L'hypnocratie dévoilée : quand un philosophe fantôme hypnotise les médias et réveille la réalité

Imaginez un philosophe hongkongais, Jianwei Xun, auteur d'un essai percutant intitulé Hypnocratie, qui décrypte les mécanismes du pouvoir à l'ère numérique. Ses idées font le tour des rédactions, des interviews sont publiées dans des médias prestigieux comme Le Grand Continent ou Le Figaro.

Pourtant, en avril 2025, la bombe explose : Jianwei Xun n'existe pas. Il s'agit d'une création fictive, orchestrée par un éditeur italien avec l'aide de l'IA. Cette histoire n'est pas seulement un hoax ingénieux ; elle interroge profondément notre rapport à la réalité, aux médias et à la politique.

Dans cet article exclusif, nous plongeons au cœur de cette affaire, en explorant ses ramifications inédites et ses leçons pour l'avenir.

La genèse d'un philosophe virtuel

Tout commence en 2023, bien avant le retour triomphal de Donald Trump à la Maison Blanche et les controverses entourant Elon Musk. Andrea Colamedici, un philosophe et éditeur italien spécialisé dans l'intelligence artificielle, lance une "expérience ontologique et littéraire".

Son objectif ? Tester jusqu'où une identité générée par l'IA peut infiltrer le discours public et influencer la réflexion contemporaine. Colamedici collabore avec deux outils d'IA, ChatGPT et Claude, en leur fournissant ses propres écrits et des références bibliographiques. Le processus, qu'il qualifie de "labyrinthique", s'inspire d'auteurs comme Franz Kafka et Jorge Luis Borges, maîtres de l'illusion et de l'absurde.

De cette alchimie numérique naît Jianwei Xun, un philosophe hongkongais fictif, et son ouvrage Hypnocratie. Le livre est publié, des articles paraissent, et des interviews sont accordées – toutes rédigées par l'IA sous la supervision de Colamedici. Des médias français, dont France Culture, tentent même d'organiser des entretiens vidéo, mais ne reçoivent que des réponses écrites.

Pendant plusieurs mois, l'illusion tient bon, jusqu'à ce que la vérité éclate au grand jour en avril 2025.

Le Figaro, par exemple, retire précipitamment son interview avec Xun, signe d'un embarras palpable dans les rédactions.

Colamedici explique son projet en ces termes : "Jianwei Xun était pour moi une expérience ontologique, littéraire. Dans quelle mesure une identité générée peut-elle entrer dans la réflexion contemporaine ? Et dans quelle mesure une personne 'qui n'existe pas' peut-elle influencer le discours public ?" Cette question résonne d'autant plus que le hoax n'est pas gratuit : il porte un concept bien réel, l'hypnocratie, qui mérite d'être disséqué.

Qu'est-ce que l'hypnocratie ? Un concept qui hypnotise la politique

Au cœur de cette supercherie se trouve une idée puissante : l'hypnocratie, un régime politique propre à l'ère du capitalisme numérique. Selon Apolline Guillot, professeure de philosophie et rédactrice en chef de Philonomist, qui a analysé le concept, l'hypnocratie ne repose ni sur la force brute, ni sur la coercition, ni même sur la persuasion rationnelle. Au contraire, elle opère par une "modification perpétuelle des états de conscience collectifs".

Inspiré des travaux sur la psychologie des foules de Gustave Le Bon et du charisme chez Max Weber, ce concept s'adapte à notre époque algorithmique. Les leaders politiques, comme Donald Trump, induisent des états de transe collective à travers leurs discours. Guillot l'illustre parfaitement : "Les discours de Trump ont une portée qui est de l’ordre de l'hypnose, de la transe, d’une espèce d’altération des états de conscience. Ses discours vont transformer la réalité."

Dans cette hypnocratie, la réalité se fragmente en narratifs concurrents, inondés par l'IA qui multiplie les interprétations possibles. Colamedici ajoute : "Le pouvoir utilise l'intelligence artificielle pour inonder la réalité d'interprétations possibles, d'autres possibilités qui coexistent en même temps."

L'hypnocratie aplatit le monde en données calculables, créant une superstructure informationnelle où le vrai, le faux et le fictif se fondent. C'est un miroir tendu à notre société, où les bulles de filtres des réseaux sociaux renforcent les biais de confirmation, rendant les médias vulnérables à de telles manipulations.

Comment les médias se sont laissés piéger