Au dernier festival de Cannes, il était partout. Sur toutes les lèvres. Son nom circulait comme une drogue. Metteur en scène de théâtre reconnu dans le milieu, c’est-à-dire, inconnu ou presque du grand public. Un coup d’esclandre en 2011 au festival d’Avignon avec une pièce librement adaptée d’Hamlet. Le Grand Prix au festival international du court-métrage de Clermont-Ferrand l’année suivante pour Ce qu’il restera de nous. Et, en 2013, sa présence comme acteur dans trois longs métrages.
Nous avons voulu contacter cet homme de 35 ans, présenté tantôt comme un extraterrestre, tantôt comme le symbole du nouveau cinéma français. Il nous a accordé 20 minutes au téléphone, pour finalement passer une heure avec nous.
Sa voix dit tout de lui. À la fois traînante et rapide, baffouillante et précise, Vincent Macaigne semble fait de paradoxes. Cette matière qui construit les vérités.
Interview compliqué avec un homme qui vous autorise à le tutoyer, mais continue de vous vouvoyer. Un homme dont la voix semble peiner à suivre le rythme de la pensée. Réflexion trop rapide, et phrases laissées en suspend. Et si elles vont au bout, c’est pour demander : « non ? qu’est-ce que vous en pensez ?« .
On t’a beaucoup présenté comme un symbole générationnel. Ce doit être étrange à entendre ?
Ça, ce sont des associations que l’on fait de l’extérieur. Moi et mes amis, on bosse ensemble, c’est tout. Je ne suis le symbole de rien du tout. Je joue pour mes amis et je crois en leurs films, ça s’arrête là. On parle de symbole générationnel parce qu’on travaille entre amis, mais quand je fais Au moins j’aurai laissé un beau cadavre au festival d’Avignon, c’est avec le même casting qu’aujourd’hui. Mais on n’en parlait pas alors. Avant j’avais fait L’Idiot, mais ce n’était pas en Avignon. Je crois qu’en fait, les journalistes ciné et théâtre ne se parlent pas au sein de leurs journaux.
Justement, quand tu adaptes Shakespeare, tu t’attaques à un classique. C’est un coup de mégalo, ou simplement parce qu’un chef-d’œuvre est plus facile à adapter ?
Elle est étrange cette question. Hamlet est une adaptation d’un conte danois. En fait, Shakespeare n’a vraiment écrit que deux œuvres originales.
Et puis, je n’adapte pas, je m’inspire. Je réécris tout. On a besoin de se réapproprier ces choses là, qui font partie de notre culture.
Quelle différence entre mettre en scène au théâtre et réaliser pour le cinéma ?
Ce n’est pas si différent. Si, la production est différente. Au théâtre, on peut écrire au jour le jour. Au cinéma, on demande beaucoup de preuves écrites. Littéralement. Des scénarios.
Or, le scénario est un mauvais outil. Je préfère les répétitions. Moins figées. Plus de vie.
Le cinéma base tout son système financier sur le scénario. Les producteurs en ont besoin pour être rassurés. Mais, il n’y a pas d’outil pour ça. Seul le résultat peut rassurer.
Quand on écoutes tes propos, ils sont intelligents, originaux et éloquents. Pourquoi ne pas écrire tout simplement des livres ?
Parce que j’écris en m’imaginant avec les autres.
Tu répètes énormément avec tes acteurs. Tu es plutôt réputé pour être dur en répétition.
Oui, je répète beaucoup, mais je ne suis pas si dur que ça. C’est une légende. Je suis exigeant avec le rush. Je protège beaucoup les acteurs, pour qu’ils puissent se mettre en état de créer. Mais avec les techniciens, je suis exigeant. Mais moins qu’avec moi-même.
Cet amour des acteurs, ce besoin d’écrire pour les autres… il y a beaucoup de générosité dans tout ça.
Je suis plutôt guerrier que généreux. On trouve des gens qui ont la même colère ou le même amour, et on se met ensemble. Les acteurs parlent pour moi. Mais je ne travaille qu’avec des acteurs qui ont déjà quelque chose à dire, d’eux-même. Ça n’a aucun intérêt s’ils ne sont là que pour jouer.
Mais du coup, ça implique d’accepter de voir déformée ton idée de départ, si on y ajoute ce que les acteurs ont en eux ?
J’essaie de rester le plus fidèle à ma vision initiale, mais il faut accepter la transformation. La transformation, c’est être dans le présent, dans le vrai.
Cette histoire de présent, cette passion. Tu as plus peur de mourir ou de ne pas vivre ?
Il y a un rapport à la mort, c’est évident. Mais il n’y a pas de peur. On fait des choses pour ne pas s’accepter tel qu’on est. Il faut sortir de soi. Sinon, on est dans la représentation, ce n’est pas intéressant.
J’aurai du mal à dire si tu es misanthrope ou philanthrope.
Les deux. Une personne m’a demandé pourquoi je ne l’aimais pas récemment. J’ai trouvé ça étrange, mais aussi très poétique.
Vers 35 ans, on a tendance à se geler dans une vision. Ma liberté d’artiste, c’est d’avoir un grand amour ou une grande haine pour quelqu’un. C’est la liberté. C’est pur.
Oui, au milieu de la trentaine, on commence à croire au personnage qu’on s’est inventé dans la vingtaine. Nous, on appelle ça devenir un stéréotype de soi-même.
C’est ça. Moi, je suis en fuite de ma propre grimace. Je fais tout ça pour m’échapper. C’est pour ça certainement que je suis un peu isolé.
J’ai lu dans une interview au Monde que tu divisais ta génération entre les naïfs et les cyniques. Je me suis demandais lequel des deux tu étais. Et j’ai pensé à Camus qui disait qu’on est naïf jusqu’à ce qu’on réalise l’absurde et qu’ensuite, on a le choix entre le cynisme et le combat. Je te verrai bien dans le combat.
C’est vrai. Je ne pense pas être cynique. Pour ne pas être cynique, il faut faire des choses honnêtes et compliquées. Il ne faut pas essayer d’être plus intelligent. Moi, je n’essaie jamais de diviser le public, je veux diviser chacun d’eux. En eux-même.
Je cherche une forme de vérité. Le cynisme, c’est le clin d’œil.
Notre génération a été bercée par Nulle Part Ailleurs. Pour moi, c’est le symbole du cynisme. Antoine De Caunes qui fait des blagues sur les invités, sans se laisser pénétrer par leurs vies, c’est du cynisme. Tout transformer en un clin d’œil. Ne pas se laisser attaquer par le monde.
L’art contemporain, par exemple, est très cynique. Ce côté sans frontière, tout devient public, tout devient de l’art dès que c’est approprié par le public. C’est cynique. J’aime les lieux d’art.
Se laisser attaquer par le monde, c’est violent.
Oui, parce que c’est agir sans armure. C’est une prise de risque pour pouvoir donner ensuite.
Mais tu as fait un AVC à 30 ans, tu n’as jamais eu la tentation de revêtir une armure ? Tant pis pour le cynisme.
Non. J’essaie simplement de ne pas m’ennuyer. Je n’ai trouvé que ce moyen.
Pour cela, il faut vivre dans le présent. Tu y arrives ?
Je ne sais pas si j’arrive à des choses. Mais je les fais.
Finissons avec des questions plus légères. Quelles sont tes influences en dehors du théâtre et du ciné ?
Ma culture ne naît que de ce que je fais. J’ai des influences selon mes créations. Quand j’ai des idées, avant de créer, on essaie de faire une sorte de cahier de tendance. Des tableaux, des photos… ça nous donne un univers.
Là, je prépare La Montagne Magique, je suis avec Dostoïevski, Tchekhov, Nietzsche, Bataille… ce sont des partenaires. Je dialogue avec eux. Ce sont des dialogues pour m’élever.
Meilleur film ? Meilleur réalisateur ?
Les frères Lumière.
Un film qui n’a pas rencontré le succès qu’il méritait ?
Je n’ai aucune idée des films qui ont du succès ou pas.
Pour finir, je suis obligé de te poser cette question. Quelle est la blague pourrie qu’on t’a le plus faite : les frites McCain ou John McClane ?
Les frites bien sur. À l’école, tout le temps : « alors, t’as la frite ?« . Ou alors, « c’est ceux qui en parlent le plus qui en mangent le moins« . J’ai jamais compris d’ailleurs cette dernière blague. Ça m’a toujours intrigué quand j’étais gosse. Si c’est juste pour répéter le slogan, c’est un peu pauvre comme blague. Non ? Vous ne trouvez pas ?