Il y a des artistes dont les écorchures sont des plaies béantes. Daniel Johnston a commencé à écrire des chansons pour séduire une fille qui ne voudrait jamais de lui. Et il n’a quasiment plus arrêté. Aux yeux du monde froid et asseptisé que l’on semble vouloir nous imposer (toute paranoïa mise à part, évidemment), Daniel Johnston fait figure de déchet artistique, de raté, de minable, et de tous les adjectifs rabaissants que l’on peut trouver (ou même inventer). C’est que le « grand public », dans son ambition aveugle de vénérer tout ce qu’on lui dira de vénérer, occupé à se voiler la face dans des programmes insipides divers et variés, ne sera jamais prêt à se laisser toucher par l’émotion dégagée par Johnston lorsqu’il chante. Il ne sait d’ailleurs pas chanter. A peine sait-il jouer d’une paire d’instruments. De plus, il ne colle absolument pas (pas du tout du tout) aux canons de beauté imposés pour vendre (d’ailleurs on se demande encore ce que la beauté physique a à voir avec le métier de chanteur mais il semble que ce soit indispensable pour faire carrière (et de plus en plus de nos jours), à moins d’être pourvu au minimum du Génie d’un Gainsbourg, de la Vision complexe d’un Thom Yorke, ou de la Virtuosité d’un Johnny Winter pour n’en citer que 3). Non, Daniel Johnston est simplement laid. Il est aussi malade dans sa tête, au sens clinique du terme. Il souffre de schizophrénie. Et sa maladie le rend étrange de par les tremblements et les grimaces que son traitement provoque. Mais en dépit de ce fardeau, de ce délabrement physique et mental, Daniel Johnston a toujours continué à chanter et à copier ses cassettes chez lui, au piano, à la guitare… Durant trois décennies, autant que possible entre deux internements. Il en résulte une oeuvre foisonnante d’une vingtaine d’albums. Cet acharnement force le respect, c’est l’essence même de l’art, de l’expression. Et de véritables joyaux sont nés de cette personne à l’émotion exacerbée. Des joyaux sains, sans fioriture, pleins de défauts magnifiques. Son oeuvre, plutôt colossale, est salutaire. Chacun devrait pouvoir y trouver à la fois une source d’inspiration et d’humilité.
À sa façon, et toute proportion gardée, il est un peu un Neil Young de pacotille. Il suffit d’écouter « True love will find you in the end » ou « Some things last a long time ».
Parfois accompagné par Butthole Surfers, Daniel Johnston a soulevé l’enthousiasme de nombreux musiciens plus célèbres tels Kurt Cobain, Henry Rollins, Tom Waits ou Thurston Moore pour ne citer qu’eux..
Brillant par l’économie de moyens qui le caractérise, on classe Daniel Johnston dans le style Lo-fi. Mais la fragilité, la voix hésitante et l’amateurisme musical juste suffisant rapprochent aussi son oeuvre du Grunge originel.
Le jour où ce Monsieur quittera ce monde, une tristesse impalpable étreindra nos coeurs et nous ne nous en apercevrons pas tous….