Six minutes, les yeux dans les yeux. Six minutes d’invectives, d’indignations, d’interpellations, de bon sens, de mise à mort de la connerie. Six minutes de vérité. Six minutes d’évidences, tellement rares, qu’on s’en demande ce que nos oreilles ingurgitent le reste de la journée.
Un titre magnifique, poétique. Un titre gris, anti-manichéen, comme l’homme.
Cours d’impro à Trappes. Fac de droit et Sciences Po. DIY sur internet. Mots léchés et improvisés. Vulgarité et intelligence.
Vous situez le personnage ? Non. Nous non plus. Inclassable. Une sorte de Tyler Durden moderne, démontant le système à coup de schizophrénie assumée.
Beaucoup trop jouissif et énigmatique pour que nous ne l’interviewons pas. Il faudra un mois pour trouver un créneau. Finalement, un soir, une veille de quart de finale de Coupe du Monde, le téléphone sonne et après avoir tranché rapidement si Didier Deschamps devait aligner Mamadou Sakho ou Laurent Koscielny, on veut rentrer dans le vif du sujet. Mission impossible avec un cerveau qui relie en permanence les thématiques entre elles, rebondit et jaillit, s’énerve et embrasse. Ou quand un homme n’a pas assez d’un corps pour contenir ses pensées.
Quand on tape Bonjour Tristesse dans Google, Françoise Sagan arrive en 3ème position. Les deux premières sont pour toi. Chapeau.
J’ai vu ça, il n’y a pas longtemps. Merde Il faut que je dise ça à ma mère, elle est persuadée que je rate ma vie. C’est vrai que j’essaie, mais je n’y arrive pas encore complètement.
Mais le titre, je ne l’ai pas choisi pour Sagan, mais pour Eluard. Il y a une phrase dans son poème, « tu n’es pas tout à fait la misère, car les lèvres le plus pauvres te dénoncent par un sourire », c’est à la fois triste, cynique et plein d’espoir, c’est à peu de chose près l’âme de ce que j’essaie de faire.
Par contre sur internet, on ne trouve pas ton nom. C’est volontaire ?
Je voulais placer la démarche artistique avant ma personne, je ne voulais pas être un énième mec qui fait des videos sur internet. Je n’avais pas forcément envie de faire des vidéos sur le net, mais je voulais que Bonjour Tristesse existe.
Sincèrement, c’est quoi ce truc avec Trappes ?
Je ne sais pas, peut être parce que c’était une mairie communiste qui a beaucoup développé l’art et les activités culturelles, sûrement aussi grâce au métissage qu’on peut y trouver et qui favorise la créativité je pense.
Donc, tu es de gauche.
J’ai une idéologie de gauche, mais en ce moment je vote plutôt blanc. Par contre, je ne comprends pas les gens de droite qui n’aiment pas Hollande. Il fait la politique de Sarkozy, l’islamophobie en moins.
Parlons de colère. Entre Indignez-vous de Stéphane Essel, les Tutos de Jérôme Niel ou même les électeurs du FN, la colère semble à la mode.
C’est pas nous qui aurons les 30 glorieuses et puis on arrive après le parcours de nos parents, qui avaient tendance à prendre leurs entreprises comme de vraies partenaires de vie et qui pour beaucoup se sont fait jeter ou niquer en fin de carrière… Nous on personnalise plus les entreprises on sait que l’on est que des pions, tout est dans le titre « Société anonyme », on hésite plus à attaquer lorsqu’on se fait niquer, et c’est mieux comme ça, le jeu de rôle entreprise/salarié est plus clair maintenant, moins hypocrite.
On a lu quelque part que ton diplôme de droit était une escroquerie.
Ah non pas le diplôme : l’inscription. Oui, j’ai escroqué une secretaire, j’ai commencé le droit en 4ème année alors que c’est normalement impossible. J’avais fait une 3ème année de science po à la fac, mon père en avait marre de me voir dans son canapé et préférait encore me voir partir bosser, du coup je me suis dit que je ferais deux Master 1 pour le détendre. J’ai été voir la secrétaire, elle m’a demandé si j’avais eu la commission d’équivalence, j’ai senti que c’était une question à 10.000 euros, j’ai dit oui, elle m’a demandé si j’avais le papier j’ai dit oui, et elle ne me l’a pas demandé et m’a inscrit. Mais derrière j’ai eu mes deux 4ème années Science Po et droit sans tricher, et depuis mon canapé essentiellement. Donc je suis pas Rachida Dati hein.
Revenons à la colère. C’est cathartique, thérapeutique pour toi ?
Oui, ça me fait du bien. Je n’étale plus mon dégoût sur les réseaux sociaux maintenant, je garde mon jus pour l’artistique et c’est mieux. C’est aussi agréable de voir que des gens partagent mon ras-le-bol et mon indignation, c’est rassurant pour moi.
En fait, ta démarche de réveiller par la violence, ça me fait penser à Fight Club.
C’est un de mes trois films préférés. Attends… peut-être mon film préféré en fait. Il y a complètement de ça. Ce n’est pas du tout réfléchis bien sûr, mais il y a de ça. Sauf que je ne crois pas au chaos. Je ne suis pas un révolutionnaire dans l’âme. Quand je vois les commentaires sous les articles de journaux ou sur le net en général. Je ne veux pas non plus que ces gens là soient au pouvoir. On a surtout besoin d’un renouvellement des institutions et des acteurs politiques qui au fur et à mesure du temps ont formé une oligarchie qui n’a pas grand chose à envier à une démocratie d’apparat comme on peut en trouver dans certains pays d’Afrique.
Le FN affirme souvent qu’il dit tout haut ce que la majorité pense tout bas et le parti fait 30 %, deuxième derrière l’abstention…
Oui, ils m’ont fatigué pour les Européennes. T’as qu’un seul tour, un parti du vote blanc, des partis marginaux, les votes blancs comptabilisés… et ils ne vont pas voter. Je m’en fous qu’on s’abstienne ça m’arrive et ça m’arrivera, mais de là à vouloir l’ériger en philosophie, il y a un pas qui me semble d’une véritable mauvaise foi intellectuelle. Leur théorie part du postulat qu’il est possible qu’un jour plus personne n’aille voter, et c’est faux, il y aura toujours des connards pour choisir à ta place.
Donc, je te disais, le FN dit tout haut ce que 30 % pensent tout bas. Et toi quand tu prends la parole après le lynchage de ce rom de 16 ans…
Ouais, des fois j’ai l’impression d’être un peu seul pour défendre les roms c’est triste, ah non il y a Plenel et des gens du milieu associatif mais ça reste rare. Plenel de toute façon c’est mon gars, je suis d’accord avec lui avant même qu’il ait parlé, je lui donne mandat sur ma pensée. Je trouve que c’est une cible trop facile, et avant de haïr des gens pour des raisons douteuses, je me demande toujours si j’aimerai être à leur place, je ne comprends pas qu’on puisse ressentir de la haine vis-à-vis de gens qui vivent dans une telle misère. Les humoristes aussi sont relous avec l’humour ethnique, à part certains, notamment le comte de Bouderbala et Éboué qui le font avec intelligence, la plupart du temps c’est quand même lourdingue.
Je reviens à ma question. Quand tu dis que ceux qui ont lynché ce jeune rom, Saint Pierre les attend avec un gant clouté pour leur fister le cul, tu dis tout haut ce que 70 % d’entre nous pensent. Ça te laisse des perspectives en politique.
Nan je suis trop honnête et je pense qu’on me dèteste beaucoup plus qu’on ne m’aime. Mais je m’en fous, Bonjour Tristesse je le fais pour moi, et certaines choses relèvent pour moi du bon sens. Mon travail ce sont les journalistes qui devraient le faire.
Quand un politique ne répond pas à une question et que le journaliste ne la repose pas encore et encore, jusqu’à avoir une réponse, moi, ça me rend fou. Pourtant, tout le monde voit que le mec se défile. Qu’il ne répond pas. Un journaliste qui n’insiste pas, c’est pathétique. Je crois que Kadafhi et Bygmalion sont les deux plus grosses escroqueries de l’Histoire de la démocratie française, le budget de campagne est l’élèment le plus décisif du processus électoral, son montant est au moins aussi important que le choix de la personne à qui il va profiter et c’est pour ça que c’est autant encadré. Je voudrais l’entendre dire de la bouche d’un journaliste. Je voudrais entendre que c’est une fraude majeure à la démocratie.
Dans Bonjour Tristesse, évidemment on retient le propos, le phrasé, mais l’écriture, si on s’arrête dessus, on réalise qu’elle est ultra léchée. Tu la travailles beaucoup ?
C’est écrit à 90 %. Presque pas d’improvisation. Juste quelques expressions parfois. Dans l’un des derniers, je dis « Marine Le Pen se jette dessus comme une chatte en chaleur sur un steak au lait ». Ça ne veut rien dire, mais j’aime bien. C’est typiquement le genre d’expression qui ne peut sortir qu’en impro.
J’écris le mardi soir, j’apprends le mercredi matin Pour tourner et poster le mercredi après midi. J’écris avec la télé. J’ai des pics de concentration et après je pense à autre chose.
Et tes maîtres en la matière ?
Desproges, Coluche, David Chapelle. J’adore Dave Chapelle. Camus aussi bien sûr, la poésie de Rimbaud, Verlaine, Eluard. Je suis aussi un vrai amoureux de Brassens et de Renaud. Surtout Brassens. En fait, je suis bidon, j’aime que des trucs très classiques. J’admire aussi le parcours en indé de gens comme Casey et du reste de son crew : l’Asocial club. Des rappeur comme Taïpan et Booba me font rire. Je sais Booba ça étonne souvent mais son écriture est très créative et je trouve sa démarche artistique assez honnête : il a arrêté de parler de rue quand il a quitté la rue, sa vie est plus superficielle, sa musique le devient donc aussi, c’est cohérent et tant qu’il y a du travail, de l’amusement et de la créativité ça fonctionne. Ecrire » je me lave le pénis à l’eau bénite » il faut oser.
Tu n’aurais pas osé ?
Je n’ai aucune obédience, mais je n’aime pas blesser des gens gratuitement. Si je dois parler de musulmans, de cathos ou de juifs. J’évite de blesser gratuitement les gens même si dans l’humour c’est inévitable, quand je peux j’évite.
Les jeunes ne s’intéressent plus à la politique. Tu y crois ou pas ?
Oui. Les moins de 20 ans, peut-être. Le vote FN, c’est un vote de désintérêt. Si tu t’intéresses à la politique, tu ne votes pas FN. On est tous un peu désabusé. Sarko a fait une politique d’extrême droite. Hollande fait une politique de droite. Bon, au moins à gauche, les mecs qui ont pris des procès, ils ont dégagé. À droite, ils restent.
Pasqua a fait sa carrière.
C’est Avec lui que j’ai su qu’aucun homme politique n’irait en prison : quand il prend un mois ferme, qu’il dit tranquillement « si je tombe, je ne tomberai pas tout seul » et qu’il est relaxé en appel que veux tu…
Tu aimes le foot…
J’adore le foot. J’ai passé 70 % de ma jeunesse à jouer au foot.
… et tu aimes aussi les mots. Que penses tu du « footballeurs bashing » sur leur français pas toujours bon ?
Ça fait un peu pitié, les journalistes sportifs devraient de temps en temps se rappeler que c’est grâce aux sportifs qu’ils mangent. En plus, ils niquent des carrières genre Anelka, ils l’ont pourri dès ses 18 ans alors que ce n’était qu’un gamin timide et pas à l’aise avec le langage. Bref. De toute façon j’interdirai les interviews de footballeurs c’est relou, répétitif et ça ne sert à rien mais sinon le foot c’est quand même pas le pire des opiums du peuple. Si ?
Si tu pouvais clasher un personnage historique. Six minutes pour une personne morte, tu prends qui ?
Comme ça je dirai Napoléon, parce que ça m’agace qu’on le mette toujours sur un piédestal. Il est surcoté. Mais je suis sûr qu’il y a mieux que lui. Tu me prends au dépourvu.
Comment expliques-tu que NRJ12 fasse les meilleures audiences de la TNT, que les Balkany soient toujours réélus, que le FN ait des adhérents ? Comment expliques-tu qu’on retourne vers quelque chose qui nous fait du mal ?
Les gens ne sont pas très cultivés mais les médias tirent vers le bas. Tu habitues un mec à manger de la merde, il va finir par aimer ça. Mets que des Arté à la tv et les gens s’habitueront, bon ils prendront peut être un peu de drogue le temps de la transition mais ils s’habitueront.
Quant aux Balkany, je peux comprendre. Ils ont certainement endetté la ville pour un siècle, mais elle est niquelle aujourd’hui.
On finit avec une phrase de Camus qui me fait penser à ton travail. « Pas d’amour de la vie sans désespoir de vivre ».
Il y a quelque chose de très vrai sur la création artistique je trouve dans cette phrase : il faut aller chercher dans sa désillusion sa force créatrice. Mais moi je ne suis pas désespéré de vivre, je suis heureux, j’essaie, toute ma vie c’est d’essayer de me tordre pour être heureux de ce qu’il m’est offert. J’en ai rien à foutre de réussir dans l’artistique c’est pas ça la vie. Comme après avoir perdu un être cher, tu relativises.
Je serai abouti quand je vivrai en deuil… mais sans la tristesse.