui sait les décrypter. Cette conception du profilage place l’humain au centre, y compris face aux algorithmes : « rien ne saurait jamais être aussi efficace que le renseignement humain » dans la sécurité, affirmait l’un de ses collègues experts, Daniel Rémy. Une philosophie qu’elle partage visiblement et qui guide sa pratique.
Publications et contributions majeures
Au fil des ans, Nadine Touzeau a consolidé son savoir dans plusieurs ouvrages et travaux scientifiques. Son livre le plus emblématique est sans doute Net-profiling : analyse comportementale des cybercriminels, paru en 2015 et préfacé par le criminologue Christophe Naudin. Cet ouvrage fondateur, fruit de ses premières recherches sur le profilage virtuel, connaît un succès d’estime dans le milieu de la cybersécurité. Il est présenté au Forum International de la Cyberdéfense 2016 où il figure parmi les best-sellers, dépassant rapidement le millier d’exemplaires vendus. L’ouvrage est même étudié dans le cadre de mémoires universitaires, preuve de sa valeur pédagogique. Fort de cet accueil, Nadine Touzeau publie en 2018 une version enrichie et actualisée de son livre (sous un nouveau titre) chez un éditeur, pour diffuser ses concepts auprès d’un public francophone et anglophone plus large.
Outre le net-profiling, elle a exploré des terrains plus inattendus. En 2021, à l’occasion du bicentenaire de la mort de Napoléon, elle lance une série de livres de “profilage historique”. L’idée peut surprendre : appliquer le profilage à des personnages du passé. En scrutant des portraits, des correspondances ou même des masques mortuaires, Touzeau propose une relecture psychologique de figures historiques. Le premier opus de la série dresse ainsi le profil de Napoléon Bonaparte, s’interrogeant : « Empereur dictateur ou homme de valeurs ? ». Elle y confronte l’image d’Épinal de l’Empereur avec une analyse comportementale, cherchant à débusquer les traits de caractère réels derrière la légende. L’exercice, pour le moins original, se poursuit en 2023 avec un second tome consacré à Adolf Hitler. Cette incursion dans l’Histoire témoigne de l’éclectisme de Nadine Touzeau, prête à appliquer ses méthodes à des domaines inattendus.
Parmi ses autres publications, on compte également De l’astrologie au profilage (coécrit avec l’astrologue Carole Desbois, 2022), où deux disciplines aux antipodes confrontent leurs approches dans une quête commune de vérité humaine. Plus récemment, en 2023, elle publie Je m’aime – un ouvrage de développement personnel axé sur l’estime de soi, montrant une facette plus thérapeutique de sa démarche. Enfin, sur le plan scientifique, elle a contribué à des revues spécialisées : en 2017, elle signe par exemple un article dans le Journal of Forensic Research présentant ses observations sur les différences comportementales entre le monde réel et l’espace virtuel. Cette diversité de productions – manuels professionnels, essais innovants, articles académiques – met en lumière l’ampleur de ses contributions. Touzeau cherche à la fois à partager ses connaissances, à faire évoluer sa discipline et à sensibiliser divers publics à l’apport du profilage.
En parallèle, Nadine Touzeau intervient régulièrement dans les médias ou conférences pour vulgariser son métier. Dans des interviews, elle détaille ce qu’est concrètement le travail d’un profiler et d’un net-profiler, désireuse de dissiper les mythes popularisés par la fiction. Elle a par exemple été invitée à commenter le profil d’Andreas Lubitz, le pilote allemand responsable du crash volontaire du vol Germanwings 9525 en 2015, ou à analyser l’affaire de la petite Fiona en France (2013). Ces analyses publiques de dossiers criminels sensibles illustrent comment son expertise peut apporter un éclairage différent sur des affaires qui défrayent la chronique. Cependant, elles l’exposent aussi à la critique : s’aventurer ainsi sur le terrain médiatique n’est pas sans risque pour la crédibilité, tant l’exercice est délicat. Nous y reviendrons dans le cas de l’affaire Trogneux.
Influence et reconnaissance
L’impact des travaux de Nadine Touzeau se mesure à plusieurs niveaux. Sur le plan institutionnel d’abord, ses idées ont pénétré le milieu du renseignement et de la sécurité. Comme évoqué, ses théories sur la cybercriminalité ont été diffusées à l’international et intégrées dans des formations spécialisées. Le fait qu’elle ait été membre du comité éditorial d’une revue scientifique en psychologie et neuroscience en 2019 confirme une certaine reconnaissance académique de ses compétences. De même, être conviée dans des colloques internationaux (tels que le Behavioural Analysis Show de Cardiff ou le Forensic Science Exhibition de Rome, où elle a pris la parole en 2018) souligne son statut d’experte sollicitée au-delà des frontières françaises.
Dans le secteur privé, ses interventions en entreprise pour améliorer les processus de recrutement ou prévenir les comportements à risque ont pu influencer les pratiques de management. En popularisant l’idée que le profilage comportemental n’est pas réservé aux tueurs en série mais peut servir à « sécuriser des négociations » ou « valider la loyauté de partenaires professionnels », elle a contribué à élargir le champ d’application du profilage. Plusieurs dirigeants ou responsables RH ont pu intégrer ces approches dans leurs outils de gestion des ressources humaines ou de la cybersécurité interne, même si cela reste difficile à quantifier précisément.
Auprès du grand public, Nadine Touzeau a aussi marqué les esprits, notamment dans les cercles intéressés par les enquêtes criminelles ou le développement personnel. Son passage dans certaines émissions ou web-conférences a vulgarisé des notions complexes (par exemple, expliquer comment on peut profiler un cyber-harceleur à partir de ses posts en ligne). Elle a inspiré des vocations : son site recense une « liste des padawan » formés par elle, signe qu’une nouvelle génération s’intéresse au net-profiling en suivant ses cours. En France, où le métier de profiler est souvent méconnu ou fantasmé, son discours a contribué à légitimer cette fonction. « Bien que l’analyse comportementale et le profilage soient des métiers très sérieux et techniques, certains aspects peuvent être appréhendés par des non-professionnels » écrit-elle, invitant le public à s’initier à ces sciences humaines.
Néanmoins, son influence ne fait pas l’unanimité. Le fait qu’elle ait embrassé des sujets non conventionnels (comme l’astrologie ou le profilage d’hommes historiques décédés) a pu susciter un certain scepticisme dans la communauté scientifique traditionnelle. De plus, en intervenant sur des affaires très médiatisées sans mandat officiel, elle s’expose aux critiques. Des commentateurs ont pu juger ses analyses trop superficielles ou spéculatives – comme ce fut le cas d’un internaute moquant une « gossip girl abonnée à Gala » à propos de son analyse de Brigitte Macron. Cette remarque acerbe illustre la réserve de certains observateurs face à des conclusions tirées d’indices comportementaux non étayés par des preuves matérielles. Ainsi, si Nadine Touzeau jouit d’une réelle aura dans son domaine, elle polarise aussi les opinions, ce qui est presque inhérent à tout expert évoluant aux marges des savoirs établis et des controverses publiques.
L’affaire “Jean-Michel Trogneux” : un rôle controversé
C’est précisément une de ces controverses qui a mis Nadine Touzeau sous le feu des projecteurs récemment. L’« affaire Brigitte/Jean-Michel Trogneux » – du nom de jeune fille de Brigitte Macron – est née sur Internet et a pris de l’ampleur fin 2021. Deux femmes, la youtubeuse Amandine Roy et la journaliste indépendante Natacha Rey, diffusent alors une vidéo fleuve dans laquelle elles affirment que la Première dame de France serait en réalité un homme ayant changé d’identité. Selon leurs dires, Brigitte Macron serait née homme sous le nom de Jean-Michel Trogneux (le prénom de son propre frère) et aurait opéré une transition et une usurpation d’identité, allant jusqu’à falsifier l’état civil et impliquer des complicités familiales et même la CIA. Ces allégations, non étayées par des preuves vérifiables, relèvent de la théorie du complot. Elles se propagent néanmoins rapidement sur les réseaux sociaux à l’époque, surfant sur un climat de méfiance envers les élites et rappelant les rumeurs transphobes qui avaient visé Michelle Obama aux États-Unis. Brigitte Macron, choquée de voir sa famille éclaboussée, porte plainte pour diffamation en janvier 2022. Après une procédure retentissante, le tribunal correctionnel de Paris condamne en septembre 2024 Natacha Rey et Amandine Roy pour diffamation publique. Le jugement est sans ambiguïté : elles ont propagé une fausse rumeur attentatoire à l’honneur de Mme Macron, et doivent lui verser 8 000 € de dommages et intérêts (ainsi que 5 000 € à son frère Jean-Michel Trogneux). La justice a donc tranché : l’épouse du président n’a pas usurpé son identité et cette histoire relève de la désinformation malveillante.
Comment, dans ce contexte, le nom de Nadine Touzeau est-il apparu ? C’est que la profileuse s’était intéressée de près, bien avant la sphère complotiste, à la personnalité de Brigitte Macron. D’après ses propres déclarations, elle aurait mené dès 2016 une analyse comportementale de Brigitte Trogneux (à l’époque seulement connue comme l’épouse d’Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie). À l’époque, Emmanuel Macron n’était pas encore président, et cette étude personnelle de Nadine Touzeau n’avait pas été rendue publique. Elle affirme toutefois avoir relevé des anomalies ou éléments troublants dans l’attitude, l’apparence ou le profil de Brigitte Macron, suffisamment pour éveiller ses soupçons quant à une possible dissimulation d’identité. Convaincue de l’importance de sa découverte, Nadine Touzeau aurait alors transmis ses conclusions à des contacts dans les services de renseignement militaires français, dès 2016, pour les alerter. Autrement dit, cinq ans avant que la rumeur n’éclate sur Internet, cette analyste aurait signalé en haut lieu ce qu’elle percevait comme une imposture au sommet de l’État.
Ces révélations, Nadine Touzeau ne les a véritablement évoquées publiquement qu’en 2023, à l’occasion d’entretiens diffusés sur des médias alternatifs. Dans une interview accordée à Tribune Libre en octobre 2023, aux côtés de l’essayiste Bruno Roy-Henry, elle discute du « mystère Brigitte Macron et de ses éventuelles conséquences juridiques ». Si le contenu exact de ses déclarations reste issu de vidéos (sans retranscription officielle), plusieurs sources relatent qu’elle y détaille son analyse précoce de 2016. Une vidéo TikTok devenue virale en mars 2024, intitulée « Analyse de Brigitte Macron par Nadine Touzeau déjà en 2016», montre Touzeau expliquant, documents à l’appui, les éléments qui lui avaient mis la puce à l’oreille. Elle y parlerait de détails morphologiques et comportementaux de Brigitte Macron qui, selon elle, ne collaient pas avec son identité déclarée. On peut imaginer qu’il s’agit de comparaisons photographiques, de discordances dans la biographie officielle, d’observations sur la gestuelle ou la voix – autant d’indices qu’elle aurait interprétés comme la marque d’une supercherie.
Nadine Touzeau se retrouve ainsi associée à cette affaire explosive, non pas comme lanceuse d’alerte publique (puisqu’elle n’a pas rendu son analyse publique en 2016), mais comme source officieuse ayant possiblement informé l’État en amont. Si ses dires sont avérés, cela soulève une question troublante : les autorités disposaient-elles d’informations dès 2016 sur la rumeur Jean-Michel Trogneux ? Et si oui, pourquoi aucune vérification ou suite n’a-t-elle été donnée à ce signalement ? Une hypothèse est que les renseignements ont examiné l’alerte de Touzeau et conclu qu’elle était infondée – explication plausible étant donné que toutes les enquêtes ultérieures n’ont rien révélé de tangible. Une autre hypothèse, plus sensible, est qu’ils l’auraient ignorée ou étouffée pour éviter un scandale inutile, considérant le coût politique d’une telle investigation sur la famille d’un ministre en vue. Quoi qu’il en soit, l’intéressée semble convaincue de la véracité de son analyse initiale. Son engagement aux côtés de figures comme Natacha Rey (dont elle a partagé la tribune lors de conférences en 2024-2025) montre qu’elle persiste à croire que « la vérité dérangeante » n’a pas encore été pleinement mise au jour.
Il convient cependant de souligner que, jusqu’à présent, aucune preuve tangible n’est venue étayer l’hypothèse d’une usurpation d’identité de Brigitte Macron. Ni acte d’état civil falsifié, ni témoin direct, ni analyse ADN ou autre élément matériel n’ont accrédité cette thèse. Les affirmations de Nadine Touzeau restent donc de l’ordre du témoignage et de l’expertise personnelle, non corroborées par une investigation indépendante. En face, les faits établis – dont la condamnation judiciaire des propagateurs de la rumeur – penchent en faveur d’une affabulation complotiste. Nadine Touzeau se retrouve ainsi dans une position délicate : celle d’une experte dont l’intime conviction défie la version officielle, au risque d’entacher sa propre crédibilité. Son rôle dans l’affaire est « supposé » précisément parce qu’il n’est confirmé par aucune source institutionnelle publique. Le ministère des Armées ou les services de renseignement n’ont jamais communiqué sur un quelconque signalement de 2016. On se trouve donc face à un cas d’école où le récit d’une experte et celui des autorités divergent complètement – une situation propice à toutes les interprétations, surtout à l’ère des réseaux sociaux.
Profilage, renseignement et quête de vérité : quelles leçons ?
L’affaire dite “Jean-Michel Trogneux” et l’implication singulière de Nadine Touzeau offrent matière à réflexion sur les liens entre profilage, renseignement et vérité. D’un point de vue philosophique, on y voit s’opposer deux approches de la vérité. D’une part, la vérité institutionnelle ou officielle, fondée sur les documents d’état civil, les décisions de justice, la parole des autorités – en somme, ce qui est considéré comme réel et établi. D’autre part, une vérité alternative émergente, construite sur des ressentis, des indices comportementaux, des recoupements obscurs, que certains présentent comme la « Vérité qui dérange » et qui prétend dévoiler une réalité cachée au public. Nadine Touzeau, par son rôle, se trouve à la croisée de ces chemins : en tant que profileuse, formée à détecter le non-dit et le mensonge, elle se méfie peut-être des apparences officielles et fait confiance à son intuition éclairée pour débusquer ce qui serait dissimulé. Cela l’a conduite, semble-t-il, à donner foi à une thèse finalement non avérée. Ce cas souligne les limites du profilage pris isolément : aussi affûtée soit l’analyse d’un expert, elle ne peut se substituer à une enquête factuelle approfondie. Le profilage est un outil d’orientation, un éclairage psychologique, mais il n’apporte pas de preuves matérielles. S’en remettre exclusivement à lui pour trancher une question aussi concrète que l’état civil d’une personne, c’est risquer de confondre corrélations et causalité, impressions et réalité.
Pour autant, doit-on rejeter en bloc l’apport du profilage dans des affaires sensibles ? L’histoire regorge de cas où l’intuition d’un expert ou d’un agent de renseignement a permis de déceler une menace avant qu’elle ne se concrétise. Les services de renseignement, notamment, fonctionnent souvent sur des signaux faibles, des recoupements d’informations incomplètes, qu’ils doivent analyser pour anticiper un risque. Dans ce cadre, solliciter l’avis d’une profileuse sur un personnage public pourrait être un complément utile. Si en 2016 des agents ont effectivement écouté Nadine Touzeau, on peut supposer qu’ils ont classé son alerte faute d’éléments probants. Cela pose la question de la gestion du doute en renseignement : qu’arrive-t-il lorsqu’une analyse non conventionnelle contredit toutes les données objectives ? Ignorer systématiquement ces voix discordantes peut priver de renseignements précieux (au risque de passer à côté d’un scandale réel) ; mais leur accorder trop de crédit peut conduire à des chasses aux fantômes, coûteuses et délétères.
Il y a également une dimension éthique et déontologique à considérer. Nadine Touzeau, en tant qu’experte médiatique, a une responsabilité dans la façon dont elle communique ses analyses. En 2016, elle a choisi la voie discrète en alertant, dit-elle, les autorités compétentes, ce qui semble relever d’un certain professionnalisme (plutôt que de crier au complot sur la place publique sans preuve). En 2023-2024, cependant, en participant à des conférences sur le sujet aux côtés de militants de cette cause, elle brouille la frontière entre expertise et militantisme. Cela interroge sur le rôle social du profiler : doit-il être un simple technicien au service de la vérité judiciaire, ou peut-il être un lanceur d’alerte lorsque ses conclusions lui semblent d’intérêt public ? Et s’il se trompe, le dommage n’est pas anodin – ici, Brigitte Macron et ses proches ont enduré une atteinte à leur vie privée et à leur dignité, que la justice a reconnue. Le profilage, utilisé imprudemment, peut devenir une arme à double tranchant, capable de jeter le soupçon sur des innocents en alimentant des narrations parallèles. La philosophie du droit nous rappelle le principe de prudence : affirmanti incumbit probatio – la charge de la preuve revient à qui affirme. En l’occurrence, les affirmations issues du profilage auraient dû rester des hypothèses de travail tant qu’aucune preuve ne venait les soutenir.
Enfin, cette affaire illustre plus largement la confrontation entre la raison analytique et l’imaginaire complotiste. Nadine Touzeau se défend de faire du complotisme : elle se base, dit-elle, sur des faits observables (des images, des comportements) et sur son expertise. Pourtant, la manière dont son analyse a été récupérée par la sphère complotiste montre la porosité entre la recherche de vérité légitime et la construction de récits conspirationnistes. Lorsqu’un élément semble aller à l’encontre de la version communément admise, il devient le grain de sable qui peut soit faire progresser la connaissance, soit enrayer la machine de la raison en déclenchant fantasmes et soupçons généralisés. La posture philosophique à adopter est peut-être celle d’une scepticité éclairée : ne rien rejeter a priori, ne rien accepter sans preuve solide. Le profilage peut et doit avoir sa place dans l’investigation, mais comme signe à interroger, non comme verdict final. De même, l’intelligence humaine – qu’elle soit celle d’un profiler ou d’un agent – doit dialoguer avec la rigueur factuelle pour éviter que l’ombre du doute ne se transforme en obscurantisme.
Conclusion
Le parcours de Nadine Touzeau, depuis les salles de marché jusqu’aux coulisses du renseignement, trace le portrait d’une femme éprise de compréhension de l’humain à travers ses gestes les plus subtils. Ses expertises en profilage et net-profiling ont ouvert des voies nouvelles pour appréhender la criminalité à l’ère numérique, et ses publications témoignent d’une volonté de partager ce savoir avec le plus grand nombre. Son influence est réelle, tant par les professionnels formés à ses méthodes que par les débats qu’elle suscite. L’affaire de l’usurpation d’identité présumée de Brigitte Macron restera sans doute comme une note singulière dans sa biographie, une zone d’ombre où l’intuition de la profileuse a rencontré les limites du prouvable. Son rôle supposé dans cette affaire, s’il éclaire sa détermination à poursuivre sa vérité, interroge aussi sur la responsabilité des experts dans la diffusion d’informations non vérifiées.
En dernière analyse, Nadine Touzeau incarne les paradoxes et les promesses du profilage moderne. Paradoxale, parce que naviguant entre science et ressenti, entre collaboration avec l’institution et défiance à son égard. Prometteuse, parce qu’elle rappelle l’importance du facteur humain – y compris dans un monde de datas et d’algorithmes – pour appréhender le réel. Son parcours invite à considérer le profilage non pas comme une science occulte, mais comme un outil d’investigation supplémentaire, avec ses réussites et ses tâtonnements. Quant à l’affaire « Jean-Michel », au-delà de son caractère anecdotique ou sensationnel, elle aura eu le mérite de poser une question intemporelle : qu’est-ce que la vérité ? Est-ce ce que l’on peut vérifier et démontrer, ou ce que l’on perçoit intimement ? Entre le profilage comportemental et le verdict du tribunal, la réponse penche en faveur du second. Mais l’histoire de la connaissance avance souvent grâce à ceux qui osent questionner l’évidence. À tort ou à raison, Nadine Touzeau aura été de ceux-là. Et son parcours, riche et atypique, continue d’alimenter la réflexion sur la place du regard humain dans la quête de vérité, que ce soit face à un écran d’ordinateur ou face aux grands mystères de notre société.
Sources :
Nadine Touzeau – site officiel et blog personnel : https://nadinetouzeau.com/
Interview de Nadine Touzeau par Stéphanie Reynaud pour Tribune Libre, 9 octobre 2023 : https://www.profession-gendarme.com/nadine-touzeau-bruno-roy-henry-le-mystere-brigitte-macron-et-ses-eventuelles-consequences/
Profil biographique sur Profilement Vôtre : https://profilementvotre.com/nadine-touzeau/
Affaire Brigitte Macron : plainte pénale pour usurpation d’identité, Profession Gendarme, 15 décembre 2024 : https://www.profession-gendarme.com/affaire-brigitte-macron-plainte-penale-pour-usurpation-didentite/
Un couple ayant modifié frauduleusement des données concernant Brigitte Macron relaxé, Le Figaro, 21 février 2025 : https://www.lefigaro.fr/flash-actu/un-couple-ayant-modifie-frauduleusement-des-donnees-concernant-brigitte-macron-relaxe-20250221
Un livre assurant que Brigitte Macron est un homme cartonne sur Amazon, le site le rend « indisponible », Linternaute, 25 février 2025 : https://www.linternaute.com/actualite/societe/7387768-un-livre-assurant-que-brigitte-macron-est-un-homme-cartonne-sur-amazon-le-site-le-rend-indisponible/
Enquête ouverte après une plainte du cabinet de Brigitte Macron pour usurpation d’identité, Le Figaro, 30 mars 2018 : https://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/2018/03/30/25001-20180330ARTFIG00102-le-cabinet-de-brigitte-macron-a-porte-plainte-pour-usurpation-d-identite-apres-des-canulars.php
Brigitte Macron : une enquête ouverte pour escroquerie, après une plainte pour usurpation d’identité, Le JDD, 30 mars 2018 : https://www.lejdd.fr/Politique/brigitte-macron-une-enquete-ouverte-pour-escroquerie-apres-une-plainte-pour-usurpation-didentite-3613955
Le cabinet de Brigitte Macron porte plainte pour usurpation d’identité, France Soir, 30 mars 2018 : https://edition.francesoir.fr/politique-france/le-cabinet-de-brigitte-macron-porte-plainte-pour-usurpation-didentite
L’entourage de Brigitte Macron a porté plainte pour usurpation d’identité, France Soir, 30 mars 2018 : https://edition.francesoir.fr/lentourage-de-brigitte-macron-porte-plainte-pour-usurpation-didentite