Pourquoi lui ?
Parce que si vous aimez les comédies mondaines, « Quiconque exerce ce métier stupide mérite tout ce qui lui arrive » est le roman de la rentrée littéraire fait pour vous. Jean-Pierre Rassam, Maurice Pialat et Claude Berri mis en scène par Christophe Donner ça donne une joyeuse bande d’arnaqueurs qu’on aime détester. Ça gouaille, ça claque du fric au poker, dans les putes et dans la coke. Avant de s’improviser producteurs…
Où le lire ?
Avant d’aller au cinéma.
Le passage à retenir par cœur ?
En se présentant à la projection du Cinéma de papa Rassam et Pialat ne pouvaient ignorer que Beila serait là, et qu’elle les empêcherait d’entrer. C’est exactement ce qui se passe.
– Foutez le camp !
– Vous n’allez pas me frapper ?
– Et comment !
– Vieille conne !…
– Il m’a traitée de conne ! Claude ! Fais quelque chose !
– Allez, viens, Maurice, on se casse de cette famille de cinglés.
– Pas question. Je veux voir ce film. Je veux savoir ce que Claude a fait de cette histoire.
– Tu veux contrôler mon film, c’est ça ?
– Pourquoi pas ?
– Fous le camp !
– Arrête, Claude.
– Il m’a traitée de conne ! Fous-le dehors. Va-t’en, salaud, maquereau ! Je te crache dessus, tiens !
Anne-Marie qui essayait de rester à l’écart se jette sur son mari qui s’apprêtait à frapper son frère avec la boîte du film. La bagarre est générale, gifles, coups de poing, on se griffe le visage et on s’arrache les cheveux, on saigne du nez, c’est du Grand-Guignol. Maurice, Jean- Pierre et Anne- Marie renoncent finalement à voir le film, mais pour Pialat, c’est décidé : il ne travaillera plus jamais avec Berri. Il trouvera un autre producteur, qu’il n’a d’ailleurs pas à chercher bien loin : Rassam va s’en charger, et avec joie.
Berri voulait produire Nous ne vieillirons pas ensemble, il croit au talent de Pialat, douloureusement mais il y croit, on sait qu’il a été le premier à croire en cet homme qu’il considère aujourd’hui comme un salaud. Anne-Marie aussi défend Maurice, elle pousse son mari à produire ce film, sans parler d’Arlette qui en a écrit le scénario. Ce film, c’était aussi l’espoir d’une réconciliation entre les deux beaux-frères.
Claude avait lui-même appelé Marlène Jobert, son ancienne maîtresse, son premier amour, devenue grande star, pour lui parler du film. Elle n’avait rien compris au scénario, et l’avait d’abord refusé, considérant qu’un tel rôle n’était pas dans ses cordes, et ferait de l’ombre à sa carrière. Berri l’avait convaincue du contraire. Avec une telle vedette au générique, le montage financier du film n’était plus qu’une formalité. Tout le travail était fait, et c’est avec ce travail que Maurice, le triple traître, l’expert en tromperies, partait chez son rival. Peut-il imaginer que Rassam se soit laissé manipuler par Pialat ? Difficile. Pour autant, il ne croit pas que ce coup-là ait été monté par Rassam. Jean-Pierre a peut-être sauté sur l’occasion qui lui était offerte de produire un vrai film, pas un Brach immontrable, pas un Godard insortable, un film avec des acteurs en vogue, dirigés par un grand metteur en scène, avec un scénario qui, sous des apparences audacieuses, n’est jamais qu’un vaudeville en voiture.
Non, se dit Claude, c’est Pialat qui a tout manigancé, en tout cas au départ. Et puis, peu importe. Il doit enfin admettre ce que sa mère tente de lui expliquer depuis des mois: Jean- Pierre veut devenir producteur pour se mesurer à lui, lui reprendre sa soeur, mettre la main sur le petit Julien, car c’est un malade, un salaud, un incestueux, et de plus en plus camé.
– Tu dois exiger de ta femme qu’elle cesse de voir son frère, et surtout qu’il n’approche plus ton gosse.
Julien, qui vient d’avoir deux ans, est devenu l’objet central de la rivalité entre les deux beaux-frères ; c’est à qui l’aimera le plus, le gâtera le plus, jusqu’à le pourrir de manière irréversible :
– C’est ça que vous cherchez ? accuse Anne-Marie.
Nouvelle engueulade, les grand-mères s’en mêlent, on menace, on part en crise de larmes, Anne-Marie commence à en avoir assez de faire la poule entre les deux coqs. Elle annonce des bonnes et des mauvaises nouvelles à son mari :
– Je suis enceinte.
– Oh ! Mon amour.
– J’ai un amant. C’est un acteur. Je l’aime.
– Tu es enceinte de lui ?
– Non. De toi.
– Alors tout va bien.
– Oui. Je vais aller vivre avec lui.
– Non !
A qui l’offrir ?
A votre neveu qui veut absolument faire du cinéma et rien d’autre. A votre petite cousine qui rêve de faire des castings. A votre femme ou à votre mari qui pense que le cinéma français ne vaut rien.
Quiconque exerce ce métier stupide mérite tout ce qui lui arrive (Grasset), 304 pages, 19 €