Récit inédit. C’est l’histoire d’un septennat empêché. Emmanuel Macron a réussi l’exploit de se faire réélire pour un second quinquennat… mais à quel prix ? Dès le début de son aventure, le locataire de l’Élysée doit affronter les ennuis : affaire Benalla, Gilets jaunes, Covid… Depuis deux ans, ce président impétueux ne dispose plus d’une confortable majorité au Parlement. Pourtant, il tient. Et par tous les moyens. Et, en coulisses, les guerres de l’ombre sont aussi nombreuses que violentes. Loin des effets de com et des photos arrangées, voici l’histoire secrète de ces sept années de pouvoir…
Dès le printemps 2018, l’affaire Benalla aura été fatale au premier couple exécutif. Le Premier ministre se retrouve face à un président qui se replie sur son équipe de campagne. Durant quinze jours, Macron n’adresse pas un mot à Édouard Philippe, ne répond à aucun texto de son Premier ministre. Entre les deux hommes, il y a un avant et un après l’affaire Benalla. « Eux, c’est eux. Nous, c’est nous », confie un peu plus tard Charles Hufnagel, le conseiller en communication d’Édouard Philippe, à un soutien du président. À l’époque, une autre figure prend ses distances. Gérard Collomb « règne » alors sur le ministère de l’Intérieur et a l’impression de se faire balader par son cher ami « Manu ». Jamais il n’aura d’explication franche de l’intéressé à propos de ce jeune chargé de mission qui va faire vaciller le pouvoir.
En 2017, Gérard Collomb avait jeté toutes ses forces dans la bataille, au point de se retrouver quatre jours à l’hôpital avant le second tour, pour cause de surmenage. Mais, lors de la commission d’enquête, Collomb refuse de couvrir l’Élysée. Pis : il révèle que son cabinet a transmis l’information sur l’incident de la place de la Contrescarpe du 1er mai dès le 2 mai. Fin septembre, l’ancien maire de Lyon critique l’« hubris » et le « manque d’humilité » de l’exécutif. Il annonce par surprise son départ dans la presse. Le président tente de le retenir : « Je t’ai sauvé la vie, c’est Philippe qui voulait te virer au moment de l’affaire Benalla ! » Mais Collomb n’a plus confiance en son poulain, il claque la porte d’une « maison » qu’il n’a jamais comprise. Il sait que Nicolas Sarkozy, qu’il exècre, poussait depuis le printemps 2018 Emmanuel Macron à le remplacer par Gérald Darmanin, avec Frédéric Péchenard comme secrétaire d’État.
Autant le grand flic sarkozyste a son respect, autant il considère le maire de Tourcoing comme un opportuniste, un « petit Sarkozy ». Collomb sait que cette option a longtemps tenu la corde. D’autant plus étrange que lors d’une réunion en petit comité qui s’est tenue à l’Élysée le 20 juillet, juste après les révélations du Monde sur les agissements d’Alexandre Benalla, l’ex-maire de Lyon a entendu Emmanuel Macron hurler : « C’est un coup de Squarcini ! » Le président vise l’ex-patron du renseignement intérieur sous Sarkozy. Pour le chef de l’État, toute cette affaire ne peut être qu’un complot organisé par la Sarkozie. « Tout cela va mal finir. Ne bougez pas, pour l’instant », explique Nicolas Sarkozy à ses affidés. Lui ne cesse de pester contre la justice, les juges rouges, le Parquet national financier. Les premiers ennuis d’Emmanuel Macron ne sont pas pour lui déplaire, il peut distiller ses conseils auprès de l’intéressé, qui ne manque jamais de l’écouter comme l’élève qu’il était à Henri-IV : toujours mettre en valeur son interlocuteur, le flatter. Macron sait comment gérer Sarkozy. Enfin, le croit-il…
En pleine tourmente
En attendant, c’est Édouard Philippe qui inquiète l’entourage présidentiel. Un des piliers d’En marche, Philippe Grangeon, estime que l’action et l’ambition du Premier ministre sont un problème pour Emmanuel Macron. Ce proche du président s’alarme en privé des conséquences de la loi sur les 80 km/h. Le stratège considère que la politique menée par les technos de Bercy, et supportée par les hommes de droite que sont Le Maire, Darmanin et Philippe, amène le président droit dans le mur. Très tôt, il s’inquiète de voir le locataire de Matignon se présenter aux municipales à Paris, pour s’en servir de tremplin présidentiel. L’homme a de la mémoire, et il a peur que l’ancien maire du Havre réussisse à faire un coup à la Chirac face à Giscard.
C’est l’époque où les amis de Grangeon lancent des tribunes dans les journaux pour réclamer un « tournant social », et où Macron leur répond par une vidéo leur clouant le bec sur le « pognon de dingue » dépensé dans les aides sociales et l’assurance chômage. Plus tard, en pleine tourmente des Gilets jaunes, amaigri, Macron doit trouver de quoi rebondir, alors qu’il est toujours plus reclus à l’Élysée, et que son pouvoir tremble sous les manifestations. C’est alors que les vieux élus de la majorité, comme Richard Ferrand ou François Bayrou, vont le pousser à cibler son Premier ministre et une partie de son entourage. Plus discrètement, Brigitte Macron est à la manœuvre. Ainsi, le soir même des annonces présidentielles pour répondre aux Gilets jaunes, le 10 décembre, Alexis Kohler, le puissant secrétaire général de l’Élysée, et l’ensemble des directeurs des cabinets concernés (ceux de Philippe, Le Maire, Darmanin, Pénicaud) font une réunion téléphonique pour réduire au minimum les conséquences budgétaires des mesures proposées.
Quand Emmanuel Macron l’apprend, il est furieux, et passe une avoinée à l’ensemble de son équipe. Auprès des journalistes, on sert le récit d’un président emprisonné par ses propres conseillers technocrates. Cette lutte contre les technos est d’ailleurs reprise par les députés LREM à l’Assemblée nationale ou par les soutiens d’Emmanuel Macron à la télévision. Droit dans ses bottes Avec les européennes de 2019, qui voient durablement s’affaiblir les LR, la situation politique pour Macron change encore un peu plus. En deux ans, sa base électorale s’est transformée. Le président rassemble désormais l’électorat traditionnel de la droite, cette bourgeoisie qui a voté pour François Fillon en 2017. C’est la raison pour laquelle, alors que les sociaux-libéraux de la majorité, type Grangeon, ont appelé de leurs vœux un « acte II » du quinquennat, plus social, Macron préfère rester droit dans ses bottes.
De même, quelque temps plus tard, quand en octobre 2019 le chef de l’État donne une interview surprise à Valeurs actuelles, centrée sur les questions de l’islam et de l’immigration. L’entretien provoque l’émoi de certains conseillers du « château ». Peu importe pour Emmanuel Macron. Lui n’a que faire des états d’âme de ses collaborateurs, et n’a qu’une obsession : imposer son propre tempo, y compris à son équipe la plus proche.
En pleine crise des Gilets jaunes, c’est lui seul qui impose l’idée d’un « grand débat » un peu partout en France. C’est aussi Emmanuel Macron qui, à l’approche de 2022, veut imposer la thématique de l’immigration pour instaurer un match retour avec Marine Le Pen. Devant ses conseillers, le président n’hésite pas à faire sienne la formule du « grand remplacement » non pour l’accréditer, mais pour caractériser, selon lui, ce que serait la peur principale des Français.
Les « Mormons », ces jeunes conseillers venus de la Strauss-Kahnie, et que la presse présentait comme les plus fidèles de Macron, se retrouvent bien esseulés. Leur « chef », Ismaël Emelien, est parti de l’Élysée début 2019. Et leur champion de substitution, Benjamin Griveaux, qui devait ravir la Mairie de Paris, se retrouve éjecté de l’arène politique en février 2020 après l’épisode peu glorieux de sa porn video dévoilée sur Internet. « Emmanuel n’est plus le même », raconte Sibeth Ndiaye, l’ancienne porte-parole du gouvernement, à une connaissance. Avec la survenue du Covid-19, les tensions se multiplient entre Matignon et l’Élysée.
L’annonce par Philippe de la fermeture des lieux non essentiels à quelques heures de la tenue des élections municipales n’a pas été coordonnée avec la présidence. Tel un match retour, la décision d’annoncer un déconfinement pour le 11 mai a été prise par Macron lui-même, c’est-à-dire seul. Quelques semaines plus tard, le départ d’Édouard Philippe n’est pas pour déplaire à Brigitte Macron. Cela fait des mois qu’elle alerte sur son double jeu. Également dans son viseur, le secrétaire général de l’Élysée, Alexis Kohler, coupable à ses yeux d’avoir trop joué en faveur de Matignon, et de son ancien directeur de cabinet, Benoît Ribadeau-Dumas.
À son arrivée à Matignon, Jean Castex, rompu au fonctionnement de l’État pour avoir été secrétaire général adjoint sous Sarkozy, obtient de voir le président en tête à tête, alors que, durant tout le début du quinquennat, Macron ne voyait Philippe qu’en compagnie de Kohler et de Ribadeau-Dumas, amenant les technos à prendre bien plus de place que le cadre institutionnel ne leur permettait. Kohler, sans alliés, perd de sa superbe.
Cela ne l’empêche pas de continuer à avoir la haute main sur les dossiers industriels et financiers comme Veolia ou EDF. Extrêmement loyal, Jean Castex devient un véritable « collaborateur », comme Sarkozy qualifiait Fillon : le rêve de tout président qui souhaite contourner le pouvoir bicéphale de la Ve République. Même quand il perdra ses arbitrages, notamment dans la solitude des conseils de défense, Castex ne bronchera pas. C’est un SMS qui en dit long : le soir de l’annonce du premier gouvernement Castex, Camille Pascal, ex-plume de Sarkozy à l’Élysée, envoie le message suivant à son ancien patron : « Mais Monsieur le Président, vous êtes revenu ? »
L’ancien conseiller n’est pas le seul sarkozyste à être d’humeur joyeuse après l’annonce de la nomination de Darmanin à l’Intérieur, de Bachelot à la Culture, ou encore de Dupond-Moretti comme garde des Sceaux, lui qui se dit de gauche mais connaît la Sarkozie comme sa poche, grâce à son ami Thierry Herzog, l’un des avocats de Sarkozy. En 2021, la majorité s’impatiente. Alors qu’Édouard Philippe, depuis Le Havre, multiplie les signaux au sujet de ses ambitions futures, l’Élysée semble ne pas se préparer pour la prochaine campagne. À l’Assemblée, le député Sacha Houlié tente d’organiser, avec d’autres, la riposte contre Éric Zemmour.
Et pourtant, la campagne n’arrive jamais. Si le président annonce sa candidature, l’irruption de la guerre en Ukraine l’amène à ne pas mener de combat politique pour sa réélection. Les macronistes apprennent par la presse la proposition de porter l’âge de la retraite à 65 ans. Plus vraiment au centre du jeu Au lendemain de cette drôle de campagne vient une période encore plus étrange. À Matignon, ce mois de mai 2022 est fantomatique. Le président souhaite maintenir Castex à son poste, mais, pour ce dernier, c’est niet. L’attente d’une solution de remplacement se transforme en long calvaire pour la Macronie et les équipes ministérielles.
À l’Élysée, une guerre s’enclenche entre Macron et Kohler. Dans l’entourage du président, ils sont nombreux à souhaiter le départ du secrétaire général. Le président fait comprendre à son subordonné, à son service depuis 2014, que ses jours sont comptés. En coulisses, les deux hommes s’affrontent sur le choix du Premier ministre, ou plutôt de la Première ministre. Lundi 9 mai, Emmanuel Macron affirme à des journalistes qu’il a déjà en tête un nom, sans le dévoiler. Le président s’est décidé durant le week-end, son plan A sera Catherine Vautrin, présidente de la communauté d’agglomération de Reims, ex-trésorière de l’UMP et ex-porte-parole sarkozyste. A-t-il en tête l’idée de proposer une future coalition aux Républicains, comme le suggère depuis des mois Nicolas Sarkozy ?
Ceux qui sont informés de ce choix, ardemment soutenu par Brigitte Macron, se comptent alors sur les doigts d’une main. Le jeudi qui suit, le chef de l’État déjeune à l’Élysée avec l’intéressée et, à la fin du repas, la Première dame vient les rejoindre. Le samedi, Catherine Vautrin rencontre discrètement Jean Castex et commence à constituer son gouvernement. Une fronde est alors menée contre la future Première ministre par Alexis Kohler, mais aussi par Richard Ferrand et François Bayrou. Elle est accusée d’avoir soutenu la Manif pour tous par les tenants « progressistes » de la Macronie.
On connaît la suite de l’histoire : dimanche soir, à son retour d’Abou Dhabi, Emmanuel Macron renonce à la nommer. Le lendemain, c’est Kohler qui appelle Vautrin pour lui annoncer qu’elle ne sera finalement pas la Première ministre. Quelques heures plus tard, Macron l’appellera. En fin d’après-midi, c’est Élisabeth Borne qui est finalement nommée. Alors que Catherine Vautrin est sous le choc de ce rétropédalage de dernière minute, Kohler se met à pousser ses pions dans les cabinets ministériels. Dans chaque équipe, d’ex-collaborateurs des cabinets PS du quinquennat Hollande sont nommés.
À commencer par Aurélien Rousseau, le directeur de cabinet d’Élisabeth Borne. Ce conseiller d’État était en poste au cabinet de Valls puis à celui de Cazeneuve. Dans la Macronie, les transfuges LR fulminent : « C’est un vrai hold-up des technos du PS ! » Pour Alexis Kohler, c’est une victoire à la Pyrrhus : en juin, la Macronie échoue à obtenir une majorité lors des législatives. À peine élu, le président est affaibli. Celui-ci refuse toute solution qui s’apparenterait à une cohabitation. Contre l’avis de l’Élysée, Yaël Braun-Pivet remporte le perchoir de l’Assemblée et Aurore Bergé, la présidence du groupe.
Élisabeth Borne doit gouverner à coups de 49.3, tout en disant maintenir le « en même temps ». Elle propose ainsi un poste ministériel à Emmanuelle Cosse, ancienne ministre de Hollande. Cette ex-présidente d’Act Up, l’association de lutte contre le sida, devenue un temps cheffe des écolos, refuse catégoriquement. « Si des gens de gauche comme toi n’entrent pas au gouvernement, comment je peux maintenir l’équilibre ! », se désespère Borne. Et tandis que l’héritage du « macronisme » se réduit comme une peau de chagrin, les héritiers se multiplient. Chacun regarde en direction de 2027.
Qu’il le veuille ou non, Macron n’est plus au centre du jeu… On assiste à une nouvelle guerre des droites entre Philippe, Le Maire et Darmanin. Et alors même qu’un nouveau venu dans la course, Gabriel Attal, ne pense, lui aussi, plus qu’à l’Élysée. Entre le nouveau et jeune Premier ministre et le président, la guerre est totale. « Macron soutient Attal comme la corde soutient le pendu », ironise un observateur. Attal estime que sa nomination à Matignon, qu’il ne souhaitait pas, est un piège tendu par son patron qui le surnomme « le phénomène ». De son côté, Macron semble plus que jamais isolé et dit de Jean Castex qu’il est « le seul en qui [il pourra] avoir toujours confiance ».
Récemment, le Monde évoquait la « fin annoncée du pouvoir ». Plus que la fin, Macron ne supporte pas le désintérêt, l’effacement personnel qu’elle entraînerait. A-t-il d’ailleurs abandonné toute ambition politique pour après 2027 ? Rien n’est moins sûr. En 2017, peu de commentateurs pariaient que ce jeune président allait rester si longtemps : « Il est là pour dix ans ! », prédisait un ancien soutien de Sarkozy. Aujourd’hui, le même pense qu’on n’en a pas fini avec ce président… M M.E.
“Macron soutient Attal comme la corde soutient le pendu”, ironise un observateur. Ci-dessous, en 2018. FAUX AMIS “Tout cela va mal finir. Ne bougez pas, pour l’instant”, a lancé Nicolas Sarkozy à ses affidés, lors de l’affaire Benalla, en 2018. Les premiers ennuis d’Emmanuel Macron ne sont pas pour déplaire à l’ancien président, qui continue à distiller ses conseils au chef de l’État. Macron pense pouvoir gérer Sarkozy. Enfin, c’est ce qu’il croit.
Source : CMI PUBLISHING – Marianne