Guillaume Allary est le représentant d’une lignée ancestrale, mais un peu oubliée, d’éditeurs. Un éditeur comme un média de culture, de connaissance, d’intelligence, bref de vie. Sa maison d’édition refuse de publier plus de quinze livres par an pour suivre réellement les écrivains.
Le CV du quadra parle pour lui. Flammarion (1998-2003), directeur de collection chez Hachette Littératures (2003-2009) et directeur de NiL Éditions (2009-2013).
Il est, entre autre, l’éditeur de Charles Pépin, que nous avions également interviewé, ou de L’Arabe du futur, BD de Riad Sattouf qui a reçu le Fauve d’or à Angoulême.
Nous avons eu de poser quelques questions au fondateur des éditions Allary.
Comment se retrouve-t-on éditeur chez Flammarion à 22 ans ?
Par hasard et par passion. Je ne viens pas d’une famille d’éditeur, je n’avais aucun contact dans ce milieu mais les hasards de la vie et sans doute également ma personnalité ont fait que des amis m’ont demandé conseil sur ce qu’ils écrivaient. Sans savoir que c’était de l’édition, j’ai travaillé avec eux pour les aider à rendre leur texte « publiable », puis nous sommes entrés par effraction dans les maisons d’édition pour déposer le manuscrit sur le bureau d’un directeur littéraire. C’est ainsi qu’a été publié le premier roman de mon ami et auteur Charles Pépin.
Éditeur est peut-être le métier le plus mal connu du monde. Comment le définiriez-vous ?
Il n’a pas à être connu puisque c’est un métier de l’ombre. L’éditeur est un passeur professionnel. Il est là pour repérer et promouvoir les histoires et les talents qui méritent de l’être.
Que regardez-vous en premier dans un script ? Le style, la narration ?
Je hume l’ensemble. Quand je lis un manuscrit, je sens physiquement au bout de quelques pages si je vais le publier ou non.
Vous êtes réputé pour prendre peu d’auteurs et de les suivre vraiment. Que veut dire aboutir un texte ? Est-ce qu’il s’agit de trouver les petits trucs qui feront vendre le livre ou d’amener l’auteur à aller le plus loin possible dans son propre style ?
Je prends en effet peu d’auteur car publier beaucoup de livres, c’est être un vendeur de papier, pas un éditeur. Un éditeur doit être dévoué à ses auteurs, les accompagner de l’idée à la promotion de leur livre, en passant par l’écriture évidemment. Il ne faut pas compter son temps, et comme les journées ne font que 24 heures, on ne peut pas le faire pour beaucoup d’auteurs.
Aboutir un texte cela ne signifie pas lui rajouter un ou des petits trucs qui le feront vendre. C’est lui permettre de réaliser pleinement son potentiel. La marge de progression n’est jamais la même : on se rend très vite compte lorsqu’on commence à travailler avec un auteur jusqu’où on va pouvoir emmener son texte. Mais dans tous les cas, le rôle de l’éditeur est le même : envoyer à l’imprimerie un texte abouti. Cela peut être le texte tel que nous l’a envoyé l’auteur (c’est rare, mais cela arrive, et dans ce cas éditer consiste à ne rien faire), c’est plus souvent une version 2, 3, 4, ou 5 du manuscrit d’origine.
Qu’est-ce qui vous a poussé, alors que vous aviez de multiples activités, à monter votre propre maison d’édition ?
Quand je dirigeais NiL, j’avais déjà abandonné mes autres activités de journaliste et documentariste pour me consacrer à mon métier d’éditeur. Je savais depuis longtemps que je monterai un jour ma propre maison. En 2013, il y a eu beaucoup de mouvements dans l’édition qui m’ont obligé à me poser des questions sur mon avenir, et c’est l’année où j’ai eu 40 ans. J’ai senti que c’était le moment de sauter le pas, que si je ne le faisais pas là, je risquais de ne jamais le faire.
À vrai dire, en regardant vos auteurs, on cherche une ligne conductrice, mais elle ne saute pas aux yeux.
La ligne d’une maison généraliste ne peut se définir autrement que par le goût de celui qui la crée ou la dirige. C’est cela qui fait le lien entre les différents textes, qui donne sa cohérence, sa tonalité à l’ensemble. Si je ne publiais que des romans français comme POL, que des essais comme La découverte ou que des polars comme Sonatine, la ligne serait immédiatement lisible, mais cela ne peut être le cas pour une maison généraliste. Qu’elles soient petites (XO, Héloise d’Ormesson) ou grandes (Grasset, Stock, Flammarion, Robert Laffont) les maisons généralistes n’ont de ligne éditoriale que dans la mesure où elles sont incarnées, sur un temps suffisamment long, par le ou les mêmes personnes.
Pour Allary Editions, je vous donne deux pistes. Tous les essais que nous publions défendent les mêmes valeurs : l’ouverture aux autres et au monde, la liberté, l’Europe, l’écologie, la joie de vivre. Et plus globalement, chacun de nos livres, que ce soit un essai un roman ou un roman graphique raconte une histoire, une histoire à la fois séduisante et enrichissante pour le lecteur. Bref, la ligne c’est le plaisir utile.
Début 2014, quand sort votre premier roman, qu’est-ce qu’on ressent ?
J’ai assisté à l’impression du premier titre de la maison, que j’ai voulu être un premier roman : Les Fidélités de Diane Brasseur. Quand le papier a commencé à défiler dans un sifflement j’ai ressenti un vrai plaisir physique. C’était parti. L’aventure commençait vraiment.
Éditeur, c’est un métier de grand pouvoir. Est-ce que vous vous fixez des limites ? Auriez-vous édité le livre de Zemmour par exemple ?
Ce n’est pas un métier de grand pouvoir, c’est un métier de grande liberté, surtout dans une maison indépendante comme Allary Editions. Mes limites sont les valeurs que je défends. Je n’aurais jamais publié Le suicide français d’Eric Zemmour car c’est un livre inepte et dangereux, opposé en tous points aux valeurs que je défends. Vous me demandiez quelle est ma ligne : lutter contre l’idéologie du repli sur soi, contre tout ce que produit le ressentiment en fait partie.
Est-ce que vous avez des références dans ce métier ?
Pour le flair et l’amour des auteurs, Nicole Lattès qui dirigeait l’éditorial de Laffont et travaille aujourd’hui avec moi. Pour la sûreté du goût littéraire Paul Otchakovsky-Laurens. Pour la capacité à fabriquer des best seller, Bernard Fixot.
Hier, Bernard Grasset, Edmont Buchet et André Schiffrin.
Y a-t-il de grands auteurs, vivants ou morts, ou de grands livres pour lesquels vous vous dîtes que le travail de l’auteur n’était pas abouti ?
Certains auteurs s’éditent eux mêmes en laissant reposer leurs textes et en revenant dessus. C’est le cas de Tolstoi qui reprenait sans cesse ses textes, si bien qu’on ne sait plus très bien quel est la version définitive de Guerre et paix.
D’autres auraient eu besoin d’avoir un éditeur plus présent. C’est le cas de Musset dans La confession d’un enfant du siècle. Le début est proprement génial et explique à lui seul le retentissement de ce livre. Mais la suite n’est pas au niveau. Musset a-t-il eu en face de lui un éditeur pour l’inviter à retravailler ? C’est une question que je me suis posé à la première lecture de ce roman.