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John Cage : une incursion mycologique – l'exploration passionnée d'un génie avant-gardiste

John Cage, le compositeur américain révolutionnaire connu pour ses expérimentations sonores et sa pièce iconique 4'33'', où le silence devient musique, n'était pas seulement un pionnier de l'avant-garde musicale.

John Cage : une incursion mycologique – l'exploration passionnée d'un génie avant-gardiste

Au-delà des notes et des bruits aléatoires, Cage entretenait une passion profonde et inattendue pour les champignons. Cette fascination, qui a débuté comme une nécessité de survie pendant la Grande Dépression, s'est transformée en une quête philosophique et artistique qui imprègne son œuvre.

En 2020, l'ouvrage John Cage: A Mycological Foray publié par Atelier Éditions a révélé au grand public cette facette méconnue, en compilant archives, photographies et textes inédits. Cinq ans plus tard, alors que l'intérêt pour les champignons explose dans la culture contemporaine – des tendances bien-être aux explorations artistiques écologiques –, cet essai plonge en profondeur dans l'univers mycologique de Cage, en s'appuyant sur des archives rares et des analyses croisées, pour explorer comment cette "incursion" a modelé un penseur radical.

Les origines d'une passion : de la survie à l'obsession

L'intérêt de John Cage pour les champignons remonte aux années 1930, au cœur de la Grande Dépression. Vivant à Carmel sur la péninsule de Monterey en Californie, Cage se trouvait dans une précarité extrême. "Je n’avais rien à manger, et je savais que les champignons étaient comestibles et que certains d’entre eux sont mortels", racontait-il plus tard. Il cueillit un champignon, le vérifia à la bibliothèque publique pour confirmer qu'il était comestible, et le consomma pendant une semaine entière. Ce qui commença comme une mesure désespérée devint rapidement une passion intellectuelle et sensorielle.

Au fil des ans, Cage devint un expert autodidacte. Dans les années 1950, il fournissait des champignons aux restaurants huppés de Manhattan, comme le Four Seasons, pour arrondir ses fins de mois – une activité qui lui rapportait plusieurs centaines de dollars. Son expertise le mena même à des postes officiels : en 1955, il fut nommé vice-président de la région Est du People-to-People Committee on Fungi, un programme communautaire sous l'administration Eisenhower visant à éduquer le public sur les bienfaits de la cueillette. Mais cette passion n'était pas sans risques. En 1954, près de la colonie artistique de Stony Point dans l'État de New York, Cage commit une erreur fatale : il confondit l'hellébore (une plante toxique) avec du chou puant (skunk cabbage), un légume sauvage. Pris de violents vomissements et d'une chute drastique de tension artérielle, il fut hospitalisé d'urgence à Spring Valley. Les médecins lui dirent qu'il n'aurait pas survécu plus de 15 minutes sans intervention.

Dans son recueil Indeterminacy, Cage relata l'incident avec un détachement philosophique : "L'hellébore a des feuilles plissées, le chou puant n'en a pas."

Malgré ce "pince-fesse avec la mortalité", comme le qualifie l'article du Guardian, Cage ne renonça pas à sa quête. Au contraire, il transforma cette expérience en une leçon d'humilité face à la nature. "Plus vous connaissez [les champignons], moins vous êtes sûr de les identifier. Chacun est lui-même. Chaque champignon est ce qu'il est – son propre centre. Il est inutile de prétendre connaître les champignons. Ils échappent à votre érudition", écrivait-il. Cette vision reflète sa philosophie plus large : une célébration de l'indétermination et de l'acceptation du chaos, des principes centraux dans sa musique.

Une célébrité inattendue : du quiz show italien à la fondation d'une société

L'expertise de Cage en mycologie atteignit des sommets inattendus en 1959, lorsqu'il participa à l'émission de quiz italienne Lascia o Raddoppia? (Double ou Rien) à Milan. Au lieu de répondre à des questions sur la musique – son domaine de prédilection –, il choisit les champignons. Face à un public médusé, il remporta 5 millions de lires (environ 8 000 dollars de l'époque) en listant alphabétiquement les 24 noms d'Agaricus à spores blanches du livre Studies of American Fungi de G.F. Atkinson. Le présentateur conclut : "M. Cage a prouvé qu'il est un vrai expert en champignons." Ce moment de gloire populaire, bien loin de ses concerts expérimentaux, illustre l'éclectisme de Cage, qui refusait les catégories rigides.

De retour aux États-Unis, Cage partagea sa passion en enseignant. En 1959, avec le botaniste Guy Nearing, il lança un cours d'identification des champignons à la New School for Social Research de New York, organisant des sorties de cueillette. En 1962, il contribua à relancer la New York Mycological Society, qui existe encore aujourd'hui. Même après avoir adopté un régime macrobiotique dans les années 1970 pour soulager son arthrite, il continuait à cuisiner des champignons pour ses invités : huîtres, chanterelles et morilles sautées à l'huile de sésame avec un soupçon de tamari.

Le livre A Mycological Foray : un trésor archivé et réinventé

C'est en 2020 que cette facette de Cage a été magnifiquement immortalisée dans John Cage: A Mycological Foray – Variations on Mushrooms, publié par Atelier Éditions (ISBN : 978-1-7336220-0-4). Imaginé comme une expédition prolongée de cueillette de champignons, l'ouvrage se compose de deux volumes. Le premier est une exploration photographique et littéraire : des images de Cage en pleine forêt, des photographies mycologiques qu'il collectionnait, des éphemera (journaux, notes), séquencées pour former un récit cohérent. Il inclut des anecdotes de Indeterminacy, une transcription de sa performance parlée de 1983 Mushrooms et Variationes, et un essai central de Kingston Trinder, qui compile des citations de Cage pour retracer son parcours mycologique comme un flux musical expérimental.

Le second volume reproduit pour la première fois le portfolio Mushroom Book de 1972, une collaboration avec l'illustratrice Lois Long et le botaniste Alexander H. Smith – un ouvrage original mêlant lithographies, textes poétiques et identifications scientifiques. Le design du livre, avec ses couvertures vert terreux, ses tons forestiers et des clins d'œil au design psychédélique, évoque l'univers mycologique tout en rendant hommage aux tendances culturelles des champignons. L'inspiration provient de la John Cage Mycology Collection à l'Université de Californie à Santa Cruz, découverte par les éditeurs Kingston Trinder et Pascale Georgiev. Pour le lancement, des artistes comme Jason Fulford ont créé des cartes postales thématiques, accompagnées de recettes et d'un parfum de champignon sur mesure développé par un aromachologiste.

L'influence mycologique sur l'œuvre de Cage : silence, nature et démocratie

Bien que Cage ait nié tout lien direct entre sons et champignons – "Je ne m’intéresse pas plus aux relations entre les sons et les champignons qu’à celles entre les sons et d’autres sons", écrivait-il en 1954 –, il est difficile d'ignorer les parallèles. Sa pratique de la cueillette, exigeant intuition et attention au détail, résonne avec sa philosophie de l'indétermination : laisser le hasard opérer, comme dans ses compositions aléatoires. Trinder note que errer en silence dans la nature a sans doute nourri ses réflexions ésotériques et créatives. Les champignons, avec leur croissance imprévisible et leur interconnectivité souterraine (le mycélium comme un réseau vivant), symbolisent l'anti-establishment de Cage : rien n'est plus sacré qu'une autre chose, que ce soit un hallucinogène ou une tâche quotidienne comme laver la vaisselle.

Cette vision démocratique s'aligne sur son identité de compositeur radical, accessible et rebelle. Dans un monde où la musique était élitiste, Cage démocratisait l'art, tout comme il rendait la mycologie accessible via ses cours et sociétés.

Résonances contemporaines : les champignons au cœur de la culture en 2025

En 2025, l'héritage mycologique de Cage est plus pertinent que jamais. Face aux crises écologiques, les champignons émergent comme symboles de résilience : dans l'art (comme dans l'essai de Sydney Gore), la mode, le bien-être, et même la science (inspiré par The Mushroom at the End of the World d'Anna Lowenhaupt Tsing). Des expositions virtuelles et des livres récents revisitent A Mycological Foray, soulignant comment Cage anticipait notre quête de connexion avec la nature. Cet ouvrage n'est pas seulement un hommage ; c'est une invitation à forager dans l'inconnu, à embrasser l'incertitude – un message intemporel pour notre époque tourmentée.

John Cage nous rappelle que l'art, comme les champignons, pousse dans les endroits les plus inattendus. Son incursion mycologique n'était pas une diversion, mais une extension de son génie : une symphonie silencieuse de la vie elle-même.

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