Elle s’appelle Roxane, Marie-Amélie ou Bénédicte, peu importe. Ce qui compte, c’est qu’elle est la plus belle fille du collège. Celle que les autres demoiselles jalousent dans les vestiaires et que les garçons se disputent. Et bien, avez-vous déjà vu Roxane, Marie-Amélie ou Bénédicte embrasser goulûment à la sortie des cours un binoclard rondouillet aux pantalons trop courts? Sauf exception, la beauté du bahut finit dans les bras de son homologue masculin, le beau gosse que les garçons jalousent dans les vestiaires et que les filles se disputent.
La dure réalité du collège vaut-elle pour toute la vie? Les beaux tombent-ils amoureux des beaux et les laids des laids? A en croire les enquêtes d’opinion, non, puisque l’importance accordée à l’apparence physique arrive bien derrière d’autres qualités jugées essentielles comme le sens de l’humour ou la gentillesse. Mais pour Jean François Amadieu, auteur du Poids des apparences, les sondés se sentent obligés de mentir: «Il est presque obligatoire de déclarer que le miracle de l’amour a opéré et que son partenaire est merveilleux (…). On ajoutera ensuite, que de toute façon la beauté n’a pas été un élément déterminant du choix. Même si tout cela est faux, c’est socialement ce qu’il faut dire.»
Il y a des standards de la beauté. Même si les canons évoluent -qu’entre la Renaissance et aujourd’hui la bombe officielle est passée du 42 au 34- les boutons, la vieillesse, l’extrême maigreur comme l’extrême grosseur ou encore un visage asymétrique n’ont jamais été valorisés. «Il existe des normes stables et claires commandant l’apparence physique, poursuit Jean-François Amadieu. Ces normes sont indépendantes de la nationalité, de la classe sociales et même de l’âge puisque des nourrissons de 2 ou 3 mois à qui l’on montre des images de personnes plus ou moins belles sont attirés par les plus belles!»
Le calvaire des laids
Cruelle injustice pour ceux les laids, comme le décrit sur 200 pages l’écrivain Richard Millet dans Le Goût des femmes laides, qui raconte le calvaire d’un homme au visage disgracieux qui se sent obligé de ne séduire que des femmes qu’il trouve aussi laides que lui et souffre de frustration.
«Les beautés que je croisais ça et là me tiraient des larmes, comme cette jeune maghrébine qui m’avait abordé rue des Archives, une fille au visage étroit extraordinairement jolie dans une courte robe de soie marron glacé (…) je l’ai écoutée me demander une cigarette que je lui ai donnée. Elle est repartie en trébuchant, et moi, pleurant de voir cette belle fille me tournant le dos, oui pleurant comme il m’arrive de le faire lorsque je suis cloué à moi-même par cette forme d’espérance négative qu’est la plupart du temps le désir.»
Faut il croire que l’amour n’est réservé qu’à une poignée de belles personnes et que le reste doit trouver à se satisfaire à côté d’aussi moche que soi? Faut-il croire Paul Léautaud qui affirme que «la majorité des unions sont faites de laissés-pour-compte qui se rencontrent et trompent ensemble leurs regrets»? Il existerait un Martyr des affreux, comme l’explique l’historien Jean Héritier dans son ouvrage du même nom: la laideur suscite répulsion et, à travers l’histoire, les laids sont moins aimés. La mocheté, carton rouge de l’amour? «Si le physique est un critère important dans la séduction, il en reste d’autres, et heureusement!», rappelle Jean-François Amadieu. L’humour, le caractère, le talent. A l’image de Jean-Paul Sartre qui parviendra à travers son génie à faire oublier sa laideur. Mais la route est indéniablement plus longue et semée d’embûches pour qui n’a pas un visage gracieux.
Les moyens avec les moyens
Seulement, voilà: la majorité des gens ne sont ni beaux ni moches, mais entre les deux. Des personnes qui sont belles quand elles sont reposées, de bonne humeur ou bronzées et moches quand elles tirent la gueule ou ont mal dormi. Les «entre les deux», appelons-les «les moyens» iraient s’acoquiner du côté d’aussi moyens qu’eux.
Les études menées sur les motivations d’une union entre deux personnes viennent confirmer le vieil adage: qui se ressemble s’assemble. Le test a été fait auprès d’une centaine de couples d’une université américaine par B. Murstein, socio-psychologue américain. Aux yeux d’observateurs extérieurs, les garçons et les filles étaient aussi beaux, aussi moyens ou aussi moches l’un que l’autre. Les membres des couples se jugeaient aussi chacun au même niveau de séduction que leur partenaire. Et ils n’auraient pas tort de fricoter avec aussi charmant qu’eux. Toujours selon Jean-François Amadieu, «si la beauté de l’un des partenaires est supérieure à celle de l’autre, il y a risque d’infidélité et de trahison». Dans la vie, la princesse Fiona finirait peut-être bien par tromper Shrek avec un beau prince…
Le gagnant et le perdant
C’est la théorie du settler (perdant) et du reacher (gagnant) qu’expose Robin dans How I met your mother, série américaine sur une bande d’amis. Marshall parle à sa femme Lily depuis plusieurs semaines d’un de ses collègues en des termes plus qu’élogieux en le faisant passer pour un homme. Seulement voilà, quand Lily découvre que ce collègue est une femme, elle n’est pas du tout jalouse contrairement à ce à quoi s’attendait Marshall.
Pour son amie Robin, Lily n’est pas jalouse car elle est plus belle que Marshall et ne pense donc pas que son mari puisse la tromper. Rassurons-nous cependant, dans la série, Marshall (qui est censé être le gagnant) et Lily (la perdante aux yeux de ses amis) s’aiment éperdument et se moquent bien de savoir qui est le plus beau, persuadés d’être fait l’un pour l’autre.
La passion amoureuse aime à se présenter comme fulgurante et au-dessus des lois psychologiques ou sociologiques, comme le décrit Montaigne «parce que c’était lui, parce que c’était moi». La réalité n’est pas aussi glamour. Nous ne sommes pas égaux devant l’amour, et mieux vaut être pas trop mal fichu si l’on veut trouver et garder sa moitié.
Source : Judith Duportail – Slate