Jérôme Zonder est un artiste rare. Un dessinateur-peintre qui utilise sa mine comme un bistouri. Son œuvre est dérangeante, intrigante, mais surtout intelligente. Zoom avant/arrière permanent. Du microscopique au macroscopique. De la grande histoire à l’intimité. Du psychisme au comportementalisme. Ses œuvres sont visibles à la Galerie Eva Hober. Rencontre avec un flippé du temps qui passe, qui ne craint pas la mort mais qui est effrayé de ne pas vivre.
En voyant votre œuvre, on se dit que vous avez raté une carrière de baby-sitter.
Jérôme Zonder – (rire) Je n’y avais pas pensé, je vais envisager ma carrière sous un nouvel angle.
Vous comprenez que certains parents aient envie de vous voir enfermé ?
J.Z. – Mon travail est une allégorie. Les enfants sont l’articulation entre la grande histoire et l’histoire intime. Mais ce ne sont pas que des enfants, ce sont des personnages nés en 2009 que je vais suivre et voir grandir. C’est une narration continue. Je réfléchis en ce moment à l’histoire de l’adolescence. Ces personnages récurrents, c’est Baptiste, Pierre-François et Garance, les personnages des Enfants du Paradis.
Cette narration continue, c’est rare chez un artiste qui expose.
J.Z. – Oui, il y a quelque chose de la bande dessinée. En fait, j’ai deux moteurs. Le dessin et le narratif.
Le dessin, c’est surtout le rapport au médium. Je voulais un médium partagé, qui ne soit pas élitiste. D’où le stylo ou la mine grasse. J’essaie d’adapter mon médium à l’émotion que je veux partager. Mais surtout, j’ai quitté la peinture parce que sinon on est dans la séduction. La peinture, c’est le maquillage de l’art. Moi, je veux qu’on aime mes œuvres pour ce qu’elles sont.
La narration, c’est le lien entre la façon dont on se raconte le monde. Et la façon dont on fait l’expérience du monde. C’est comme la différence entre physique newtonienne et la physique quantique. On ne connait pas le lien entre les deux, mais on sait que notre réalité est régit pas ses deux lois.
Les grands récits physiques, c’est l’équivalent des grands récits bibliques d’antan. Le grand récit scientifique, c’est le récit qui enchante le monde aujourd’hui. C’est comme le rapport entre la structure historique et l’héritage (les grandes tragédies du XXème siècle). Nous, on est entre les deux. A mi-chemin entre psychanalyse et science fiction.
Vous insistez sur ce rapport à l’histoire. Mais ce n’est que l’histoire contemporaine, parce que c’est un rapport à l’imagerie qui en découle.
J.Z. – Tout à fait, ça me permet de reprendre l’initiative des images qu’on reçoit. Je redeviens le narrateur. Aujourd’hui, la télé est devenue un robinet à merde. La vraie pornographie, c’est le traitement médiatique. C’est un flux ininterrompu de rien.
Vous dessinez en permanence. C’est une forme de pulsion. Une pulsion de quoi ?
J.Z. – De vie. Vraiment. Ce serait beaucoup moins maîtrisé s’il s’agissait d’une pulsion de mort. D’ailleurs, le noir et blanc est là pour marquer une distance avec le fond.
En fait, j’essaie de dessiner comme Louis Ferdinand Céline écrit. Je suis très marqué par son rythme. Le choc des paradoxes. Le rapport au grotesque. Les cassures de rythmes. Sa façon de changer de style dans un même paragraphe, de se mettre à maltraiter la langue pour passer son message.
Vous avez dit que si on enlevait la mort, le sexe et Dieu dans l’art, il ne restait qu’une ou deux natures mortes.
J.Z. – Oui, en art, on va l’essentiel : le début, la fin et comment on comble au milieu. J’ai 37 ans, il me reste maximum 60 ans, j’ai pas de temps à perdre avec les natures mortes. C’est anthropologique.
Quel rapport avez-vous à la BD ?
J.Z. – J’ai découvert très tard la BD, vers 20 ans. J’ai été élevé sans télé, sans BD, qu’avec des livres. J’adore dans la bande dessinée le rapport entre continu et discontinu. La narration est continue et pourtant, la grille séparée en cases, est discontinue. Les blancs entre les cases, c’est là que sa joue la narration. C’est comme les sauts synaptiques entre neurones. La narration discontinue rend toute chose possible. On est plus obligé de tout expliquer. C’est un peu ce que fait Céline ou Tex Avery ou le jazz. D’ailleurs, j’ai regardé les dates du voyage de Céline aux Etats-Unis, ça correspond à la période de Tex Avery. Je suis sur qu’ils se sont rencontrés. Céline a été influencé par Tex Avery.