Il y a deux mois, nous partagions avec vous l’un de nos énormes coups de coeur : Fauve. Une écriture magique, magnifique, un travail de lettré avant tout, comme si Fauve était le dernier rejeton d’une lignée que l’on croyait éteinte par les obligations de rendement à court terme imposés par les grands studios.
Un réalisme d’antihéros et une puissance évocatrice de ceux qui ont su allier la tête, le cœur et les couilles, comme le disait Grand Corps Malade.
« A l’école j’étais bon élève, à la maison j’étais poli, j’me souviens pas avoir fait trop de conneries étant petit, par contre j’ai fait des études correctes et je sais que mon parcours est plus ou moins tracé. Disons que je sais où j’arriverais si je continue sur ma lancée, j’aurai probablement une femme et de beaux enfants, un crédit à payer et un épagneul anglais. Et un coupé cabriolet.
Et pourtant, vous voyez, ça fait maintenant presque six mois que je dors à peine, que je peux ne rien bouffer pendant deux jours sans même m’en apercevoir. Et quand je me regarde dans le miroir, j’y vois un mec bizarre, pâle, translucide, tellement livide à faire sourire un génocide.
Docteur j’rigole pas, faut que vous fassiez quelque chose pour moi, n’importe quoi. Prenez un marteau et pétez moi les doigts, je sais pas. Parce que là, j’peux vraiment plus.
Je peux plus sortir dans la rue, je peux plus mettre les pieds dans des bureaux, de toute façon, je suis devenu incapable de prendre le métro, ça pue la mort, ça pue la pisse, ça me rend claustro et agressif. »
Nous avons voulu parler avec les 5 membres du collectif. Mission difficile, puisque la semaine est consacrée à leurs métiers respectifs. Et qu’ils parlent tous ensemble ou ne parlent pas.
Ce sera donc pour un samedi soir, juste avant un concert à Bordeaux. Le téléphone est posé en haut parleur. Dans le brouhaha, on ne sait plus qui parle. « C’est pas grave, on parle tous au nom de Fauve, nos noms n’importent pas. »
Rencontre avec des artistes typiquement modernes : plus obsédés par le message que par le support. D’ailleurs, les supports, ils les multiplient.
Difficile de faire une interview avec des musiciens professionnels…
On n’est pas professionnel, on fait ça à côté de nos boulots.
D’ailleurs, on n’est pas musicien, enfin, pas seulement. Dans le groupe, il y en a qui font des vidéos par exemple. Le projet s’est construit comme ça. Au début, on était trois et puis petit à petit, des gens sont entrés dans le groupe. Aujourd’hui, on est plus un projet qu’un groupe.
Si ça se trouve dans 10 ans, on sera 15 dans le groupe.
Fauve c’est un espace d’expression. Notre univers dépend autant des vidéos – qu’on diffuse pendant les lives d’ailleurs – que de nos chansons.
Vos paroles sont assez sombres.
C’est que notre écriture a deux pans. Le premier est un constat réaliste, un constat de ce qui nous fait mal. Ensuite, il y a toujours une notion de résistance, et donc d’espoir. On n’est pas dépressif, pas résigné.
On est juste un peu bancal, un peu fragile, un peu idéaliste. Mais on ne lâche pas.
N’est-ce pas assez typique de notre époque ? Un réalisme pessimiste teinté de résistance ?
Nous, on trouve le message actuel trop pessimiste. On refuse ce message, tout simplement parce que c’est trop douloureux.
Quelles sont vos influences ?
C’est hyper varié. On est passé par le punk, le rap, le jazz, la pop. On est tous fous des grands classiques : les Beatles, Dylan, le Wu Tang…
On a tous nos influences, chacun apporte ce qu’il a en lui. Quand on écrit, on part toujours des textes, on parle plus de sentiments, d’impressions, que de musique.
Justement, que représente le texte pour vous ?
On a trouvé dans la musique un genre d’exorcisme. C’est totalement thérapeutique.
Au début, on faisait un peu de musique, un peu de texte, un peu de musique, un peu de texte… Mais ça nous frustrait, on n’arrivait pas à tout dire. En fait, on a compris que se concentrer sur la musique, les rimes, les alexandrins, c’est trop contraignant.
Quand tu commences par le texte, la musique devient vraiment un exutoire. Les contraintes ne sont pas compatibles avec cet aspect exutoire.
On vous sent quand même plus proches de Gainsbourg ou de Baudelaire que du rap actuel.
Mais le gangsta rap, à la base, c’est ça aussi, des mecs qui parlent d’un quotidien trop lourd à porter. Il faut mettre les égo trips de côté. Même les Beatles essayaient d’évacuer des traumas. On utilise la musique pour sa raison d’être. On reste dans un besoin de verbaliser.
Donc, si vous étiez pleinement heureux, vous ne feriez plus de musique ?
On est anxieux et sensibles. Et on le sera toujours. Si tout allait bien, on chanterait pour sacraliser les belles choses pour qu’elles ne disparaissent pas. La musique est devenue trop importante pour nous. C’est ce que disait Reggiani : « je veux parler jusqu’à la fin de ma voix. »
En fait, ce n’est pas une question de douleur, c’est une question de rapport à la vie.
On est juste un peu plus triste que la moyenne quand on est triste, et un peu plus heureux quand on est heureux.
Elle est assez rare cette authenticité.
On préfère ne pas juger l’authenticité des autres musiciens. Mais c’est vrai qu’on ne se sent pas proche du résultat final des autres.
Vous parliez de vos différents supports, entre autre musique et vidéos, vous voulez vous ouvrir vers de nouvelles choses encore ?
Oui, mais c’est un effort monstrueux quand tu es amateur. Pour le moment, on se concentre sur la musique et les vidéos. Et les lives. Mais ça viendra.