Des millions de vues sur YouTube, une misère en direct à Antoine de Caunes comme seul José Garcia peut se le permettre et un rendez-vous hebdomadaire à grande heure d’écoute sur Canal+ qui commence par « Salut bande de salopes« , bref Jérôme Niel est un mec comme on les aime.
Celui qu’on connaît sous le pseudo de La Ferme Jérôme ne le sait pas encore, mais il est en train de devenir un symbole, un héraut. Celui d’une génération qui grandit sur internet et ne songe pas à quitter la toile. Une génération sans ego. Une génération qui n’aspire qu’à la liberté de faire ses conneries, comme si le monde n’allait pas si mal après tout.
Regarder les Tutos de Jérôme Niel, c’est une catharsis par procuration. Forcément, nous avons voulu l’interroger. Un premier appel « désolé, je suis dans le bus, tu peux me rappeler dans vingt minutes, je serai chez moi ? »
On allait pas dire non. On a bien fait.
Tu prends encore le bus ?
Ouais, j’aime bien ça. Je ne vais pas prendre un taxi pour un trajet de dix minutes quand même. Le bus, ça va. C’est plein de vieux. Le métro c’est plus compliqué.
Les gens t’arrêtent ?
Oui, un peu, dans la rue, dans le métro. Mais c’est cool, c’est juste pour un compliment, une photo.
Quand on t’a contacté pour l’interview, tu nous as dit : « quand vous voulez à partir de 9h ». À quoi ça sert de bosser sur internet si c’est pour se lever si tôt ?
Là, j’étais obligé, j’attendais ma machine à laver à partir de 9h. Mais sinon, je me lève tôt ou tard, peu importe. Si je me lève tard, j’ai travaillé très tard la nuit d’avant. C’est ça être son propre patron, on ne bosse pas moins, mais on choisit ses horaires.
Et la machine à laver ?
Super. Très beau modèle, blanc laqué. Je suis content. Je viens juste d’emménager et je remplis l’appartement petit à petit.
Bon, la question qu’on doit te poser tout le temps, alors on s’en débarrasse tout de suite : pourquoi La Ferme Jérôme ?
J’ai donné tellement de versions différentes. Je ne sais même plus laquelle est la vraie. Je cultive la légende. Ça remonte à très longtemps. À l’époque, j’habitais chez mes parents et j’allais chercher le pain le dimanche. Je discutais avec la boulangère. On a sympathisé. Et à la fin, elle m’offrait un croissant ou un bonbon.
Je ne vois pas le rapport.
Moi non plus.
Comment s’est passé le passage d’internet à la télé ?
Assez naturellement. À peu de chose près, le système est le même. Que ce soit sur MTV, à l’époque, ou sur Canal aujourd’hui, je travaille toujours avec mon pote, mon binôme Axel Maliverney. On fait nos trucs et on livre clés en main. Évidemment, avec Canal+, l’équipe est plus importante, mais on ne change rien. Je suis très très rarement à Canal. On fait nos trucs et on balance. Mon quotidien, en lui-même, ne change pas.
J’ai de la chance, je le sais, d’avoir une vraie liberté. Avant sur MTV, aujourd’hui sur Canal, mes interlocuteurs sont supers. Ils n’ont jamais essayé de nous changer, ils ne nous parlent pas du CSA ou autres, on discute parfois, mais c’est tout.
Il faut dire que vous aviez déjà une identité forte, bien établie. Ils savaient qui ils embauchaient.
Oui, mais on a eu quelques craintes au début. Il est toujours possible que les mecs t’engagent pour du rouge et puis qu’ils te demandent du bleu.
Quand Canal a dit banco pour les Tutos, j’ai eu du mal à y croire. Bon, on était assez rassuré parce que c’était Canal justement. S’il y a bien une chaîne qui pouvait nous prendre, c’est eux. Sans nous dénaturer.
Tu l’entends combien de fois par jour : « et sinon, il est comment Antoine de Caunes dans la vraie vie ?«
Pas énormément. Bon, deux ou trois fois au début. Et pour tout dire, il est génial, mais je ne le vois presque pas. Le mec a envie de déconner. Si le feeling passe, on peut aller très loin. Le mec a l’âge de mon père. Moi, j’ai grandi avec Canal. Je suis né, il y avait un décodeur à la maison. Je suis un enfant de Canal.
Bon, parlons des Tutos. J’ai cherché comment définir cet humour. Je déteste l’expression « humour décalé », mais pour nous, les Tutos, c’est de l’humour thérapeutique. Ça te va ?
Très bonne remarque. C’est aussi comme ça que je le vois. Ça m’a toujours fait du bien de gueuler. Je gueule d’abord et après on discute. Thérapeutique, c’est le mot parfait. Mais à la base, c’était un ego trip. Je ne pensais pas que les gens vivraient ça comme moi. Sincèrement, c’est jouissif à faire.
Tu es le porte-parole de nos inconscients.
C’est ça. Avec ce perso, on peut tout se permettre. En plus, on a de l’affection pour ce type, parce qu’il n’a pas de cynisme.
C’est ça être acteur non ? Pouvoir jouir de sa schizophrénie naturelle ?
Carrément. Je suis gémeaux, c’est peut-être pour ça. Je suis un homme diesel. Je me tiens toujours bien, grâce à l’éducation que mes parents m’ont apportée. Mais quand je suis à l’aise, je peux me lâcher. Mes vrais amis reconnaissent des pans de ma personnalités dans les Tutos. C’est moi, poussé à l’extrême.
Pour nous, l’humour un peu trash va revenir en force. À une époque où on a tous besoin de penser positif pour la planète, l’humour doit prendre le contre-pied. Tu vas être le symbole de cette tendance.
C’est vrai que c’était gentillet dernièrement. Ça me faisait chier tout ça en fait. Trop lisse. Mais je ne suis pas dans la dénonciation non plus, comme Guillon ou Proust. Les Tutos, c’est un exutoire. Si ça aide à amorcer une nouvelle vague, je suis content. Mais c’est assez premier degré. On s’amuse c’est tout. Et puis j’adore ce con qui s’adresse aux femmes.
Justement, commencer un programme avec une telle exposition par « Salut bande de salopes« , nous on trouve ça jouissif, mais tu n’as jamais eu aucun soucis avec les féministes ?
Non. Jamais. D’ailleurs, c’est ainsi qu’il faut le lire. Ce n’est pas méchant. Tu ne peux même pas en vouloir à un mec comme ça. Le « je vous aime, putain » à la fin, il vient du cœur. Les gens le sentent.
Chez nous, on a Ricky Gervais en amour. Et toi, quelles sont tes références en humour ?
Je suis très comédies américaines. Vraiment j’adore. La bande à Judd Apatow par exemple. J’ai vu dernièrement This is the end, c’est pas mal. De toute façon, je suis ultra fan de Jonah Hill.
Il a co-écrit 21 Jump Street et il en a fait un vrai bon film.
Il est très bon ce film. Moi non plus je n’y croyais pas au début. Mais les mecs, ils font revenir Johnny Depp pour le tuer à la fin. C’est énorme. Et Channing Tatum, ce type est un mystère. Quand je le vois commencer par un film de danse, je me dis « ok, ciao mec, t’es mort. » Mais il est bon et il s’en sort.
Dans This is the end, Channing Tatum vient pour une journée de tournage et il se met des trucs SM sur les fesses. C’est ça les États-Unis. Chez nous, on fait les choses un peu trop sérieusement.
Il y a trop d’ego ou pas assez de proposition selon toi ?
Je suis plutôt sur une problématique d’ego. Mais on verra. Le Grand Journal, par exemple, essaie le happening. Mais on est loin du SNL avec Matt Damon qui danse en slip. Mais on y travaille.
Justement, tu fais partie de cette nouvelle génération. Une génération qui semble avoir moins d’ego.
Oui, complètement. Nous, on est des potes, on fait des vidéos et des bouffes ensemble. C’est fascinant. J’ai hâte de voir comment tout ça va évoluer. Ce n’est que le début, ça va être fou.
Ça fait partie du ras-le-bol ambiant. Mais bon, il y a toujours une réalité qui te rattrape. Ce n’est pas facile de faire ce qu’on veut. Il faut un peu de chance.
T’as tourné avec pas mal de jolis noms. Sara Forestier, Pio Marmaï,… d’ailleurs, ton épisode de Groom Service avec Pio Marmaï, il est vraiment excellent.
C’est gentil. C’est peut-être mon épisode préféré ausi. Pio est vraiment un mec marrant, mais le gens ne le savent pas.
Ben oui, il est beau.
Beau, oui, mais aussi ténébreux. C’est pas un mec beau à la Brad Pitt qui pose tu vois. Il est extraordinaire. Il dégage quelque chose de fou. Et pourtant, on se faisait des blagues de PMU sur le tournage.
Et donc, tu tournes avec lui, avec Sara Forestier, mais tu ne te sens pas faire partie de leur univers. Tu ne les appelles pas.
C’est des gens du cinéma et je n’en fais pas partie. Même si c’est un objectif. Le coup classique de la fin de tournage, « on se revoit« , ça n’arrive pas. Il n’y a pas beaucoup de potes dans le ciné. Enfin, j’ai l’impression, à part la bande à Canet peut-être. Mais sur Groom Service, je tournais deux ou trois épisodes par jour, donc on n’avait pas le temps de boire un bière et de discuter à la fin. Tant pis. Je préfère que ça se passe bien sur le tournage et après, si on doit se revoir, ça se fera.
Le ciné est un objectif ?
Oui, bien sur. J’ai envie depuis longtemps. Quand j’ai commencé les vidéos, je me suis rendu compte que j’adorais jouer la comédie. J’aime tout. Même le stress. Tout.
Tu as suivi une formation ?
Un an de cours Florent. C’était vraiment bien, mais j’ai arrêté. Typiquement, le théâtre ne me fait pas vibrer. De temps en temps, il y avait des cours d’improvisation, ça je kiffais.
Tes vidéos font toutes plus d’un million de vues. Pourquoi faire du ciné, là tu bats Avatar ?
Oui, il y a peu de chance que je fasse autant d’entrées au ciné que de vues avec les vidéos. Mais je ferai peut-être 10 millions de vues avec un film sur YouTube.
C’est fou, YouTube date de 2005 et regarde aujourd’hui. Bientôt, il y aura des films qui sortiront directement sur YouTube. Je voudrais me projeter. On se dirige vers un truc un peu dingue je pense.
Tu imaginerais une adaptation du personnage des Tutos au ciné ? Parce que ce genre d’aventures finit souvent en catastrophe, à part Fatal Bazooka.
Je suis tout à fait d’accord sur Fatal. C’est le Zoolander du rap. Mais c’est vraiment casse gueule, c’est vrai. Après si on trouve une histoire cool, on y va.
Tu te verrais jouer et écrire, ou juste jouer ?
J’aimerai faire les deux, mais je suis prêt à être juste comédien.
Mais quand on joue ses propres histoires pendant des années, il faut trouver une écriture à laquelle on adhère.
Oui, c’est vrai. Des mecs comme Toledano et Nakache, leur écriture coule toute seule. Après, c’est sur que Fatal ou les Kaïras, j’ai bien aimé dans la folie. Là, on peut aller dans la comédie, un peu loin. À moi d’apporter quelque chose.
Je trouve cool, par exemple, ce que font Thomas Ngijol et Fabrice Eboué. Ils prennent leur temps. Ils font leur truc, en tournant dans quelques films entre deux projets à eux.
Boris Vian disait que « l’humour est la politesse du désespoir« . Ça te parle ?
Je ne sais pas. Il s’explique après ? Moi, à la base mon humour est plus simple, mais au fond c’est vrai que j’utilise mon humour pour masquer ou faire ressortir des choses. Je teste souvent les gens avec mon humour. L’humour, c’est un testeur d’humain.
Quelles sont tes références en dehors de l’humour ?
Je suis un grand fan de ciné de genre. Je viens de voir Red State de Kevin Smith, c’est un peu du grand n’importe quoi, mais c’est assumé. J’adore ces films de genre, ces films de tripes.
C’est parti d’une VHS de Bad Taste de Peter Jackson. J’aime quand ça fait craque. Les films d’Aja, Haute Tension par exemple. À l’intérieur avec Béatrice Dalle, j’adore. J’aime quand tu sens le doigt d’honneur, le mec qui se dit « fuck, je le tourne. »
Bon, les musées, je n’y vais pas trop. Sauf si on m’y amène et là je kiffe.
J’adore les jeux vidéos aussi. Je suis à fond sur Dead Space. Un jeu où tu dézingues les aliens dans l’espace.
Et pas GTA V ?
Je laisse mes potes y jouer pour l’instant mais je vais m’y mettre. Je me suis arrêté à Vice City.
J’ai eu ma période manga aussi. J’aimais tellement Vagabond que je me suis laissé pousser les cheveux. Le héros avait un chignon. Trop stylé. Je voulais le chignon aussi. Le soucis, c’est que je ressemblais plus à Rocheteau ou à Ginola. Heureusement que je ne kiffais pas un personnage unijambiste.
Évidemment, culturellement, il y a les voyages que je peux faire grâce à ce métier. Los Angeles, Las Vegas, l’Australie, Tokyo…
Mais je suis plutôt casanier à la base. Le goût des voyages vient avec les années. Peut-être en s’approchant de la mort.
Avant de se quitter, je réalise qu’on n’a pas parlé de Trappes. Tous les portraits de toi qui paraissent commencent par tes origines trappistes. Ça te gène qu’on n’en ait pas parlé ici ?
J’ai totalement perdu le contrôle de cette info. Je suis né à Trappes, c’est vrai, mais j’y ai vécu 10 mois. Après j’ai déménagé pas loin, à dix bornes. J’y suis retourné après pour un stage dans une radio, Marmite FM.
Mais je suis étonné du nombre de personnes qui viennent du 78. Évidemment, t’as Jamel, Omar Sy, Anelka, mais aussi le Palma Show, même Domenech vient des Yvelines.