«Tu vas disparaître. » Trois mots, une menace. Et l’achat du silence. Cette phrase a assuré pendant plus de trente ans l’impunité à Sean Combs, alias P. Diddy. Elle apparaît dans la plupart des procès-verbaux d’audition des victimes présumées de la star du rap, que nous avons pu consulter. Mais, après des années de terreur, quelque chose a cédé. Le déclic a eu lieu en novembre 2023, avec une première plainte pour violences sexuelles et psychologiques, déposée par son ex-compagne Cassie Ventura. Depuis, vingt-six plaintes ont été enregistrées et plus de cent trente personnes demandent à être entendues. Un procès pour viol, trafic sexuel, association de malfaiteurs et transport de personnes à des fins de prostitution se tiendra le 5 mai 2025.
Dans les rangs des plaignants, il y aura Adria, Dawn, April, Liza, Ashley, Crystal… Mais aussi des hommes, dont Rodney Jones, dit Lil Rod, ancien collaborateur de Diddy et témoin clé dans cette affaire. Et des mineurs. L’une d’entre eux, 13 ans au moment des faits, résume de façon glaçante ce qu’elle a vécu : « Des États-Unis à Dubaï, P. Diddy me faisait voyager avec lui dans son avion privé et m’obligeait à me prostituer. Je n’étais qu’une enfant. »
D’un côté, des victimes déterminées à dire leur vérité et des pièces à conviction accablantes. De l’autre, une défense qui multiplie les pressions et tente de passer des accords financiers. Autrefois employée par le chanteur pour animer ses soirées, victime elle aussi de ses abus, la danseuse Adria English n’en démord pas : « Mon silence n’est pas à vendre. Ce type a détruit ma vie. Je ne pourrai jamais oublier ce qu’il m’a fait subir. J’ai beau être dans la merde financièrement, je ne me tairai pas. J’ai résisté à ses menaces, je résisterai à ses dollars. »
Selon « Forbes », sa fortune était estimée à 820 millions de dollars
25 mars 2024. Le FBI perquisitionne simultanément les propriétés du chanteur, à Los Angeles et à Miami. Dans leur saisie, de la drogue, des armes, des vidéos, des photos… et mille bouteilles d’huile pour bébé. « Quand les agents fédéraux ont mis la main sur ces flacons, ils ont d’abord pensé que leur contenu était utilisé comme lubrifiant, explique Ariel Mitchell-Kidd, l’avocate de plusieurs victimes. ça pourrait être bien plus sordide que cela. En visionnant les orgies filmées aux domiciles de l’accusé, la police a découvert des femmes et des hommes inanimés subissant d’évidentes agressions sexuelles. »
La fameuse huile aurait en réalité servi de support au GHB, la drogue du violeur, qui fait perdre connaissance. Elle permettrait de le faire pénétrer dans le corps des victimes pour les soumettre chimiquement. « Ashlay P., l’une de mes clientes, confirme que M. Combs l’en a aspergée avant de la violer », révèle l’avocate. Marc Agnifilo, avocat de P. Diddy, a quant à lui une autre explication : son client, qui « a une grande maison, achète ces produits en gros ». Il affirme que « les performances sexuelles compulsives alimentées par la drogue étaient le fait d’adultes consentants » et conteste l’utilisation de l’huile pour des abus sexuels, ainsi que la plupart des accusations visant son client. Cette manière d’opérer à des fins criminelles est pourtant connue et étudiée, depuis 2019, en Angleterre, par une cellule spécialisée de la Metropolitan Police Service and National Crime Agency dirigée par Stephen Morris.
Ce dernier explique : « Nous savons aujourd’hui que le GHB peut être administré via du lubrifiant. De nombreux viols sont commis par ce procédé. » Dans le cadre de l’enquête, de multiples expertises médicales auront pour charge de déterminer si le passage par l’épiderme de l’huile mélangée à une drogue comme le GHB produit le même effet que par ingestion ou par injection. À défaut, les experts devront prouver que le simple fait d’asperger la victime a permis l’atteinte des muqueuses : nez, yeux, bouche ou parties génitales. Ces preuves matérielles pourraient peser lourd dans le dossier d’accusation. « Le fait que le FBI perquisitionne indique qu’ils ont des victimes coopératives et qu’ils agissent rapidement pour monter un dossier », analyse Rebekah Donaleski, ancienne procureure fédérale qui a supervisé les poursuites engagées contre Ghislaine Maxwell, la compagne et rabatteuse d’un autre prédateur sexuel, Jeffrey Epstein.
« J’ai résisté à ses menaces, je résisterai à ses dollars », assure Adria, une de ses victimes
Qu’il semble loin le temps de la gloire et de la toute-puissance de P. Diddy ! Celui où son premier single « Can’t Nobody Hold Me Down » restait vingt-huit semaines d’affilée au sommet des charts, où toute l’industrie de la musique se prosternait devant le faiseur de roi… Sean Combs, alias Puff Daddy, Puffy, P. Diddy ou Diddy, a grandi dans le quartier chaud de Harlem où son père, Melvin, a été assassiné lors d’un règlement de comptes entre dealers. Après avoir travaillé pour la célèbre maison de disques Uptown Records, il lance, en 1993, le label Bad Boys Records.
Symbole de réussite et d’espoir pour la jeunesse noire américaine, il est non seulement un talentueux rappeur, mais aussi un producteur de musique au flair infaillible, à l’origine des carrières de Mary J. Blige, Jennifer Lopez, qui sera sa petite amie, ou encore Usher. Producteur d’émissions de télévision, il fait les beaux jours de la chaîne musicale MTV. Designer, passionné de mode, Diddy possède sa ligne de vêtements et de parfums. Selon le magazine « Forbes », sa fortune était estimée à 820 millions de dollars. Mais c’est une cinquième casquette, celle d’organisateur de soirées, qui va le mener à sa perte.
Les maisons de Diddy comportent toutes des backrooms
En 1998, P. Diddy passe ses vacances à Saint-Tropez. Il s’approprie le concept des soirées blanches imaginées par le producteur français Eddie Barclay pour réunir les stars du show-business et les puissants du monde entier. Au programme : fiestas, relations publiques et gros contrats. Dans ses somptueuses villas, l’empereur du hip-hop reçoit des personnalités, de tout horizon, comme le couple Beyoncé et Jay-Z ou Donald Trump. Ces fêtes sont avant tout une vitrine pour attirer les grands de ce monde et permettre à P. Diddy d’asseoir son pouvoir. En promoteur avisé, il recrute de jolies filles aux postes d’hôtesse, de serveuse ou de danseuse. Adria est l’une d’entre elles. Elle raconte : « En 2004, mon petit ami avait été recruté par P. Diddy en tant que mannequin. Moi, je démarrais ma carrière de danseuse. Pour gagner ma vie, je faisais un peu de go-go dancing au club Hustler de New York. Quand Diddy l’a appris, il m’a dit que je valais mieux que ça et m’a proposé de m’engager pour une soirée blanche dans les Hamptons.
À la villa, il y avait un vestiaire pour le personnel avec des uniformes pour chacun. En tant que danseuse, une tenue sexy blanche m’attendait. Mon rôle était de mettre de l’ambiance en dansant au milieu des convives. Ce soir-là, il y avait du beau monde : la créatrice Donna Karan, la chanteuse Mariah Carey. Certains invités, comme les Osbourne ou Diana Ross, étaient venus avec leurs enfants. Je dansais à côté du bar et une table était entièrement remplie de marijuana, ecstasy, cocaïne rose… J’avais peur que les petits y touchent ! » Justin, le fils du photographe officiel de l’événement, David Allen, a assisté à l’une de ces soirées en 1999. Il avait alors 6 ans. Il se souvient : « J’ai vu des choses que je n’étais pas en âge de voir. Il y avait des femmes seins nus, des gens qui buvaient de l’alcool, se roulaient des joints, sniffaient de la cocaïne… Diddy me touchait de façon inappropriée, il me mettait mal à l’aise. »
Tamiko Thomas serait la « Ghislaine Maxwell » de l’affaire Diddy
La femme qui manage les danseuses s’appelle Tamiko Thomas. Elle est aujourd’hui soupçonnée d’être la « Ghislaine Maxwell » de l’affaire Diddy. Très vite, Thomas aurait demandé des faveurs à sa nouvelle recrue : « Il fallait que les invités se lâchent, explique Adria. Je devais faire des “lap dances” sur les genoux des messieurs pour les chauffer. Son but, je l’ai compris plus tard, était de pousser les invités à prolonger la nuit chez Diddy. » Les fêtes blanches sont en réalité le prélude à un autre type de soirée, plus noire, perverse et dépravée. Chaque maison de Diddy comporte des « backrooms » dans lesquelles des invités initiés basculent pour y vivre des orgies inimaginables… « La majorité des invités ne participent qu’aux soirées blanches, explique Adria, mais quelques-uns restaient pour les afters appelés “freak offs”, des soirées panique. »
Selon elle, les stars présentes aux premières agapes ne savent pas forcément toutes ce qui se trame en coulisses. Elle-même n’en avait pas conscience lors de sa première prestation. Il faut dire que le plan communication de Diddy pour attirer les stars et ses futures victimes est particulièrement bien ficelé. Pour promouvoir ses soirées, P. Diddy a ses entrées, notamment au magazine « Vibe », créé par le producteur de Michael Jackson, Quincy Jones. Le numéro de novembre 2006 est ainsi tout à la gloire du multimillionnaire, par ailleurs gros donateur du Parti démocrate : portrait dithyrambique, promotion de ses White Parties, publicité pour ses marques… Tout est fait pour rendre hautement désirables les soirées du chanteur-producteur. Les vedettes du showbiz s’y montrent pour gagner en popularité, les politiques pour rajeunir leur image. Tous craignent aujourd’hui d’être associés au scandale.
« Dans les Hamptons, relate Adria, il y avait une jeune fille allongée sur une table avec des fruits sur le corps. Je me souviens que Diddy m’a demandé d’en attraper un, posé sur son téton, avec ma bouche. J’ai appris plus tard que la petite n’avait pas 15 ans. » Cette jeune femme, qui souhaite rester anonyme et que nous appellerons Jennifer, se souvient : « Diddy et ses amis me touchaient les parties génitales et aucun des adultes présents ne semblait s’en soucier. »
Après la soirée dans les Hamptons et une deuxième à New York, P. Diddy et sa complice Tamiko Thomas proposent à Adria un nouveau contrat, cette fois-ci dans la maison du rappeur à Miami. Si la danseuse fait, ce jour-là, le voyage sur un vol commercial, Jennifer aurait, elle, été transportée en jet privé avec P. Diddy et des mannequins. « Nous étions toutes super jeunes. On aurait dit un charter d’esclaves sexuelles. Il y avait des stocks de drogue, de l’ecstasy, de la cocaïne, de la kétamine. Le grand jeu de Diddy était de sniffer de la cocaïne sur mon corps… » Lorsqu’Adria arrive dans le vestiaire de la propriété de Miami, ce n’est plus la tenue blanche réservée aux « virgin dancers » qui l’attend, mais une robe de cocktail noire. « Le code couleur de l’uniforme réservé aux filles qui couchaient, afin que les invités initiés puissent nous identifier. Nous avions aussi des bouteilles attitrées, elles contenaient vraisemblablement de la drogue car on se transformait en zombies.
Jacob le Joaillier serait le premier à avoir abusé d’elle
Diddy et Tamiko m’ont poussée dans les bras d’un homme surnommé Jacob le Joaillier, car il fabriquait des bijoux pour toutes les stars du rap. On l’aperçoit d’ailleurs, en tant que guest, dans des clips. C’est le premier à avoir abusé de moi. [L’homme, au casier judiciaire chargé, est également désigné comme accusé dans les documents d’enquête, NDLR.] Je voulais partir, que tout s’arrête, mais Diddy m’a dit : “Tu sais, tu pourrais disparaître et ton petit ami ne saurait jamais ce qui t’est arrivé…” » Prise dans un engrenage infernal, prisonnière de ces menaces, Adria a des moments de black-out total. « Je ne me souviens de rien tellement j’étais stone. Un jour, j’ai repris connaissance au milieu d’une “backroom” sans souvenir d’y être entrée, en plein acte sexuel avec trois hommes : Diddy, son garde du corps et un très célèbre acteur. »
Jennifer aussi se remémore avoir été abusée par plusieurs personnalités : « Un chanteur, des influenceuses célèbres… Un soir, un homme jouait avec un poisson qu’il voulait introduire dans mon vagin. » Sous l’emprise de Diddy, une autre jeune femme est forcée d’assister à ces spectacles de dépravation. Elle a alors 21 ans et s’appelle Dawn Richards. Contrairement à Adria et à Jennifer, issues de milieux défavorisés, Dawn vient d’une famille de classe moyenne de la région de Baltimore. En 2005, elle gagne un télécrochet produit par P. Diddy pour la chaîne MTV : « Making the Band ». La jeune chanteuse devient alors le jouet de P. Diddy. « Il me recevait en caleçon dans son bureau, me touchait les seins, les fesses. Puis il m’a poussée à entrer dans ces soirées “freak offs”, juste pour regarder. » Dawn décrit des corps imbriqués les uns dans les autres, des femmes et des hommes transformés en poupées de chiffon, totalement défoncés, sous des corps de personnalités qu’elle connaît et qui jouent avec ces personnes inanimées sans se soucier de leur état. Témoin forcé de ces actes criminels, Dawn est, à son tour, menacée par Diddy : « Il m’a dit : “Je peux te faire disparaître et ton papa ne te retrouvera jamais.” »
Diddy filmait les soirées de débauche
On sait aujourd’hui que Diddy filmait ces soirées de débauche : « J’ai été contactée par une personne qui disposait d’une copie d’une vidéo que j’ai pu visionner, confirme l’avocate Ariel Mitchell-Kidd. On y voit clairement l’une des plus grandes stars de Hollywood, qui semble très jeune au moment des faits. Il est visiblement drogué, au milieu d’hommes qui pratiquent des actes sexuels sur sa personne. Un gang bang ! Nous pensons aujourd’hui que Diddy gardait ces images pour faire chanter les personnalités devenues ses complices. »
Certaines de ces orgies criminelles pourraient s’être aussi tenues en Europe. En 2011, alors qu’elle vient d’enregistrer un nouvel album avec P. Diddy, intitulé « Last Train to Paris », Dawn est embarquée par le rappeur à Paris, puis à Glasgow, où elle aurait été contrainte, à chaque fois, d’assister à des after-parties au rituel immuable : « Les gardes du corps confisquaient les téléphones à l’entrée de la chambre d’hôtel. Ensuite, ils poussaient les meubles pour bloquer les portes, forçaient tout le monde à se droguer et l’orgie commençait. »
Lors des deux soirées qu’ils passent ensemble à Paris, les 22 et 23 janvier 2011, Diddy et Dawn dînent avec des personnalités françaises. Mais, comme pour la plupart des prestigieux invités des soirées blanches, rien n’établit qu’elles aient participé aux bacchanales. Les vidéos détenues par le FBI pourraient contenir les images de ces nuits parisiennes. D’après nos informations, à Paris, Diddy aurait invité à son hôtel des mannequins de la fashion week. « J’ai été contactée par un mannequin allemand qui voulait déposer plainte contre Diddy, confie l’avocate Ariel Mitchell-Kidd. Je lui ai conseillé de se rapprocher des autorités de son pays et j’invite toutes les personnes qui ont pu subir des agressions sexuelles de la part de M. Combs et de ses complices à Paris, Cannes ou Saint-Tropez, partout où il avait ses habitudes, à se rapprocher des autorités françaises. Ce dossier va malheureusement prendre une dimension internationale. »
Des menaces de mort
Une question subsiste, même s’il reste présumé innocent : comment P. Diddy a-t-il pu agir en toute impunité pendant toutes ces années ? « Depuis mon dépôt de plainte, j’ai reçu des menaces de mort, j’ai dû me réfugier chez des amis, confie Adria. Diddy a des relations avec les gangs, j’ai peur pour ma vie. » Des menaces prises au sérieux par les procureurs qui ont adressé une lettre au juge, qualifiant Sean Combs de « dangereux ». Ils écrivent encore : « L’accusé présente également un risque important d’entrave à la justice. En effet, au cours de l’instrucion, il a tenté de corrompre le personnel de sécurité et menacé les témoins de son comportement criminel. Il a aussi contacté à plusieurs reprises les victimes pour leur donner de fausses descriptions des événements. »
La perquisition du FBI aux deux domiciles de Sean Combs a permis la saisie de plusieurs armes et munitions, dont trois AR-15. Son nom a déjà été associé aux morts suspectes de personnalités sans qu’il soit jamais inquiété, et à au moins une fusillade, en décembre 1999. L’enquête du FBI pourrait-elle réveiller des « cold cases » ? Rien ne permet de l’affirmer à ce stade, mais c’est l’espoir de la famille du rappeur Tupac, assassiné en plein Las Vegas le 7 septembre 1996. Sa nièce Talia Shakur confirme par mail que sa famille doit rencontrer ses avocats pour évaluer l’intérêt d’un rapprochement avec l’affaire Diddy. Idem du côté des proches du chanteur Aaron Carter, mort d’une overdose médicamenteuse suivie de noyade en 2022, peu de temps après avoir évoqué ses souvenirs de soirées chez P. Diddy alors qu’il était mineur. D’autres décès posent encore question : celui de l’actrice Brittany Murphy ainsi que celui de Kim Porter, ex-femme de P. Diddy et mère de trois de ses enfants, toutes deux mortes d’une étrange pneumonie. Le premier époux de Kim, le rappeur Al B. Sure !, se dit prêt à se porter partie civile.
Le 8 octobre, lors d’une conférence de presse à Houston, Tony Buzbee, l’un des avocats des victimes, déclarait : « Nous allons bientôt dévoiler d’autres noms que celui de Combs, et il y en a beaucoup. […] Des personnes influentes seront exposées, d’horribles secrets seront révélés. » Pour l’instant, aucune personnalité n’a encore témoigné contre l’ex-roi du hip-hop. Fausses listes de complices, photos générées par l’IA, théorie du complot : les réseaux sociaux se chargent de nourrir la machine à rumeurs.
Incarcéré depuis le 16 septembre, P. Diddy s’est vu refuser à deux reprises sa demande de libération sous caution de 50 millions de dollars. Dans l’attente de son procès, celui qui avait l’habitude de séquestrer ses proies est désormais à l’isolement au centre de détention de Brooklyn. De la fenêtre de sa cellule, il peut apercevoir la ville de son enfance. Mesurer le chemin parcouru. Et l’amplitude de sa chute.