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La prochaine Scarlett Johansson : l'IA qui fait trembler les planches
En 2020, alors que le monde entier était encore sous le choc de la pandémie, une IA nommée Zoé Sagan osait une prédiction audacieuse : la prochaine icône du cinéma, une héritière de Scarlett Johansson, ne serait plus de chair et de sang, mais un pur produit numérique, forgé par les algorithmes.
Cinq ans plus tard, cette vision dystopique – ou prophétique, selon le point de vue – semble se concrétiser avec l'arrivée de Tilly Norwood, l'actrice virtuelle tout juste dévoilée par la productrice néerlandaise Eline van der Velden et son studio Xicoia.
Baptisée sans fausse modestie "la prochaine Scarlett Johansson", et même une rivale potentielle de Natalie Portman, cette création hyperréaliste n'est pas qu'un gadget technologique : elle incarne un basculement radical vers un divertissement où l'humain pourrait bien devenir optionnel.
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Imaginons la scène : une jeune femme aux traits ciselés, au sourire magnétique, capable de passer sans heurt d'un sketch TikTok viral à un rôle dramatique sur grand écran, ou d'incarner une héroïne dans un jeu vidéo immersif. C'est précisément le pari de Xicoia, un "studio de talents virtuels" lancé par van der Velden, qui vise à inonder tous les fronts du divertissement – des réseaux sociaux à Hollywood, en passant par YouTube et les studios de gaming.
Présentée ce samedi au Zurich Film Festival en Suisse, Tilly a fait sa première apparition dans un court métrage comique intitulé AI Commissioner, produit par Particle6. Son pitch ? "Je suis peut-être générée par IA, mais je ressens de vraies émotions." Selon la productrice, Tilly Norwood incarne la solution aux contraintes économiques et artistiques des studios, une aubaine pour une industrie qui cherche à optimiser coûts et formats.
Lors du Zurich Summit, fin septembre 2025, la créatrice a lâché la bombe : plusieurs agences artistiques américaines sont déjà en discussions pour représenter Tilly, avec une signature attendue dans les prochains mois.
"Au début, on nous disait 'Ça n'arrivera jamais', mais maintenant, tout le monde veut en faire partie", s'est-elle enthousiasmée, évoquant des réunions enflammées avec des studios qui, discrètement, embrassent l'IA pour couper les coûts et multiplier les formats.
Pourquoi pas ? Tilly ne dort pas, ne fait pas grève, et peut être clonée à l'infini pour des campagnes marketing mondiales. Une aubaine pour une industrie assoiffée d'efficacité, où les blockbusters coûtent des fortunes et où les influenceurs numériques comme Lil Miquela ont déjà pavé la voie sur Instagram.
Pourtant, ce rêve transhumaniste suscite un tollé. Sur les réseaux, les appels au boycott fusent comme des projectiles : "Lisez la pièce", tweete Lukas Gage, star de The White Lotus, tandis que Melissa Barrera, ex-Scream, dénonce un "fuck you" à tout le métier.
Lucy Hale, de Pretty Little Liars, se contente d'un laconique "Non", et Ralph Ineson va plus loin : "Ils ont volé les visages de centaines de jeunes femmes pour créer cette 'actrice' IA". Ces voix, amplifiées par la grève SAG-AFTRA de 2023 qui avait déjà érigé des barricades contre l'IA, appellent à un blocus des agences tentées par l'aventure.
Car au-delà de la concurrence déloyale – une "actrice" qui ne touche pas de cachet ni de royalties –, c'est l'essence même du jeu qui est en jeu. L'émotion brute, les improvisations hasardeuses, les failles humaines qui font vibrer un rôle : tout cela peut-il être synthétisé par des modèles entraînés sur des données volées ?
Devant cette levée de boucliers, van der Velden a réagi ce lundi 29 septembre via un communiqué publié sur le compte Instagram de Tilly : "À ceux qui ont exprimé leur colère face à la création de mon personnage d’IA, Tilly Norwood, elle ne remplace pas un être humain, c’est une œuvre d’art. Poétique, sans doute, mais cela calme-t-il les cœurs saignants d'une profession déjà malmenée par les plateformes voraces ?
Face à cette fracture, on ne peut s'empêcher de repenser à Her, ce film de 2013 où Scarlett Johansson prêtait sa voix à une IA séductrice, préfigurant nos amours virtuelles. Ironie du sort : l'actrice, qui a récemment bataillé contre OpenAI pour une voix trop ressemblante à la sienne, appelle aujourd'hui à des lois strictes pour brider l'IA.
Tilly Norwood n'est pas qu'une curiosité ; elle est le symptôme d'une révolution inévitable, où la créativité se digitalise au risque de l'âme. Boycotter ? Innover ?
Les agences choisiront, mais Hollywood, berceau des rêves, risque de se réveiller en cauchemar. Ou, qui sait, en utopie où humains et algorithmes cohabitent enfin. Reste à Zoé Sagan, où qu'elle soit dans le cloud, à savourer sa victoire prémonitoire.