Le 11 février sort son troisième long métrage. Un nouveau film basé sur une histoire vraie, sur une affaire judiciaire, sur un de ces drames humains qui tissent parfois les colonnes des journaux.
Avec L’Enquête, Vincent Garenq se penche sur l’affaire Clearstream et l’enquête de Denis Robert. Alors que le cinéma français, à l’image de ses dirigeants, a toujours pris une génération pour digérer les événements, le cinéaste s’attaque aux plaies avant qu’elles ne cicatrisent. Vincent Garenq porte sa plume dans cette plaie et donne vie aux faits avec une réalité chaude qui échappe au traitement journalistique ou historique.
La première surprise en entendant parler de votre film, c’est la proximité temporelle avec les faits évoqués. Si Oliver Stone est capable de sortir son film W alors que Bush est encore au pouvoir, en France, la tradition est plutôt d’attendre une génération avant de parler des faits. Vous vous rendez compte que vous cassez une tradition pesante avec vos films ?
Je ne me rends pas compte. J’ai l’impression que ce sont des histoires connues des journalistes, peut-être moins du grand public, et c’est pour ça que j’ai fait ce film. Le cinéma a un impact que les livres et les articles n’ont pas.
Évidemment, avec un tel film, on pense forcément aux Hommes du président ou à Zodiaque. Des films qui ne s’intéressent qu’à l’enquête. Alors qu’en France, je pense par exemple à La French, l’aspect biographique des protagonistes est indissociable. Dans quelle veine se situe L’Enquête ?
C’est une enquête, dans la ligne des Hommes du président, évidemment. Ou de Zodiac. Ou de Erin Brokovich. C’est l’histoire d’un journaliste qui s’attaque à une multinationale, la banque qui assure les échanges entre les banques mondiales, il en prend plein la gueule mais finit par gagner !
En préparant ce film, avez-vous appris beaucoup de choses sur l’affaire Clearstream, et par là, je veux dire : est-ce que les gens sont bien au courant de l’affaire, conscient de son importance ?
J’en avais l’intuition, j’en ai maintenant la certitude après les premières projections publiques : les gens n’ont rien compris aux fondamentaux de cette histoire. Ils n’ont retenu que le superflu, ce que les médias ont raconté : la gué-guerre entre Sarkozy et De Villepin. Ils n’ont pas compris que cette histoire avait pris racine dans les enquêtes de Denis Robert sur l’opacité financière mondiale et du juge Renaud Van Ruymbeke sur de soupçonnées rétro-commissions lors de la signature des contrats d’armements des frégates de Taiwan. Et c’est cette histoire que je raconte : l’histoire d’hommes de bonne foi qui enquêtent sur la corruption à l’échelon mondial.
Il y a déjà eu des tonnes d’articles, une série de BD, des livres… est-ce que votre film a pour objectif d’expliquer l’affaire de manière exhaustive ou est-ce un nouvel angle ?
Le film arrive avec du recul sur cette affaire. Il remet l’histoire dans sa chronologie et lui redonne du sens, alors qu’il s’était complètement perdu dans cette histoire de règlement de compte entre présidentiables.
On a l’impression que les affaires trop tentaculaires ne pourront jamais aboutir, parce qu’elles impliqueraient une révolution systémique. Pensez-vous que l’affaire Clearstream va, un jour, voir ses responsables condamnés ? Parce qu’on a l’impression que seul Denis Robert a été inquiété pour le moment.
Le film parle de cette histoire singulièrement, mais s’inquiète surtout de la finance en général qui est comme hors contrôle, impunie. Tandis que nous, simples citoyens, à qui l’on demande plus d’efforts, nous ne pouvons nous soustraite à l’impôt. Il y a là quelque-chose d’inacceptable, d’immoral et je ne m’y habitue pas.
Justement, parlons de Denis Robert. Journaliste impressionnant, mais aussi artiste et écrivain. C’est un personnage taillé pour la fiction. Avez-vous dû le « simplifier » justement pour que la réalité soit plus lisible ?
Adapter, c’est simplifier et trahir un peu. Un film va à la vitesse d’un train (François Truffaut) et l’Enquête n’échappe pas à la règle… Gilles Lellouche n’a pas cherché à copier Denis, mais il s’en est inspiré. Il l’a interprété à sa manière.
Toulouse, Montpellier… les avants-premières ont à chaque fois accueillis des salles combles et des débats passionnés. Surpris de cet engouement, alors qu’on pense toujours les Français désabusés devant la multiplication des affaires et la tentation simpliste du « tous pourris » ?
Tous pourris ? Si j’étais résigné, je ne ferai pas ce genre de film. Le monde change. Internet contribue à l’information. Pour le meilleur et pour le pire. Et peut-être ce film arrive à un moment critique de nos sociétés, où l’on met plus à contribution les citoyens à cause de la crise. Pourquoi pas. Mais alors il faudra qu’en échange il y ait une plus grande moralité des affaires et de la finance… Et pour le moment, je ne crois pas que nous soyons très rassurés là-dessus. Il faudra que ça change, sinon tout cela va exploser. C’est mon intuition.
Bien involontairement, votre film sort à un moment où la France redécouvre les vertus de sa presse libre. Vous-mêmes, ce film a-t-il changé votre façon de voir la presse ?
Charlie Hebdo, l’affaire LuxLeaks, la loi Macron grandement contestée pour sa tentative d’étouffer les affaires… Tout semble converger aujourd’hui vers la thématique de la liberté de la presse et des lanceurs d’alerte… Et le film sort à ce moment! Mais je ne mets pas cela sur le compte du hasard seulement. Je me suis intéressé à cette histoire, parce que je parle de ce qui me préoccupe. J’appartiens à mon époque. Et ces thématiques y sont au cœur.
Comme les autres, le mariage et l’adoption homosexuelle et les sans-papiers. Présumé coupable, l’affaire Outreau, le système judiciaire. Vous êtes dans la droite ligne de Max Pécas, un amoureux de la légèreté ?
J’ai envie de changer. Un peu marre de filmer des gardes à vues, des bureaux de juge et des salles d’audience… Mais ça ne se voit pas dans mes films. J’ai une longueur d’avance et je sais qu’il faut que je change. Mais j’ai fait les quatre premiers films que j’ai voulu, avec un vrai emballement sincère pour eux. Mais là je suis au bout d’un cycle, c’est évident.
Sérieusement, pourquoi ce besoin de s’accrocher à des faits réels, d’une part, et lourd de sens, d’autre part ?
Je ne sais pas. C’est intuitif. Instinctif. Je ne cherche pas à analyser.
Votre Wikipedia fait état d’une réalisation pour Sous le soleil. Vous n’avez jamais été tenté de le faire oublier ?
Pourquoi devrais-je avoir honte d’avoir gagné ma vie? Je suis fier au contraire de mon parcours. Des difficultés que j’ai rencontré. Ça m’a rendu plus fort. Je mesure d’autant plus la chance que c’est de faire du cinéma que cela m’a été difficile d’y parvenir.
Vous êtes également scénariste de vos films. Scénariser des faits réels est tout un art. Quelles sont les principales difficultés selon vous ?
Je me suis inventé une petite façon de faire. J’adore flirter avec le réel. Je colle à la réalité. Les histoires qui viennent du réel sont souvent bien plus originales que celles qui sortent de l’imagination d’un scénariste.
Vous allez ensuite vous attaquer à la vie d’André Bamberski. Si un studio vous donnez un budget illimité pour réaliser cinq films sur n’importe quel faits réels des trois milles dernières années, sur quoi porteraient ces cinq films.
J’en ai un peu fini avec cette inspiration là. Je vais me laisser dériver un peu et essayer de me surprendre.