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Comme Morandini, Darius Rochebin a utilisé de fausses identités sur les réseaux pour détourner des jeunes garçons

Gestes déplacés, propos à caractère sexuel, utilisation de fausses identités sur les réseaux sociaux : une trentaine de témoignages recueillis sur plusieurs mois révèlent des dysfonctionnements au sein de la Radio Télévision Suisse (RTS).

Comme Morandini, Darius Rochebin a utilisé de fausses identités sur les réseaux pour détourner des jeunes garçons

Au cœur de ces révélations, l’ancien présentateur vedette Darius Rochebin, figure emblématique du service public suisse, est mis en cause pour des comportements inappropriés. Cette enquête, fruit d’un travail journalistique minutieux, met en lumière une culture du silence qui a permis à ces agissements de perdurer.

Une figure publique sous un autre jour

Darius Rochebin, journaliste genevois de 53 ans, a incarné pendant plus de deux décennies l’excellence journalistique de la RTS. Présentateur du 19h30 et de l’émission d’interviews Pardonnez-moi, il était perçu comme le « chouchou des Romands », un professionnel charismatique et érudit. En août 2020, après 25 ans de carrière, il quitte la RTS pour rejoindre la chaîne française LCI, où il anime Le 20H de Darius Rochebin. Mais derrière l’image policée du présentateur se dessine un autre portrait, révélé par des témoignages troublants.

Depuis des années, des rumeurs circulaient au sein de la RTS sur des comportements inappropriés de Rochebin. À l’interne, certains évoquaient des gestes déplacés, comme des mains glissées sous les chemises de collègues masculins, des allusions salaces ou une proximité excessive avec de jeunes hommes, souvent des stagiaires ou des étudiants. Ces comportements, parfois raillés dans les couloirs de la chaîne, n’ont jamais été officiellement sanctionnés. « On en parlait, mais sans mesurer la gravité des actes », confie un ancien employé sous couvert d’anonymat.

Des témoignages qui brisent l’omerta

L’enquête du Temps, menée par trois journalistes pendant plusieurs mois, s’appuie sur une trentaine de témoignages, dont la plupart ont requis l’anonymat par peur de représailles professionnelles. Parmi eux, « Antoine » (nom modifié), un jeune étudiant, raconte une relation tendue avec Rochebin. Engagé pour des travaux ponctuels à la RTS, il reçoit une rémunération de 800 francs, mentionnée comme un « forfait indiqué par M. Darius Rochebin » sur une facture interne. Au fil du temps, le présentateur devient « jaloux, inquisiteur », selon Antoine, qui craint pour sa situation professionnelle. « Plus je prenais mes distances, plus il insistait. J’avais peur des conséquences si je refusais ses avances », témoigne-t-il. Antoine finit par couper tout contact.

D’autres récits décrivent des propos à caractère sexuel dans des contextes inappropriés. « Alexandre » (nom modifié), alors âgé de 22 ans, rapporte une conversation au restaurant où Rochebin lui pose des questions crues sur sa vie intime. « Hugo » (nom modifié) évoque des messages ambigus, parfois à caractère sexuel, envoyés via les réseaux sociaux. Ces témoignages, bien que ne constituant pas des preuves d’infractions pénales, dépeignent un climat de malaise au sein de la RTS, où la notoriété de Rochebin semblait le protéger.

L’utilisation de fausses identités

Un aspect particulièrement troublant concerne l’utilisation par Rochebin de faux profils sur les réseaux sociaux, notamment sous les pseudonymes de « Laetitia Krauer » ou « Lea Magnin », présentées comme de jeunes étudiantes. Une dizaine de personnes, contactées entre 2009 et 2017, confirment avoir été approchées par ces comptes. Parmi elles, un individu mineur au moment des faits. Ces profils servaient à engager des conversations, parfois pour obtenir des informations personnelles ou organiser des rendez-vous. Dans certains cas, Rochebin, sous ces fausses identités, incitait ses interlocuteurs à propager des rumeurs sur lui-même, dans une démarche manipulatrice difficile à décrypter.

Un échange, datant de 2014 et fourni à la rédaction, illustre cette pratique. Dans une conversation WhatsApp, Rochebin évoque l’utilisation du compte de son ex-partenaire pour « sonder des gens » et obtenir des informations. « Je me rends compte que c’est tordu », admet-il dans cet échange. Selon Mikhaël Salamin, juriste genevois, l’utilisation de telles identités pourrait s’apparenter à une usurpation d’identité, bien que cela ne soit pas explicitement réprimé par le Code pénal suisse à l’époque, sauf en lien avec des infractions comme l’atteinte à l’honneur ou le harcèlement.

Une culture du silence à la RTS

Comment ces comportements ont-ils pu perdurer sans conséquence ? Plusieurs facteurs expliquent ce silence. La RTS, institution publique financée par la redevance, a longtemps craint les retombées médiatiques, notamment lors de la votation « No Billag » en 2018, qui menaçait son financement. Une enquête interne sur les faux comptes de Rochebin, signalée en 2017 par le comédien Thomas Wiesel, s’est limitée à un rappel des règles sur l’usage des réseaux sociaux, sans sanction formelle. « La RTS a préféré gérer la crise en interne pour éviter une fuite avant le vote », révèle une source proche du dossier.

La connivence entre cadres, la peur des représailles professionnelles et la structure hiérarchique de la RTS ont également contribué à étouffer les signalements. « On déplaçait les personnes mises en cause plutôt que de les sanctionner », explique un témoin. Ce climat a dissuadé les victimes de parler, beaucoup craignant pour leur carrière dans un milieu médiatique compétitif.

Réactions et suites

La publication de l’enquête, le 31 octobre 2020, a provoqué une onde de choc. À Paris, où Rochebin venait de s’installer, la presse française relaie l’affaire avec stupéfaction. Libération évoque une « curiosité de la rentrée médiatique » ternie par ces révélations, tandis que Le Parisien prédit des « remous » à LCI. Rochebin se met en retrait de l’antenne « pour quelques jours », officiellement pour rejoindre sa famille à Genève et préparer sa défense. « Je conteste vigoureusement ces accusations. Jamais je n’ai eu de relation non consentie ou illicite », déclare-t-il via son avocat, Me Vincent Solari, dénonçant un « récit malveillant ».

La RTS, de son côté, réfute toute accusation de laxisme. Dans un communiqué, la direction affirme n’avoir jamais eu connaissance des faits rapportés et annonce des enquêtes indépendantes. Pourtant, une pétition signée par plus de 550 employés de la RTS critique l’inaction de la direction, soulignant que l’enquête du Temps mentionne d’autres collaborateurs en plus de Rochebin.

En décembre 2020, Rochebin dépose une plainte pour diffamation contre Le Temps à Paris, estimant que l’article mélange « allégations, insinuations et amalgames ». Cette plainte est retirée en octobre 2021 après un accord confidentiel avec Ringier, l’ancien actionnaire du journal. Le Temps, non partie à cet accord, maintient son article inchangé, récompensé par deux Swiss Press Awards en 2021 pour sa qualité journalistique.

En avril 2021, un rapport d’audit externe commandé par la SSR conclut que « aucun des témoignages recueillis ne permet de conclure à des actes relevant de harcèlement sexuel, psychologique ou d’une infraction pénale » concernant Rochebin. Il reprend ses fonctions à LCI dès le 26 avril 2021, où il continue d’animer des émissions de premier plan.

Un intérêt public évident

Cette enquête ne vise pas seulement un individu, mais une institution publique dont le mandat est d’informer avec indépendance. La RTS doit garantir un environnement de travail sûr pour ses collaborateurs. Les révélations, recueillies au prix d’un travail rigoureux et de conseils juridiques, montrent que ce ne fut pas toujours le cas. La libération de la parole, amorcée par le mouvement #MeToo et accélérée par le départ de Rochebin pour la France, a permis de lever une chape de plomb. Mais la peur des représailles persiste, comme en témoigne l’anonymat des sources.

L’enquête du Temps a non seulement secoué la RTS, mais aussi interrogé la responsabilité des médias face aux abus de pouvoir. Elle rappelle que la notoriété ne doit pas être un bouclier, et que le silence institutionnel a un coût, pour les victimes comme pour la confiance du public.


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