Il y a des métiers méconnus, comme fendeurs de porcs ou branleurs de dindons, mais qui n’ont aucun intérêt. Et puis, il y a les métiers de l’ombre qui porte toute une oeuvre sur leurs épaules. C’est le cas du directeur photo. Un nom à peine remarqué au générique, après celui du réalisateur. Un rôle moins magique depuis l’arrivée du numérique. Et un rôle qui reste flou dans l’esprit du grand public. Pourtant, faisons simple, la beauté, c’est lui.
Lui, c’est par exemple, Vincent Vieillard-Baron. Directeur photo ultra doué et abouti. Il nous parle de lui et de son métier.
Première question, celle que tout néophyte se pose : à quoi ça sert un directeur photo ?
Par définition un directeur de la photographie est le responsable de l’image d’une oeuvre filmée. Son but est de traduire les désirs artistiques du réalisateur en solution technique à l’aide de son savoir-faire. Il est une sorte de pont reliant la technique à l’artistique.
Est-ce que tu peux nous donner un exemple concret sur un film connu du travail d’un directeur photo ?
Il y en a beaucoup mais si on se penche sur le travail de quelques grands directeurs de la photographie, on remarque tout de suite que sur certains films des défis techniques ont toujours été à la base de la fabrication d’un film.
Par exemple Barry Lyndon, où de grandes scènes sont essentiellement éclairées à la bougie. Ce qui a nécessité la fabrication d’objectifs spéciaux et de pellicules pour le cinéma qui n’existaient pas avant pour capter plus de lumière et ainsi tourner ces scènes en basse lumière. Et pourtant quand on regarde ce film cela ne saute pas aux yeux que ce film est compliqué techniquement.
Un autre défi plus récent, Gravity. Sans le savoir-faire technique du directeur photo et l’ingéniosité des techniciens le film n’aurait jamais pu se faire.
Un autre exemple que j’aime beaucoup, c’est Aviator, où cette fois-ci le directeur de la photographie, Robert Richardson, pour retrouver le grain et la texture d’image des grands films des années 40, a tourné avec les solutions techniques de l’époque, et a ainsi redonné vie au Technicolor l’espace de quelques scènes.
Un directeur photo est-il un réalisateur frustré ?
Il est plutôt le bras droit du réalisateur. Le directeur de la photo accompagne le réalisateur dans ses choix de narration en y mettant son savoir-faire.
Tu as quelques collaborations régulières. Jean-Luc Herbulot, Romain Basset… à quel point la complicité est importante dans ton métier sur le binôme ?
Faire un film c’est très difficile et c’est une grande aventure. Pour certains, on part en guerre, pour d’autres, on fabrique un bébé; mais dans les deux cas on a besoin d’un noyaux dur constitué de personnes auxquelles on doit faire confiance pour avancer.
Quand on part faire un long métrage, on part pour plusieurs semaines, voire plusieurs mois et il faut que le dialogue passe facilement. Si on commence à perdre du temps pour se comprendre mutuellement ou à prendre des pincettes pour se parler, c’est autant d’énergie qui ne se retrouvera pas dans le film.
Quand on sait le peu de temps que l’on a pour fabriquer un film, et si on connait le réalisateur on lui fait des propositions artistiques sur lesquels on sait qu’il va accrocher rapidement, et même parfois, on tente de le pousser à faire des choix qu’il hésitait à faire.
Qu’est-ce qu’un bon réalisateur du point de vue du directeur photo ?
Un bon réalisateur est quelqu’un qui sait raconter une histoire à travers ses comédiens. Qui sait de quoi parle son film et comment il veut le raconter; et qui arrive à nous l’exprimer de manière simple.
C’est aussi quelqu’un qui nous met face a des situations qu’on aurait bien aimé éviter et cela nous pousse à constamment revoir notre façon de travailler.
Parlons de ton travail. Ce qui frappe le plus, c’est ton jeu de lumières et des couleurs. C’est ta marque de fabrique ?
Quand je réfléchis à l’image d’un film que je prépare, je sais déjà où le réalisateur veut emmener le film.
J’essaie ensuite d’amener une évolution de la lumière en fonction de l’évolution de l’histoire. Cela peut être une évolution du contraste en fonction de ce qui se passe dans le film. Éclairer un personnage d’une certaine manière pour refléter sa psychologie et ainsi aider à raconter l’histoire du réalisateur via l’image.
Que ce soit lumineux ou par les couleurs, esthétiquement j’aime le contraste et ce qu’il apporte à une image. On peut guider l’oeil sur plusieurs points de l’image grâce au contraste et ainsi faire cheminer l’oeil pour qu’il découvre les différents détails du film. Mais j’aimerai bien me confronter à un film où le contraste desservirait l’histoire, et voir ce que je peux faire de l’image.
Être directeur photo, c’est savoir faire du beau avec des contraintes et toi, entre les contre-jours et les fluctuations de couleurs, les contraintes tu as l’air d’aimer ça.
Le rôle du directeur photo n’est pas de faire que du « beau » mais de faire une image qui sert la narration du film.
J’aime utiliser les contraintes et m’en servir pour en faire un atout à la lumière et si possible des clefs de narration. C’est là que la magie peut opérer. Si je suis trop en sécurité, l’image peut perdre de son charme et je suis toujours en train de me demander comment rendre cela plus réaliste.
Ce n’est pas facile tout le temps et parfois ça ne marche pas comme on l’aurait voulu, mais on trouve toujours des solutions.
As-tu des envies de passer à la réalisation ?
L’idée m’a déjà traversé l’esprit mais réaliser c’est se vider la tête pour la remplir d’un seul et unique projet, se battre pour le monter et le préparer, le tourner et le post produire. J’ai trop peu de temps et de courage pour m’atteler à cet exercice éprouvant.
Ton long métrage de référence pour un directeur photo ?
Il y en a trop. Je citerais plutôt quelques directeurs de la photographie que j’ai en référence
Janusz Kaminski
Robert Richardson
Roger Deakins
Conrad L Hall
On avait longuement discuté avec Christopher Kenneally quand il a sorti le documentaire Side by Side avec Keanu Reeves. Avec le numérique et la possibilité de voir immédiatement sur les combos le résultat, les directeurs photo ont perdu un peu de leur côté chamanique, magicien. Est-ce que c’est quelque chose que tu ressens ?
Ce n’est pas quelque chose que je ressens vraiment puisque j’ai très peu connu la pellicule. Je comprends cependant le ressenti de certains DP qui sont plus tranquilles en étant les seuls à connaitre le rendu de l’image. Cela évite que tout le monde aille de sa critique sur l’image et donc remette en cause les choix du DP. A part le réalisateur et certaines personnes précises de l’équipe, les autres n’ont pas à avoir de combo sous les yeux.
Et si on ne veut pas voir immédiatement le résultat final sur les combos (ce que nous ne voyons toujours pas car les images doivent toujours être post produites) ou si l’on regrette la rigueur d’un tournage en pellicule, ses répétitions et la concentration pour être sûr d’avoir la meilleure performance de chacun, on peut très bien ne pas allumer le combo, ou bien de se restreindre a 30 minutes de rushes par jour.
Quant à ce débat éternel entre pellicule et numérique, où te situes-tu ?
Je me situe du coté du film et de l’histoire. À chaque film son support.
Je voulais te faire réagir à une citation d’Isabelle Adjani.
« Le regard que recherche avant tout une actrice, c’est celui du directeur de la photographie. Il est un concurrent du réalisateur qui lui est un peu le mari, le légitime. L’actrice cherche le regard de l’illégitime parce que l’autre ne voit plus à quel point vous êtes belle, à quel point vous êtes douée, il ne sait plus vous regarder et vous aimer. »
Effectivement si on veut regarder un film avec de belles actrices douées, il faut que le directeur photo en ait conscience pour éclairer la beauté et le talent de l’actrice.
Mais si on veut aller voir un film avec des personnages forts, il faut que le directeur photo n’ait pas réfléchi sa lumière par rapport aux acteurs, mais par rapport à l’histoire et aux émotions des personnages dans cette scène.