La Négociation annuelle obligatoire, ou NAO, est un rendez-vous imposé aux entreprises, dès lors que ces dernières comptent plus de 50 salariés. Ces négociations, qui portent entre autres sur la politique salariale, risquent de rendre la reprise d’Editis plus mouvementée que prévu.
Accords, désaccords
En octobre 2022, la direction d’Editis et les organisations syndicales représentatives signaient un constat de discussion « portant notamment sur les négociations relatives à la rémunération ». Cette concertation complétait les négociations déjà à l’œuvre, pour l’ensemble du groupe.
Les parties avaient ainsi conclu à des augmentations de salaire effectives au 1er janvier 2022 et l’instauration d’un forfait mobilités durables. L’inflation aidant, la direction d’Editis acceptait d’anticiper exceptionnellement les NAO, « avant l’ouverture du nouvel exercice ». De nouvelles hausses étaient validées, suivant différentes tranches de revenus, selon les documents qu’a consultés ActuaLitté.
Une clause de revoyure, « au plus tard à la fin du mois de février 2023 » était intégrée : elle permettrait un bilan de la mise en œuvre des augmentations collectives dans les filiales et des mesures appliquées pour les structures ne disposant pas de représentants syndicaux. Et le document était bien signé par Amélie Courty-Cayzac, DRH du groupe, et représentante, pour l’occasion représentant la direction générale.
Europe, terre de paix…
En milieu de semaine, la Commission européenne officialisait les premières conclusions concernant le rachat d’Editis par Daniel Kretinsky. « L’opération ne conduira à aucun chevauchement horizontal entre CMI et Editis, car CMI n’est pas actif dans le secteur de l’édition de livres en France », soulignait entre autres Bruxelles.
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Cette notification auprès des autorités de la concurrence enclenche ainsi un compte à rebours : dans un délai de cinq semaines maximum, Bruxelles validera la candidature de l’acquéreur (ou non). La suite sera un déroulé de dominos avec pour conclusion que Vivendi deviendra pleinement propriétaire de Hachette Livre.
Mais dans l’intervalle, la direction d’Editis joue la montre : « Nous affinons un projet de grève, motivée par le pouvoir d’achat : nous avons formulé des demandes d’augmentation de salaire, voilà deux mois. Pour unique réponse, on nous rétorque que nous sommes sous tutelle et que cela paralyse tout. Que sans nouvel actionnaire, rien ne peut être décidé », affirme Raj Gungoosingh, représentant CFDT.
D’abord, la DRH qui avait signé en octobre 2022 est actuellement en arrêt maladie. La DRH d’Interforum, Albane Hocquet-Gallet, a plusieurs fois opposé cet argument aux syndicats : certes, les négociations sont importantes, mais les conditions ne permettent pas l’ouverture des NAO, tant que le nouveau patron n’a pas pris les commandes.
Couper l’alimentation en livres
Un discours qui a fini par lasser, dans l’entrepôt de Malesherbes, où se trouvent également les ouvrages de nombreux éditeurs partenaires (les maisons qui n’appartiennent pas au groupe Editis). Ces derniers représentaient 285 millions € en 2022, en recul de 15 %, mais 334 millions € en 2021 — soit près de 40 % du CA Inteforum en l’an dernier, et près de 42 % en 2021.
« L’immobilisme est total : Editis tourne tout seul, personne n’ose prendre de décisions, les uns craignant de déplaire au futur actionnaire, les autres préférant que la situation pourrisse », reprend notre interlocuteur. « Depuis que la directrice générale a appris qu’elle ne resterait pas, l’entreprise est tout juste dirigée. »
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En effet, Michèle Benbunan, future ancienne DG, occupe aujourd’hui le poste de gestionnaire, chargée de gérer la société depuis que Vivendi a interdiction totale d’y mettre le nez — après la validation de son OPA par Bruxelles.
La CGT a envoyé aussi un courrier, reproduit ci-dessous, pour dénoncer l’inflation galopante à la direction Editis qui a plaidé son impuissance, dans la période période actuelle.
Fin 2022, vous avez entendu certaines de nos revendications d’attribuer à une grande majorité de salariés du groupe une augmentation collective répondant à l’urgence du moment.
Nous avions négocié et signé cet accord salarial
Devant les chiffres de l’inflation affichés à ce jour, nous permettant d’évaluer le dérapage constaté de celle-ci, nous vous demandons de rouvrir la politique salariale 2023-2024 dans les meilleurs délais pour compenser la hausse généralisée des prix.
– courrier de la CGT à la DRH d’Editis
Un courriel de Michèle Benbunan adressé en réponse mi-avril dernier, suite aux multiples relances, laissait songeur : « Croyez bien que je déplore que des collaborateurs vivent de telles situations. Mais je suis malheureusement dans l’incapacité à apporter des solutions à court terme : à l’approche et à compter de la signature de la cession (sous réserve de l’accord de la Commission et des IRP), signature qui est très proche, je ne peux plus entamer des discussions sur les salaires et les éléments de rémunération. »
Bien tenté, mais pas dupes
« Mais tout cela ne sert qu’à gagner du temps, chacun s’accrochant à son poste et protégeant sa situation en surtout ne bougeant pas », s’agace le représentant syndical. « Comme les gros tirages arrivent, nous nous sommes dit qu’il était temps d’agir. » Et précisément en appuyant là où ça fait mal : c’est dans l’entrepôt de Malesherbes que se préparent les commandes des points de vente. Pour qu’un libraire, un Cultura ou une Fnac reçoive les livres demandés, les salariés de l’entrepôt procèdent à l’expédition.
En cas de mouvement social, pas de Marc Levy, et d’autres avec lui ? Le risque est d’autant plus désagréable que le romancier aurait été pressenté chez Albin Michel, bien que toujours publié par Robert Laffont, filiale d’Editis – rumeur infirmée toutefois. Sollicitée, Albane Hocquet-Gallet, qui occupe aussi le poste de DRH adjointe d’Editis, n’avait pas de commentaires à apporter. Elle nous a renvoyés vers la directrice de la communication, dont nous attendons les précisions.
Frapper un dernier coup
Un débrayage forcera-t-il la main de l’actuelle direction ? « On savonne la planche en interne, pour laisser une entreprise dévastée : on nous encourage même à faire grève, mais une fois que l’actionnaire sera en possession de la société », nous assure une source interne. « La direction n’attend que ça : que soit déclenchée une grève qui discréditera le repreneur. »
Comprendre : Denis Olivennes, l’homme fort de Daniel Kretinsky. « Et dans l’intervalle, on a le sentiment que le capitaine saborde le navire pour le voir couler. »
D’autant que l’argument de l’immobilisme n’a aucun fondement légal ni d’une réalité juridique : il s’agit plutôt d’ajouter un coup de hache — après avoir tout fait pour décapiter la proue — dans le plancher. En effet, en cas de signature d’accord, quelle que soit la direction (ou l’actionnaire en cas de changement de propriétaire), les clauses doivent être mises en œuvre.
En laissant le bébé, l’eau du bain et les couches aux bons soins des équipes de Denis Olivennes, la direction pratiquerait la bonne vieille méthode d’Attila, lors des invasions barbares : après moi, l’herbe ne repousse pas.
Dans l’intervalle, combien d’ouvrages seront victimes des tensions entre la direction, quasi démissionnaire, et les salariés promenés par le bout du nez ? Et combien de maisons partenaires s’agaceront de cette situation, à l’instar des éditions du Cerf qui rejoindront Madrigall en janvier 2024, confiant leur diffusion / distribution à la Sofédis et la Sodis ?
mise à jour 2 octobre – 10 h :
Le syndicat FO nous transmet un courrier, de la même teneur que celui de la CGT, adressé à Albane Hocquet-Gallet, en date du 15 septembre. Il rappelle les engagements pris par Editis, et insiste sur la réouverture des NAO.
Nous avons signé ensemble un constat de discussion qui concrétisait la volonté de l’entreprise de faire face ensemble à la question du pouvoir d’achat des salariés en fonction de l’évolution de l’inflation.
Nous constatons qu’à ce jour, toutes nos demandes de négociations suite à cet engagement ont été refusées et mettent en cause la crédibilité de la direction, la valeur de sa signature et nous ne pouvons que le déplorer. La réponse à chaque fois faite par la Direction est que vous ne pouvez rien faire tant que le repreneur n’est pas arrivé. Les salariés du groupe EDITIS ne peuvent attendre que le repreneur arrive. Ils subissent tous durement dans leur vie quotidienne la baisse forte de leur pouvoir d’achat, et cependant ils continuent d’assumer leurs taches, leurs responsabilités et leurs engagements. Ils ne s’arrêtent pas de travailler en attendant le repreneur !
EDITIS doit assumer ses engagements.
Nous vous prions donc de bien vouloir revenir vers nous le plus rapidement possible afin de lancer des négociations promises sur les augmentations de salaire comme cela avait été prévu,
ainsi que celles relatives aux autres conséquences de cette inflation, notamment autour des indemnités de télétravail qui sont grevées par la hausse des prix de l’énergie.
Quel que soit le nom du repreneur comme le moment de cette cession, nous sommes certains que l’entreprise doit garder sa crédibilité aux yeux de ses salariés, de ses auteurs et de ses clients.
À ce dernier, la DRH d’Inteforum et DRH adjointe groupe avait répondu, cinq jours plus tard, avoir « conscience de l’importance de ces négociations, mais, comme nous l’avons déjà partagé, les conditions ne sont pas réunies à cette date pour les débuter dès lors que notre nouvel actionnaire n’est pas encore arrivé ».
Source : actualitte.com