Nous l’avons vu, François Ruffin entretient une relation quasi fusionnelle avec sa mère, Martine Cocquempot qui « veille encore sur son aîné, l’aide à tenir sa maison, à s’occuper de ses enfants. Une maman à qui il faudrait ériger une statue » (Op. Cit.). Pendant toute la scolarité de ses enfants, Martine Cocquempot fut très impliquée dans les activités de La Providence, de l’accompagnement des sorties, aux ateliers botaniques du mercredi après-midi en passant par la préparation des fêtes de fin d’année.
Excellente élève, la sœur cadette de François Ruffin, Laurence Ruffin, née le 2 février 1978 à Amiens (Somme), a également fait tout son cursus à « La Pro » avant d’entrer en classe préparatoire au lycée Louis-le-Grand. Diplômée de l’ESSEC, elle a commencé sa carrière comme consultante au cabinet américain A.T Kearney, puis comme chargée d’études chez Renault en Italie, avant de bifurquer vers le développement des Scop Auvergne-Rhône-Alpes. Depuis 2009, elle est PDG d’Alma Scop, une société qui développe des logiciels pour le secteur de la santé basée à Grenoble. Dans cette ville, elle préside l’antenne locale de la French Tech depuis 2020.
François Ruffin est toujours très proche de sa sœur. Il est peu connu que Laurence Ruffin a été dans la même classe qu’Emmanuel Macron pendant tout le collège. Année après année, ils se sont tiré la bourre dans le peloton de tête. En outre, Laurence a eu Brigitte Macron comme professeur. Elle refuse toutefois de répondre aux sollicitations des journalistes, à l’exception de Rachid Laïreche, le biographe autorisé de François Ruffin. Lors de cet entretien, publié dans François Ruffin, la revanche des bouseux, Laurence Ruffin a expliqué n’avoir aucun souvenir de Brigitte Macron et que « c’est [sa] maman qui [lui] a rappelé que c’était [sa] professeure. » Et de préciser : « Emmanuel, lui, c’était différent, c’était un copain de classe, on a vraiment cheminé ensemble. » Elle ajoute qu’encore aujourd’hui, ils « refont le monde dès qu’ils se croisent. »
Côté souvenir, François Ruffin a expliqué avoir assisté à une représentation théâtrale d’Emmanuel Macron lorsque ce dernier, en classe de 3e, avait monté Jacques et son maître de Milan Kundera avec Renaud Dartevelle (cf. F&D 497). En 2012, quand Emmanuel Macron apparaît dans l’ombre de François Hollande, François Ruffin fait le lien et appelle immédiatement sa sœur qui lui confirme « oui, j’ai vu, Macron a toujours su séduire les plus vieux » (cité par Rachid Laïreche). Dès lors, selon ses dires, François Ruffin se serait mis à constituer sur son ancien condisciple, un véritable dossier (« il lit tout sur lui »). En mars 2018, c’est par exemple François Ruffin qui révèle la véritable identité de celui qui, jusque-là, a été présenté comme André-Louis Auzière (le premier époux fantôme de Brigitte Macron), à savoir Claude Hugot, un professeur de français de « La Pro ».
C’est le 12septembre 2016, époque charnière de leur ascension parallèle (l’un vient d’être césarisé et a fait la Une du New York Times, l’autre a lancé son mouvement, quitté Bercy et s’apprête à se déclarer candidat à l’élection présidentielle), que leur complicité est mise en lumière. Après une visite de François Ruffin au QG d’En Marche!, relative à la médiatisation des salariés d’Ecopla, une entreprise
d’aluminium en redressement judiciaire, l’enregistrement de cette rencontre est publié le mois suivant par Radio Nova (Quand François Ruffin coache Emmanuel Macron, 30 septembre 2016) et sera exhumé en novembre 2019 par Juan Branco, sous le titre Exclu. Comment Ruffin et Macron ont mis en scène leur rivalité. On y entend François Ruffin organiser un véritable plan com’ pour son meilleur ennemi: « François Ruffin : – Si on réfléchit stratégie, que vous soyez vivement et publiquement interpellé par les salariés d’Ecopla, ça fera un épisode. Vous pourriez ensuite y répondre en disant : « je suis prêt à me déplacer sur place. » Et ça fait un deuxième épisode. Emmanuel Macron: – OK. Un, on échange sur le dossier; deux, on vous tient au courant des avancées; trois, vous, vous m’interpellez publiquement ; quatre, dans la foulée on cale ensemble une date de déplacement, fin septembre ou début octobre, et on voit comment on communique ensemble. François Ruffin : – Et je pense qu’on sort d’ici en n’étant pas contents. » Bien que tous les canaux de fuite et de diffusion de l’échange se rattachent à la gauche « bobo » (Radio Nova, Juan Branco), François Ruffin se défend en dénonçant une fake news de l’ « extrême droite » (Twitter, 18 avril 2022).
Par la suite, François Ruffin se pose en adversaire n° 1 de celui pour lequel il a pourtant appelé à voter deux fois, c’est-à- dire à chaque fois qu’Emmanuel Macron s’est présenté à une élection. Le Monde (5 mai 2017) lui ouvre ses colonnes pour qualifier Emmanuel Macron de « futur président déjà haï » et il est soutenu par Libération qui lui consacre sa Une quand il lance la manifestation « La fête à Macron » en mai 2018.
Puis, il se fait remarquer en convoquant la presse, le 2 décembre 2018 (le lendemain de l’Acte III des Gilets jaunes) devant l’Élysée pour comparer maladroitement Emmanuel Macron à John-Fitzgerald Kennedy et… au Christ : « Que n’ai-je pas entendu durant ces deux jours? “Il va terminer comme Kennedy” ; “vous voyez la croix sur le terre-plein, il va finir pareil” Ces mots sont prononcés par […] des habitants ordi- naires. Je me suis appliqué à les tempérer, à argumenter, à modérer. La violence ne mène à rien ». Autant de sorties qui défraient la chronique et font, à chaque fois « un épisode ».
Quelle qu’en soit son authenticité, cette confrontation atteint son apogée en 2019 avec, au mois de février, la parution du pamphlet Ce pays que tu ne connais pas. Ruffin s’y dit convaincu qu’Emmanuel Macron a bénéficié « d’une élection truquée du fait de la conjuration des oligarques ». Cette analyse fait écho à Opération Macron d’Éric Stemmelen (cf. F&D 497) qui paraîtra au mois de juin en Belgique (le manuscrit avait été placé sur liste noire à Paris et l’ouvrage n’a quasiment eu aucune promotion) avec une préface de… François Ruffin. Totalement explosive, cette enquête fut la première à lier la biographie maintes fois remaniée de « Brigitte » et le « pacte de corruption » parallèlement à la constitution d’un oligopole médiatique destiné à installer Emmanuel Macron à l’Élysée.
Depuis, l’anti-macronisme frontal de François Ruffin s’est nettement effrité. Le tournant s’est manifestement produit le 21 mai 2019, quand Mediapart a raconté par le menu comment François Ruffin et Fakir avaient été espionnés par Bernard Squarcini pour le compte de LVMH. Mediapart décrit une « surveillance tous azimuts, une infiltration, des taupes et
de l’argent. Beaucoup d’argent. […] Une disproportion qui paraît totalement hors sol avec le “danger” réel que pouvaient représenter François Ruffin et ses amis, alors surtout connus pour tenter de perturber des assemblées générales du groupe LVMH vêtus de tee-shirt “I Love Bernard”… »
D’autant qu’il était déjà connu que François Ruffin avait été espionné par LVMH. D’ailleurs, Ruffin n’avait pas porté plainte quand l’information était sortie en 2016 dans L’Obs (numéros du 13 octobre et du 15 décembre), se contentant de confirmer au Courrier picard (18 décembre 2016) avoir parfaitement eu connaissance de cette infiltration. Mais cette fois, l’affaire fait grand bruit et François Ruffin est obligé de réagir à l’article de Mediapart. Dans l’annonce de sa plainte pour « vol et recel », il pointe en substance l’Élysée en rappe- lant que Bernard Arnault mangeait une fois par semaine avec son ami Emmanuel Macron lorsqu’il était ministre. Benjamin Sarfati, son avocat, constate en effet que « les moyens engagés par LVMH ont visiblement été considérables [et] ne peuvent correspondre à une simple analyse de docu- ments et/ou d’informations publics » (L’Obs, 9 avril 2020). Qui étaient les vrais commanditaires de cette opération ? Pour quelle raison craignaient-ils François Ruffin au point d’en- gager une telle débauche de moyens ?
L’affaire a été discrètement enterrée en décembre 2021 avec une convention judiciaire d’intérêt public conclue entre le parquet de Paris et LVMH moyennant 10 millions d’euros. Mérième Alaoui note que du côté de François Ruffin, « la discrétion reste de mise. On avait connu le député plus frontal. […] Mais, il le sait, des informations confidentielles concer- nant le fonctionnement interne de l’association, risquent également de fuiter dans la presse, en plus de ce qu’a déjà divulgué Mediapart. Et le spécialiste du storytelling n’aime pas ça ». Et depuis, celui qui expliquait, le 6 mars 2019 à Brut, avoir « la manie de suivre Emmanuel Macron depuis qu’il est secrétaire général de l’Élysée, cela fait plusieurs années, depuis 2012, et d’accumuler de la documentation sur lui », s’efforce de ne plus citer son nom.
Plus étrange encore, François Ruffin semble avoir sciemment laissé filer l’élection municipale de 2020 à Amiens; un épisode qui a laissé des séquelles dans son entourage, avec le départ de son bras droit Vincent Bernardet. À l’époque, « la ville de Macron » est promise à la gauche, la maire UDI Brigitte Fouré, soutenue par Emmanuel Macron, se représentant avec un bilan très contesté et surtout, deux listes dissidentes face à une gauche totalement unie. Mais dans cette configuration imperdable, François Ruffin choisit de ne pas se présenter, préférant une liste à trois têtes absurde pour cette élection aussi personnifiée que l’élection présidentielle. Et, quand Brigitte Fouré conserve son fauteuil de maire face à une gauche lâchée en rase campagne, François Ruffin lui adresse une lettre de félicitation (reproduite dans François Ruffin, l’ascension d’un opportuniste)…
Deux parcours intimement liés, deux ascensions parallèles, une opposition parfois mise en scène, des dossiers réciproques constitués de part et d’autre, la municipalité d’Amiens laissée à la Macronie en 2020 et une place de chef de file de la gauche promise à François Ruffin, sont autant d’éléments accréditant l’idée qui se répand chaque jour un peu plus qu’un pacte tacite unit Emmanuel Macron et François Ruffin.
Source : Faits&Documents