Le temps ou l’artiste créait seul dans son atelier est dépassé. Aujourd’hui, les œuvres deviennent des performances réalisées sous les yeux du public et dans un temps limité.
La marque de bière Beck’s a lancé sa dernière édition limitée de bouteilles : elles arborent des étiquettes issues du Music Inspired Art 2009, une expérience d’art en direct, nous informe un article de The Independent traduit par Emma Love de Courrier International.
Lors d’un concert intimiste de la chanteuse Ladyawke, des artistes montants comme Alex Hearn, Hayden Kays, Dan White et Josef Valentino ont disposé de trois heures, en direct sous les yeux des fans, pour créer une étiquette Beck’s.
Avant et pendant la performance de Ladyhawke, les artistes, installés dans des zones délimitées, s’affairaient à peindre leurs œuvres, tandis que le public allait et venait, prenaient des photos, s’attroupait autour des créateurs et discutait avec eux. Sarah Larnach, qui travaille avec Ladyhawke sur ses pochettes d’album, n’avait jamais fait d’art live auparavant. Elle y voit une manière d’être honnête avec son public. « Traditionnellement, les artistes visuels ont ce privilège qu’on n’attends pas d’eux qu’ils se montrent à l’œuvre. Mais un artiste ne peut rester dissimulé derrière un rideau de fumée ; il doit révéler ses secrets et ses techniques, estime t’elle. Le public mérite peut être de voir ce genre de chose. Car l’art live aide à comprendre comment une œuvre est créée et qui la crée. »
Sans conteste, il est fascinant de voir un artiste travailler et un dessin prendre forme sous nos yeux. Mais se pourrait-il que l’art live ne soit rien d’autre que la dernière expression du besoin d’immédiateté de la génération Twitter ? Ou s’agit-il d’une nouvelle manière fascinante de faire de l’art, sous la forme d’une performance live ? Lorsqu’on assiste à la naissance de chaque trait d’une œuvre, au lieu de se laisser surprendre par le résultat final, l’acte de peindre ou de dessiner importe autant que l’art en lui-même. L’artiste se fait performeur, et le public, espérons le, trouvera l’art beaucoup plus accessible et plus ancré dans l’instant présent que lorsqu’il voit des créations enfermées dans l’espace formel d’une galerie traditionnelle.
A Londres, Kilford, connu sous le nom de music painter, exécute ses œuvres au son de musique live, lors de grands concerts. Il a déjà transcrit en peinture des morceaux de Kasabian, Paul Weller, Daman Albarn, des Black Eyed Peas ou encore de Baaba Maal (voir ci-dessous).
Il fait régulièrement aussi ce qu’on appelle des guerilla sketchings, qu’il réalise en se mêlant aux foules des festivals.
« A mes yeux, je suis autant un performeur qu’un artiste. J’ai des frissons quand je peins en public, confie t’il. Je ne suis certes pas le premier à le faire. Mais, aujourd’hui, l’art live est en passe de devenir une forme artistique très en vue. Cette approche permet aux gens de se rapprocher de l’art, car ils peuvent assister directement au processus de création et, par là même, ils y participent. »
Les tableaux comme ceux de Kilford, réalisés pendant la durée limitée d’une chanson ou d’une partie de concert requièrent des talents différents de ceux qu’exigent la production de natures mortes ou de portraits élaborés. Les artistes qui peignent ou dessinent en live doivent être capables non seulement de travailler rapidement, mais aussi d’exploiter l’atmosphère de la salle et d’en nourrir leur œuvre. Cette approche convient à certains, comme les auteurs de graffitis, qui doivent taguer un mur à toutes vitesse avant de se faire prendre, bien plus qu’à d’autres.
Terry Guy, le fondateur de l’agence de design créatif Monorex et des joutes d’art live Secret Wars, en sait quelque chose. Depuis trois ans, il organise dans le monde entier des secret Wars – il existe bien des concours live de danse et de MC (Master of Ceremonies), alors pourquoi pas des compétitions artistiques ? Lors de ces rencontres, deux univers disposent d’un demi-mur blanc, de marqueurs noirs et de quatre vingt dix minutes pour produire le meilleur dessin possible. Le gagnant est désigné par deux juges et un applaudimètre. Il repart souvent avec un prix de 1000 livres.
« Ce ne sont pas des concours de graffitis car les artistes n’utilisent pas de bombes de peinture. Pour moi, ce sont des batailles d’illustrations, explique Terry Guy. Les concurrents sont des artistes de tout poil – ancien étudiants de l’école des beaux arts de Central Saint Martins, artistes de rue, grapheurs, etc. Ces concours sont un moyen pour que tout artiste puisse s’exprimer librement. Il y a beaucoup de créateurs talentueux, ils ont besoin d’un endroit ou montrer ce qu’ils font. »
Ces joutes aident les participants, souvent inconnus, à améliorer leur image et leur confiance en soi. Electriques, elles ont un rythme enlevé et impliquent les spectateurs dans ce qui est en train de se dérouler directement sous leurs yeux. « L’idée d’origine était que l’artiste s’implique devant un public, et c’est justement ce qui fait la beauté de ces batailles. Lorsque nous avons commencé, je ne pensais pas qu’elles auraient autant de succès – la foule crie comme lors d’un match de football »
Voilà précisément l’essentiel : l’art live est un art vivant. Chargé d’énergie, exaltant, il pousse les gens à s’engager visuellement. Les dessins obtenues ne sont peut être pas comparables aux grandes œuvres, mais là n’est pas l’objectif. Il s’agit d’une forme d’art tout à fait différente. Dans l’art live, le processus de création fait partie intégrante de l’art et, comme lors d’une performance, le spectacle est passionnant à regarder.