Le nouveau chancelier allemand, mal informé, a involontairement contribué à cette situation en déclarant que l’idée d’un génocide causé par les Ukrainiens dans le Donbass est ridicule. Compte tenu de l’histoire de la région, le spectacle public d’un dirigeant allemand utilisant les mots « génocide » et « ridicule » dans la même phrase a rendu ce moment riche en possibilités. Voici l’information qui manquait à ce chancelier, apparemment assez faible d’esprit. Il y a eu 9 282 morts du côté du Donbass (dont 70 % de civils) et 114 enfants. Les morts du côté ukrainien (les troupes ukrainiennes et divers mercenaires assortis qui attaquaient et assiégeaient le Donbass depuis 2014) étaient au nombre de 20 186. Et ce, avant la reprise des bombardements ukrainiens de ces derniers jours. On comptait également plus de deux millions de réfugiés du Donbass en Russie, plus d’un million en Ukraine et environ 50 000 en Biélorussie.
La plupart des Russes se souviendront également de ce jour avec soulagement, car c’est le jour où leur gouvernement a enfin – enfin ! après huit années littéralement sanglantes – décidé qu’un règlement négocié en Ukraine n’aurait tout simplement jamais lieu et qu’il était inutile d’attendre davantage pour aller de l’avant et faire le ménage. C’était cathartique pour eux d’entendre leur président déverser un torrent de vérité sur l’Ukraine, la qualifiant de concoction bolcheviste de terres historiquement russes pour la plupart, qui n’a tout simplement jamais été destinée à devenir un État indépendant, soulignant qu’elle n’a jamais payé sa part de la dette extérieure de l’ère soviétique (la Russie l’a payée pour elle), qu’elle a refusé de remettre les actifs russes avec lesquels elle s’est incidemment retrouvée, et a plutôt absorbé plusieurs centaines de milliards de dollars de subventions russes, qu’elle a extorqué de l’argent pour l’utilisation de son gazoduc de construction soviétique qu’elle a obtenu gratuitement, et qu’elle a dilapidé et volé le reste de son vaste patrimoine soviétique. Il a également mentionné les ambitions déclarées de l’Ukraine de rejoindre l’OTAN et d’envahir la Crimée, ce qui déclencherait automatiquement une guerre mondiale. Il a mentionné l’ambition déclarée de l’Ukraine d’utiliser le plutonium provenant de ses stocks de combustible nucléaire usé et de ses fusées datant de l’époque soviétique pour concocter des armes de destruction massive – une situation à laquelle il fallait tout simplement faire face. Enfin, il a clairement indiqué que tous les crimes de guerre ukrainiens des huit dernières années ont été soigneusement documentés et que tous ces criminels de guerre seront traduits en justice.
Ce discours est intervenu peu de temps après une session télévisée du Conseil de sécurité russe au cours de laquelle tous les principaux ministres ont pris la parole et se sont tous prononcés en faveur de la reconnaissance des républiques populaires de Donetsk et de Lougansk. Le Premier ministre Mishustin a déclaré qu’ils se préparaient depuis un certain temps aux inévitables retombées et qu’ils y étaient prêts, alors faisons-le. Le ministre des affaires étrangères, Sergei Lavrov, interrogé sur l’opportunité de poursuivre les négociations avec l’Occident au sujet de l’Ukraine, a répondu que c’était « une question de goût », mais que rien n’en sortirait jamais. Et le ministre de la défense Shoigu a simplement dit, très calmement : « Allons-y. Faisons-le. » La réponse à la question de savoir pourquoi la Russie a attendu si longtemps pour prendre cette mesure est qu’elle n’était pas prête : l’économie russe n’avait pas encore été blindée contre toutes les sanctions possibles ; toutes les méthodes diplomatiques pour résoudre le problème n’avaient pas été essayées ; et l’armée n’était pas tout à fait prête à gérer la situation rapidement et efficacement.
Puis vint la cérémonie de signature, au cours de laquelle Vladimir Poutine, Denis Pushilin de la République populaire de Donetsk et Leonid Pasechnik de la République populaire de Lougansk ont signé les documents leur accordant la reconnaissance. Dans ces ordres d’une page figurait un ordre de Poutine à l’armée russe de pourvoir à l’établissement de la paix. Une question très intéressante se pose quant aux frontières dans lesquelles cette paix sera établie. Voyez-vous, après le renversement anticonstitutionnel du gouvernement démocratiquement élu à Kiev en 2014, Donetsk et Lougansk ont fait sécession en tant que régions intactes. Plus tard, au cours de l’« opération anti-terroriste » de Kiev (le préfixe « anti-« étant ici plutôt superflu), ces régions en sont venues à être partiellement occupées par les forces ukrainiennes. Il semble absurde d’imaginer que la Russie, en reconnaissant l’indépendance et la souveraineté de Donetsk et de Lougansk, ait également reconnu l’occupation partielle de ces régions par l’Ukraine. Il est beaucoup plus probable que les forces russes demandent maintenant poliment aux forces ukrainiennes de quitter les lieux avant une certaine date limite ou, à défaut, d’être tuées ou capturées.
Enfin, les dirigeants occidentaux ne s’en rendront peut-être pas compte tout de suite (ils semblent être dans un état mental plutôt désastreux), mais il est probable qu’ils finiront par réaliser que le 22.02.2022 a été le jour où leurs conneries ont définitivement cessé de fonctionner. L’idée qu’ils répandent la liberté et la démocratie plutôt que la mort et la misère (comme le prouve l’Ukraine, en plus d’une longue liste d’autres pays qu’ils ont « libérés » et « démocratisés ») est plus qu’absurde. L’idée que les États-Unis sont un hégémon mondial et qu’ils peuvent dicter leurs conditions à tout le monde a fondu comme neige au soleil. L’unité de l’OTAN n’est qu’un couple de mots sans signification sur un morceau de papier. Dire des bêtises, comme exiger que la Russie respecte les termes des accords de Minsk (selon lesquels elle n’a aucune obligation) n’a aucun effet. Il leur faudra peut-être un peu plus de temps pour se rendre compte qu’imposer des sanctions supplémentaires à la Russie est un excellent moyen pour eux de payer le pétrole 200 dollars le baril tout en se gelant dans le noir. À un moment donné, ils se rendront également compte qu’ils n’ont pas d’autre choix que d’accorder les garanties de sécurité exigées par la Russie, car ils l’ont déjà fait, en paroles et en actes, et qu’il n’est pas possible de se soustraire à leurs engagements en matière de sécurité. La courbe d’apprentissage sera assez abrupte pour eux et on peut se demander s’ils sont capables d’apprendre. La seule capacité qu’ils ont démontrée est celle de répéter la même litanie de mensonges, encore et encore. Ayant été élevés à dessein pour servir les intérêts des banques et des entreprises, ils ne sont peut-être pas capables du niveau requis de pensée rationnelle. Et cela soulève une autre question : Qu’est-ce que les peuples occidentaux vont faire à leur sujet ?
Dmitry Orlov
Né en 1962, Dmitry est un ingénieur et écrivain russo-américain. Ses écrits ont pour sujet le déclin et l’effondrement économique, écologique et politique potentiel aux États-Unis.