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L’étrange histoire des documentaires pro-Chine d’un cinéaste français primé dans de faux festivals

L’étrange histoire des documentaires pro-Chine d’un cinéaste français primé dans de faux festivals

Spring, Seeing Hong Kong Again, du réalisateur français Benoît Lelièvre, est l’un des documentaires de l’année: il a reçu trois minutes d’applaudissements lorsqu’il a été projeté au dernier Festival de Cannes, en plus d’obtenir deux prix au Prague Film Festival! Enfin… c’est ce qu’en dit un communiqué de presse repris début juin par l’agence américaine GlobeNewswire. La vérité est bien moins belle: à peu près personne n’a vu ce film pro-Chine. Ses récompenses à Prague ne sont que fabulation.

Dans ce court-métrage de vingt-cinq minutes, Alex, le protagoniste néo-zélandais, déclare sa flamme à Hong Kong, où il vit depuis 2000. La métropole asiatique vient de traverser des temps troubles, nous rappellent les personnes qu’il croise durant ses déambulations: Henry, jeune artiste d’opéra cantonais, a même failli arriver en retard à une représentation lors des «émeutes» (les manifestations contre l’amendement de la loi d’extradition) de 2019!

Puis, il y eut la pandémie de Covid-19… Amy et Peter sont reconnaissants envers la Chine, qui a fourni nourriture et aide médicale. Aujourd’hui, tout cela est chose du passé: Hong Kong s’apprête à renaître, plus forte que jamais. L’afflux de capitaux chinois annonce un avenir radieux, affirme même Dolphin, qui travaille dans les services financiers.

Bref, cela saute aux yeux: Spring, Seeing Hong Kong Again est en droite ligne avec ce que Xi Jinping a demandé en mai 2021 au service chargé de la propagande de son Parti communiste: «bâtir une image crédible, attachante et respectable de la Chine».

Un étonnant communiqué

Le communiqué de presse vantant les mérites du documentaire, qui a fortement fait réagir les militants prodémocratie de Hong Kong sur les réseaux sociaux, va dans le même sens: dans un anglais douteux, il explique que le film de Benoît Lelièvre «diffère de Revolution of Our Times […] et nous montre un Hong Kong vibrant et pacifique», avant de citer la directrice du festival praguois (appelée par son prénom, Zuzana) qui se réjouit qu’il «offre une perspective et une réflexion nouvelles au public européen».

Cet étrange communiqué a été envoyé par Star International Culture and Media, un nom générique qui ne donne pas grand-chose sur Google. L’adresse e-mail qu’il fournit est par ailleurs introuvable. Quant au générique de fin, il est avare de détails: ni les figurants ni la maison de production n’y sont identifiés.

Au moment d’écrire ces lignes, le pseudo-documentaire n’avait été vu que trente-et-une fois sur une page Vimeo privée à laquelle nous avons eu accès. Il semble bien que ce soit la seule manière de le regarder: il n’existe aucune trace de ce film sur internet, pas même une bande-annonce. Curieux, pour une œuvre qui est allée au Festival de Cannes

Multiples (fausses) récompenses

Sauf qu’on a vérifié, et Spring, Seeing Hong Kong Again ne faisait pas partie de la sélection officielle sur la Croisette. Pour le voir, il fallait aller au Marché du film, un événement de réseautage réservé aux professionnels de l’industrie organisé en marge du festival, où pas moins de 4.000 œuvres sont projetées chaque année. D’après le programme, deux diffusions y ont eu lieu, en ligne seulement. Pas de salle comble ni d’applaudissements nourris, donc.

Benoît Lelièvre a profité du Marché du film pour diffuser un autre documentaire de son cru qui livre une bonne image de la Chine: Ripples. Selon un autre communiqué de Star International Culture and Media, celui-ci évoque «la vie quotidienne de quatre femmes du Xinjiang depuis une nouvelle perspective».

À contrepied de la couverture médiatique habituelle, Ripples présente des travailleuses ouïghoures qui ne se sentent pas discriminées en Chine et ont pu rejoindre les rangs de la classe moyenne –même si hélas, elles subissent le contrecoup du boycott du coton décrété par de grandes marques pour protester contre le traitement que Pékin réserve à sa minorité musulmane. Surprise: ce court-métrage a également été récompensé deux fois lors du Prague Film Festival, en 2021.

Des festivals inexistants

Quand elle a appris que des films pro-Chine avaient fait fureur à Prague, la journaliste tchèque Magdalena Slezáková est restée perplexe: «J’ai grandi ici et je n’ai jamais entendu parler du Prague Film Festival», explique-t-elle. Alors, elle a mené l’enquête pour le compte du média qui l’emploie, Deník N. Conclusion: le festival est une pure invention. Il n’y a rien à son adresse postale et le nom de sa directrice, Zuzana, a été emprunté à l’organisatrice d’un festival de film pour enfants, qui n’a jamais entendu parler du Prague Film Festival.

Cela vient confirmer les doutes exprimés par des internautes hongkongais sur Twitter: ils avaient découvert que le site web du festival utilisait des photos trouvées dans des banques d’images ou sur Facebook, puis détournées.

Un cinéma indépendant de Prague a bien passé Spring, Seeing Hong Kong Again en mai, mais pas dans le cadre d’un festival. La projection a eu lieu dans une salle louée pour l’occasion et seuls deux billets ont été vendus ce soir-là, a également découvert Magdalena Slezáková.

La facture a été payée par un Canadien d’origine russe nommé Alex Davidson, qui a prétendu au Deník N être l’Alex que l’on retrouve dans le film –bizarre, c’était censé être un Néo-Zélandais vivant à Hong Kong depuis vingt-deux ans! Il dit avoir agi pour le compte d’un certain Wang Jie. Ce citoyen chinois, qui reste muet face aux sollicitations des journalistes, lui aurait fourni le film.

Un réalisateur silencieux

Benoît Lelièvre garde lui aussi le silence, bien que nous ayons tenté de le joindre de plusieurs manières. Ses pages Facebook et LinkedIn sont les seuls moyens d’en apprendre davantage sur lui. En 2015, il a signé un court-métrage récompensé au Festival du film chinois de Paris, Le Miroir d’Alice. Dans la dernière décennie, il a également fait plusieurs séjours en Chine pour enseigner le cinéma dans diverses universités.

Dans une publication datant de novembre 2021, on apprend qu’il n’a pas pu retourner dans l’empire du Milieu depuis le début de la pandémie, ce qui signifie qu’il ne pouvait être présent lors du tournage de Ripples. Pas de traces non plus d’un quelconque séjour récent à Hong Kong. D’ailleurs, à part quelques photos où il pose avec l’affiche de sa dernière réalisation, il ne se vante pas de ses deux récents documentaires, ni des «prix» qu’ils ont récoltés.

Ripples aurait aussi gagné le Grand Prix du jury à l’Amsterdam International Film Festival en 2021. Pourtant, il n’apparaît pas dans la liste des gagnants que nous avons trouvée sur le site FilmFreeway, utilisé par les cinéastes pour soumettre leurs œuvres à des festivals. Personne ne s’en plaindra: ce festival amstellodamien a tout l’air d’un autre faux événement. Sa page Twitter alterne entre appels à soumission sans aucune date limite et images tirées de films célèbres…

Les quelques critiques (à 100% positives) de Ripples et Spring, Seeing Hong Kong Again se trouvent toutes sur le site filmfestivals.com et sont signées de commentateurs peu connus comme Moira Sullivan, Claus Mueller ou Emmanuel Itier. Ce dernier est un documentariste français installé en Californie, qui s’est présenté aux dernières élections législatives pour le parti de Jean Lassalle. Il nous raconte avoir visionné et commenté le film sur Hong Kong à la suite d’une demande de la direction du site et ne pas s’être arrêté au message politique, ayant regardé le court-métrage en vitesse…

Des extraits de ces critiques ont été repris dans les communiqués de presse vantant les films de Lelièvre. En résumé, l’objectif de toute l’opération ne semble pas de diffuser les courts-métrages, mais de bâtir une couverture médiatique artificielle autour de ceux-ci.

Mais pourquoi faire tout cela?

Ceci n’étonne pas Antoine Bondaz, chargé de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, dans la mesure où le procédé est cohérent avec les efforts actuels de propagande chinoise: «Ce qui compte, ce n’est pas que les gens voient ce documentaire, mais qu’ils sachent qu’il y a un film sur Hong Kong qui prend le contrepied des vrais documentaires, résume ce spécialiste de la Chine. Il s’agit de semer le doute, suggérer qu’il pourrait y avoir plusieurs interprétations de la réalité.»

Dans ce contexte, il est logique que les films de Benoît Lelièvre ne soient pas largement diffusés: cela évite que la critique se penche dessus et les démolisse… Inventer de faux prix est toutefois un procédé peu professionnel, commente Antoine Bondaz. Mais le plus étrange à ses yeux, c’est que les médias d’État chinois n’ont pas relayé les communiqués de presse dithyrambiques, ce qui leur aurait pourtant permis de montrer que certains Occidentaux ont une vision positive de la Chine. Alors, pourquoi avoir fait tout cela?

Directeur du China Media Project, un programme de recherche et de journalisme sur l’information en Chine, David Bandurski a retrouvé les traces de Wang Jie, qui a commandité la projection de Prague: ce serait le directeur général d’une maison de production chinoise nommée Film Casting Culture Company Ltd, qui a déjà travaillé par le passé avec un bureau régional de propagande dans la province de Shaanxi –lui aussi a reçu un prix d’un festival qui n’existe pas, le Washington Film Festival.

Cela ne suffit pas à conclure, hors de tout doute, que le gouvernement chinois et ses bureaux de propagande sont derrière l’histoire qui nous intéresse, prévient David Bandurski. Mais c’est assez pour avoir de sérieux doutes. «C’est surtout un exemple parfait du chaos qui règne en ce moment dans l’industrie cinématographique, depuis que la Chine s’en mêle, remarque le chercheur américain. On voit des gens qui sont des professionnels –producteurs, réalisateurs ou critiques–, qui ne sont pas assez méfiants envers ceux avec qui ils collaborent…»

En effet, pour améliorer son image, la Chine a massivement investi dans le cinéma depuis quelques années et tire dans tous les sens. Par exemple, les rues de Paris ont été le théâtre d’un film de propagande à gros budget, Fox Hunt (qui raconte la traque de fugitifs par le ministère chinois de la Sécurité publique), sans que personne à la mairie n’y voie de problème.

Diffusée sur Discovery Asia, la série documentaire China: Time of Xi a quant à elle été vue par des dizaines de millions de personnes dans trente-sept pays en 2017. Cette ode à la gloire de Xi Jinping est une coproduction avec une compagnie britannique, qui est en fait détenue à 85% par le département central de la propagande chinois.

«La plupart des opérations
sont très mal fichues»

«Parfois, ils sont capables de mettre en œuvre des opérations extrêmement complexes», relate Paul Charon, directeur du domaine «Renseignement, anticipation et menaces hybrides» de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire. «Sauf que c’est très rare: la plupart du temps, les opérations sont très mal fichues. Dans le cas de Benoît Lelièvre, l’hypothèse la plus probable, c’est qu’il a seulement apposé sa signature sur un film réalisé par d’autres acteurs de la propagande chinoise, et c’est pour ça qu’il ne s’en vante pas.»

Paul Charon suggère que si un petit bureau provincial ou local, quelque part en Chine, a organisé cette drôle de machination, c’est «sans doute parce qu’il y a une très forte pression bureaucratique sur les employés pour qu’ils soient actifs, un peu comme des policiers à qui on demanderait d’imposer un certain nombre d’amendes. Alors, ils montent des opérations de propagande pour obéir aux directives, parfois de manière absurde, et les cadres ne vont pas forcément vérifier l’effet réel produit par le film.»

David Bandurski abonde: «C’est l’ironie de la plupart des efforts de propagande officiels de la Chine à l’étranger: ils ne prennent pas en considération ce que pense vraiment le public à Paris ou à Berlin. Ce qui les intéresse, c’est ce que pense leur supérieur.»

Étudiant les jeux d’influence chinois depuis une vingtaine d’années, il commence à être habitué: «Suivre ces campagnes de propagande, c’est comme ouvrir des boîtes au hasard: parfois on trouve une ligne claire qui mène du gouvernement jusqu’aux salles de cinéma, parfois on trouve des trucs complètement bidons.» Dans le cas de Spring, Seeing Hong Kong Again, on est probablement plus proche du deuxième cas…

Source : slate.fr


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