Pendant l’hiver dernier, nous le placions parmi les 30 de moins de 30 ans qui compteront dans l’avenir. Arthur Dreyfus est entré dans la vie public doucement. D’abord par les mots, silencieux et réfléchis, puis par la voix, pleine de la langueur de la raison et de l’énergie de l’émotion, et enfin, le visage, qui suit inexorablement la célébrité. Un visage mystérieux. Celui du héros grecque quand il est grave et du gendre idéal, presque naïf, quand il sourit.
Écrivain, journaliste, acteur, réalisateur, magicien, mentaliste. Nous espérions percer un mystère en interviewant Arthur Dreyfus. Mais le mystère s’est épaissi. Normal, il est écrivain.
Depuis le lundi 26, il remplace François Busnel sur la tranche 17-18h de France Inter. Nous le dérangeons en pleine préparation de l’émission, mais son savoir-vivre ne nous le fait pas ressentir.
À 27 ans, Arthur Dreyfus s’apprête à devenir la référence culturelle des médias français, mais il a le bon goût de ne pas le savoir. Rencontre.
Comment définirais-tu ton métier ?
Mon premier métier, c’est écrivain. C’est ce que je préfère faire. En fait, créatif serait plus précis, mais pas au sens publicitaire du terme.
J’imagine qu’en soirée, tu choisis quel métier tu annonces selon ton envie d’attirer l’attention sur toi.
Je ne sors pas. Enfin, si, mais avec mes amis. J’aime la parole. Dans les lieux de sortie, la musique est trop forte, on ne peut pas parler. Et puis, je ne bois pas et je déteste être ivre. Je me suis toujours senti plus jeune que les vieux et plus vieux que les jeunes. Je me sens à droite des gens de gauche et à gauche des gens de droite. J’ai du mal, de manière générale, à me fondre dans la masse.
Et puis, quand on est jeune, on sort et on boit pour draguer. Moi, très jeune je me suis senti attiré par les garçons, alors je draguais sur internet, je ne sortais pas.
Cette pluridisciplinarité, c’est quelque chose de générationnel…
On dit souvent ça, mais Sacha Guitry, Cocteau touchaient déjà à tout. Charles Trenet aussi. Il a commencé dans la pub avec Marcel Bleustein-Blanchet. C’est juste qu’aujourd’hui on a plus d’outils. C’est devenu plus facile de se diversifier. Peut-être aussi est-ce du à la fin des trente glorieuses et la volonté d’assurer ses arrières.
Le lien entre toutes ces activités, c’est le mot.
Écrire surtout. Écrire, c’est partir de rien pour arriver à quelque chose. Mais j’ai toujours un peu peur en tant que journaliste. À la radio, la parole est vaste, alors que dans l’esprit des gens, l’écrivain est silencieux. Entendre à l’Ina, pour la première fois, la voix de Gide ou de Camus, par exemple, c’est magique. Il faut que je fasse le deuil, je ne serai pas de ces écrivains.
Au début de notre entretien, tu disais aimer écrire seul chez toi, et tu t’es repris, pas chez toi.
Je n’aime pas ça, sinon je ne sors pas de ma coquille. Je vais dans des cafés, souvent au Café Beaubourg, c’est central, grand et on peut y rester autant qu’on veut.
Quand on a autant d’activités, c’est souvent une peur du vide, de l’arrêt.
Indéniablement, j’ai une peur du vide. Dans mon cas, c’est aussi une difficulté à dire non. J’ai plus peur de passer à côté de quelque chose. C’est un peu comme si je laissais le destin décider pour moi. Je pense à cette phrase de Charles Trenet. « Je suis un poète dévoyé par le goût du confort et de l’argent. »
La peur de ne rien faire s’apparente plus à une peur de ne pas vivre, qu’à une peur de la mort.
Je ne pense pas avoir peur de la mort. Mais c’est vrai, j’ai peur de ne pas vivre. J’ai beaucoup de mal à m’incarner, à être dans le moment présent. L’écriture, j’en suis sur, découle d’une vision fictionnelle de la vie.
On enferme les gens dans des personnages. C’est aussi pour ça que j’aime le journalisme, qui s’apparente à une forme d’empathie égoïste.
C’est comment fils d’écrivain ?
On a commencé à publier en même temps avec ma mère, à un an près. Mais ma mère était artiste, et elle m’a influencé indéniablement. Mais c’est une vraie mère. Elle a su rester mère.
Tu as été magicien et mentaliste. Comment on vient à la magie ?
Par hasard. J’ai visité le musée de la magie à Paris avec mes parents et j’ai acheté une K7. J’ai fait de la magie pendant dix ans. Mais, en fait, c’était déjà un chemin à la recherche de la vérité, puisque je voulais comprendre les secrets. Peut-être aussi que je sentais que j’avais en moi un secret que je pressentais pas tout à fait légitime et que je voulais porter un secret plus légitime.
Tu parles de vérité, mais pourtant, la magie c’est avant tout du mensonge et de la manipulation.
C’est comme disait Aragon, « le mentir vrai. » On y croit, donc c’est vrai.
Et le mentalisme ? On est à mi-chemin entre magie et psychologie non ?
C’est de l’intuition et de la technique. Comme être écrivain en fait.
À chaque fois qu’on évoque une de tes activités, tu la rapproches de l’écriture.
C’est parce que j’y pense tout le temps. Tout est langage. Je suis toujours étonné de la force du langage. Les mots ont un effet physique quand ils sont prononcés. C’est quelque chose qui m’obsède à la radio.
Donc, écrire c’est magique.
Je n’aime pas les écrivains magiciens. Les écrivains qui utilisent des trucs. Il faut de l’honnêteté en écriture. Même dans la magie j’ai toujours préféré faire apparaître une pièce quand on ne s’y attend pas, que faire disparaître la pièce que tout le monde s’attend à voir disparaître.
Quand on regarde l’aura des écrivains, il y a quelque chose de chamanique, les gens respectent et craignent ceux qui maîtrisent les mots, comme s’ils détenaient une forme de pouvoir.
Oui, le langage est le pouvoir numéro 1. Je déteste ne pas avoir le pouvoir, mais en même temps je ne suis pas du style à écraser les autres. C’est juste que j’ai toujours aimé indiquer la direction. Écouter les autres, bien sûr, en étant aussi sûr de mon idée.
S’ils le voulaient, les écrivains pourraient être les maîtres du monde. Parce qu’ils savent le langage. Mais les écrivains, ceux que j’estime, ont des projets plus intéressants que de devenir les maîtres du monde. Voilà pourquoi les écrivains ne sont pas maîtres du monde, et pourquoi les maîtres du monde ne sont jamais écrivains.
Ton émission de l’été sur Inter, Je vous demande de sortir, était vraiment excellente. Pour toi, c’est quoi la culture ?
Il y a plusieurs définitions possibles de la culture. Politique, philosophique… en tout cas, je sais ce que n’est pas la culture. On n’est pas dans la culture quand on pose des questions de dossier de presse. Comment est né le projet, etc… et pourtant c’est des questions qu’on entend tout le temps dans des émissions culturelles.
La culture, c’est la curiosité.
Tu sembles avoir une obsession de la vérité.
Pour moi, la vérité c’est la sincérité. Surtout dans l’acte créatif. Mais attention, la frontière est ténue entre sincérité et exhibitionnisme. En fait, c’est plutôt le mensonge qui m’intéresse. Tout le monde ment, et pourtant le mensonge n’est pas puni par le loi. Le pire crime d’un écrivain serait de ne pas être d’accord avec lui-même.
Pour finir, dis-nous quelles sont tes influences ?
La moquette, le ciel bleu, le bruit d’une imprimante, un poème de du Bellay… quand on est écrivain, la vie est une influence.