Le 12 décembre, les 27 États membres de l’Union européenne se sont donné rendez-vous à Bruxelles pour amender leur proposition de loi sur la liberté des médias, l’European Media Freedom Act. Objectif : se mettre d’accord sur une version moins controversée de l’article 4 sur la protection des sources journalistiques.
Le Conseil de l’UE militait jusqu’alors pour une version de l’article 4 autorisant les logiciels espions au nom de la « sécurité nationale » et dans le cadre d’enquêtes judiciaires portant sur une liste de trente-deux délits, comme l’ont révélé Disclose et ses partenaires. Des journalistes en contact avec des sources visées par des enquêtes pour corruption, contrefaçon, sabotage ou violation de propriété privée… pourront faire l’objet d’une surveillance policière.
Sur ces deux points, dénoncés dans une pétition signée par soixante-quinze rédactions, organisations, collectifs, et syndicats de journalistes, la position du conseil de l’UE n’a pas changé d’un iota, d’après un compte-rendu de la réunion. Au mieux, peut-on lire dans ce document que nous ne pouvons rendre public pour des raisons de confidentialité, « une reformulation » de l’exception de sécurité nationale « pourra être négociée » le vendredi 15 décembre. Soit, le jour des ultimes négociations entre le Conseil de l’UE, le Parlement et la Commission.
Une nouvelle garantie « très problématique » pour la France
Si les 27 se sont montrés plutôt inflexibles sur la question de la « sécurité nationale » et des 32 délits, ils ont tout de même accepté d’ajouter une légère garantie à la protection des sources. Et ce, en vue de trouver un accord avec le Parlement européen. C’est du moins ce qu’indique un autre document obtenu par Disclose et ses partenaires. Il s’agit du compromis établi avant la réunion, et sur la base duquel ont porté les discussions.
D’après cette note de quatre pages, les gouvernements se sont dits prêts à accepter qu’une « autorité judiciaire ou une autorité indépendante et impartiale » donne son accord avant toute mesure de surveillance, de perquisition ou de déploiement de logiciels espions contre les journalistes.
Mais au cours des discussions, un pays s’est farouchement opposé à cet amendement : la France. « Il serait très problématique » d’ajouter cette nouvelle garantie, a estimé le représentant du gouvernement français à Bruxelles, d’après les propos rapportés dans le compte-rendu. Pour lui, l’autorisation préalable d’une autorité judiciaire ou impartiale « n’est acceptable uniquement » dans le cas d’utilisation de logiciels espions. Et ce dernier d’ajouter, qu’en France, « l’autorisation préalable n’est pas toujours requise dans les cas de crimes graves ou mesures urgentes ». Sans aller aussi loin que la France, la Hongrie a également émis des réserves, suggérant que l’autorisation préalable (avant de déclencher des opérations de surveillance) « ne soit pas réservée uniquement à une autorité judiciaire ».
« Seule la France s’est exprimée en faveur de cette vision restrictive », note la présidence espagnole du Conseil, qui suggère donc de se ranger à l’avis du Parlement européen le jour du trilogue, le 15 décembre.
La France défend la même ligne que la Hongrie
Lors de la réunion du 12 décembre, un autre point défendu par le Parlement européen a été âprement débattu : l’obligation d’informer a posteriori les journalistes qui ont été ciblés par des mesures de surveillance dans le cadre d’enquêtes judiciaires. Là-dessus, la France partage la même vision que le régime autoritaire de Viktor Orban en Hongrie.
La lecture du compte-rendu révèle en effet que les autorités françaises ont réclamé que le principe d’information soit « limité à l’usage des logiciels espions » afin « de préserver la confidentialité des procédures juridiques ». De son côté, la Hongrie fait savoir qu’elle considère qu’il est « difficile de fournir ces informations ».
L’opposition bruyante des autorités françaises et hongroises a contraint le Conseil de l’UE à mettre cette proposition de côté, pour éventuellement la poser sur la table des négociations, le 15 décembre.
Enquête : Ariane Lavrilleux (Disclose), Harald Schumann, Pascal Hansens (Investigate Europe), Alexander Fanta (Follow the Money)
Édition : Mathias Destal
Photo de couverture : Mustafa Yalcinanadolu /AFP
Source : disclose.ngo