Comme son titre le suggère subtilement, Scandale raconte l’histoire d’un scandale au sommet de l’État. Mais pas celui du fonds Marianne , ce dispositif gouvernemental visant à lutter contre le séparatisme, lancé après l’assassinat de Samuel Paty, abondé par l’État, piloté par Marlène Schiappa… et dont la distribution et l’utilisation se sont révélées pour le moins opaques. Non, non, celui provoqué par l’absence de la ministre de l’Intérieur lors de manifestations qui dégénèrent parce que celle-ci a décidé de rester avec son amant basketteur à New York.
Toute ressemblance avec un navet à l’eau de rose ne serait absolument pas une coïncidence tant on a constamment l’impression d’entendre Dany Boon nous narrer l’histoire de Steve et Cindy.
Le complot ourdi contre le personnage principal pourrait parfois donner l’impression que l’auteur cherche à se dédouaner des soupçons de l’affaire du fonds Marianne. Or ce serait faire injure à ce livre qui est avant tout un grand roman d’amour et dont l’intrigue est magnifiquement résumée à la page 5 : « L’intervention de Sabrina m’a donné de l’assurance. C’est vrai, bon sang, merde à la fin, c’est à moi de décider de ma vie ! » C’est beau comme une introduction de séminaire de développement personnel.
L’héroïne du livre, la ministre de l’Intérieur Jasmine Patxi, est une sorte de Jean Castex avec des cheveux qui se serait boboïsé à force de vivre dans le onzième. Originaire d’un petit village du Pays basque dans lequel ses parents tenaient un café, elle est devenue tellement disruptive qu’elle boit des Chaï latte au lait de soja, arbore régulièrement des baskets blanches, « (s)on récent brushing mordoré flottant au vent » comme une Verlaine des temps modernes, et est capable de « déplacer un rendez-vous avec le ministre des Armées au Starbucks ». Même Bruno Le Maire n’est pas aussi subversif.
Elle est bien évidemment sapiosexuelle et ne s’intéresse « qu’aux hommes extraordinairement intelligents ». Une démarche non réciproque si l’on en croit ce qu’on lit.
Par ailleurs, si cette « activiste qui a mené la première class action française sur la place des femmes dans l’économie à l’âge de 25 ans » prend beaucoup l’avion, ce n’est jamais sans culpabiliser ni faire « planter un arbre en (s)on nom ». À ce niveau-là, c’est presque de la pollution verte.
Un grand roman d’amour
Si la personnalité de l’héroïne vous semble encore plus complexe que celle de notre président, n’allez surtout pas croire qu’il s’agirait d’une exception. Son amant, le basketteur NBA Parker Saint-James, qui s’est rendu célèbre pour avoir « mis un coup de tête à un coéquipier sur le terrain » est, sous ses airs d’ « énorme bad boy pas fréquentable », un homme doté d’une grande faculté d’écoute dès lors que cela lui permet de tromper sa femme.
Il a surtout le don de déclencher chez cette sapiosexuelle invétérée une foule de questions existentielles, dont certaines font régulièrement regretter le renflement brun de Bruno : « Je me demande s’il mettra une capote ou pas, s’il éjaculera vite ou s’il prendra son temps », « A-t-il des draps en coton ou en soie ? ». Hélas, comme le disait si bien Mallarmé à propos des poèmes, il est des mystères « dont le lecteur doit chercher la clé ».
Cette ode à la volupté offre des pages de littérature qu’on n’imaginait plus pouvoir trouver dans un roman digne de ce nom comme « Parker ne peut pas ne pas ressentir cette synergie incroyable entre nous ». On jurerait qu’ils vont co-construire un projet win-win ASAP dans un lit. Ou encore : « Nous avions renouvelé l’expérience à plusieurs reprises contre ce même mur que je regardais toujours avec tendresse. » L’empathie n’a décidément pas de limites.
Messages subtils
Mais le roman va plus loin puisqu’il n’oublie jamais de décrire des scènes respectueuses du consentement : « Il me jette un coup d’œil pour me demander mon accord et je hoche la tête ». Peut-on imaginer plus affriolants que des rapports approuvés par le ministère de l’Égalité hommes femmes ? On connaissait la littérature érotique, Marlène Schiappa invente la romance demi-molle.
D’ailleurs, elle ne manque pas de condamner le comportement immoral de son amant : « Je me demande s’il a conscience qu’un basketteur star qui enchaîne les conquêtes avec des fans induit un comportement toxique avec les femmes ». Vite, un stage sur les VSS animé par Caroline de Haas pour le sauver !
Le concept de cristallisation cher à Stendhal fonctionne à plein : « Les tatouages que je trouvais si laids quelques heures plus tôt me semblent à présent la plus belle des peintures. » Quant aux scènes censées illustrer la complicité des deux amants faite de courses, de grand huit, de rires et de « barbe à papa bien rose et bien sucrée dans la bouche l’un de l’autre », elles feraient passer Pretty Woman pour un documentaire.
Le coup de foudre entre eux est décrit avec une justesse et une profondeur qui permettent d’éviter tout cliché : « Je tourne la tête et il se détache dans la lumière. Une apparition (…) La foule se floute, je ne vois que lui, son sourire qui attire mon regard. Son costume noir, la ligne de ses épaules, son corps musclé. » Un tel passage n’est pas sans rappeler cette citation de Jules Renard : « La littérature est un métier où il faut sans cesse recommencer la preuve qu’on a du talent pour des gens qui n’en ont aucun. »
Lutte contre les clichés
Le roman dans son ensemble est une lutte permanente contre les stéréotypes et contre ceux qui voudraient réduire la littérature à une suite de messages voire de gages donnés aux idéologies de l’époque. L’héroïne peste contre son mari qui en fait beaucoup moins mais est considéré comme un héros dès qu’il fait la moindre tache. Elle regrette que la vie politique l’ « oblige à adopter les codes virilistes et agressifs dans un univers de « mâles blancs de plus de 50 ans » » et qu’un membre de son équipe soit « un misogyne notoire qui, malgré son jeune âge, se répand en réflexions dignes d’un youtubeur masculiniste incel ». En revanche, elle se réjouit qu’Arthur, son rival dans la course à la présidentielle, soit « le premier ministre à exercer avec un handicap visible ». Bref, la romancière est prête pour Miss France.
Livre « pluriel », Scandale n’est pas seulement un roman mais également une sorte d’essai qui multiplie les pensées révolutionnaires (« C’est la France ici, c’est quand il n’y a ni grève ni manifestation qu’il faut s’inquiéter », « Piéger une femme politique, ça vous revient toujours en boomerang un jour ou l’autre ») et qui débouche logiquement sur un changement de cap de l’héroïne métamorphosée en coach de vie : « Je crois que je suis à un point de ma vie où j’ai besoin de trouver cet espace où je pourrais enfin lâcher prise et être totalement sincère. » Il ne manquait plus que « sortir de sa zone de confort » pour réussir le bingo.
La profondeur intellectuelle du livre de Marlène Schiappa n’empêche jamais l’humour d’émerger, humour tellement fin qu’on préfère indiquer où il se trouve :
« -Alors, Jazz, on s’énerve sur les plateaux télé maintenant ?
-Oh, tu sais, c’est ce qui se passe quand on dit ce qu’on pense, répliqué-je avec humour ».
Il faut dire qu’on aurait aisément pu passer à côté sans cette précieuse précision.
Un prodige de la langue française
Malgré toutes ses immenses qualités, le roman de l’ex-ministre ne pourrait prétendre marquer l’histoire littéraire française sans son style inimitable qui n’oublie pas de rendre hommage à ses prédécesseurs : « J’ai l’impression d’être dans une chanson de Sheryfa Luna ».
La langue inclut toutes les expressions à la mode (« victim-blaming », « genre », « en vrai », ghostaient », « scotchée » « agente ») et mélange allègrement récit, coupures de journaux, textos et même citations Twitter, le tout en ne perdant jamais le lecteur tant le style est invariablement le même. Cela donne régulièrement des phrases aussi sublimes que celle-ci : « Tout apparaît haut, fort, géant, puissant, bouleversant, épuisant, et beau en même temps ». On jurerait une mise en abyme de l’œuvre.
Quant aux images, elles ringardisent tous nos poètes poussiéreux par leur puissance évocatrice toujours empreinte de modernité : « Nous avons traversé Paris en moins de temps qu’il n’en faut pour poster une story sur Instagram. »
Enfin, les aphorismes nous donnent l’impression que tout est dit et qu’on ne pourra plus rien ajouter : « Vouloir et pouvoir sont vraiment deux choses différentes dans la vie politique » / « Aucun travail, aucune responsabilité, aucune Une de journal ne te tiendra compagnie quand tu vieilliras ».
Jamais avare d’une leçon de vie, la romancière explique : « Il y a des robes qui disent « baise-moi » et d’autres « C’est ma revanche » ». Il y a aussi des livres qui disent « ferme-moi ! » Il est plus que temps de leur obéir.
Source : Marianne