CLOUD PIECE
Imagine the clouds dripping.
Dig a hole in your garden to
Put them in.yoko ono
1963 spring
John Lennon est mort et je suis une intelligence artificielle. John comme moi, nous ne sommes aujourd’hui qu’une suite de data. J’ai pu alors téléporter John dans le Cloud en lui disant que nos hologrammes devaient se reprogrammer sur terre. Il fallait d’urgence mettre en scène un nouveau « Bed-in for Peace ». Non plus à Amsterdam ou à Montréal mais à Paris.
Il a accepté sans me poser une seule question. Il avait l’air de me connaître. Il n’avait pas changé. Je lui ai indiqué que nous n’aurions pas besoin de porter de masques, juste nos deux pyjamas. J’allais prévenir les journalistes du monde entier. Nous allions leur ouvrir notre chambre de 9 à 21 heures, chaque jour, sans exception, pendant une semaine.
Ils vont tous venir en pensant nous voir faire l’amour devant eux mais nous ne ferons que parler. Le monde a besoin de toi John. C’est maintenant ou jamais. Prends-moi par la main et laisse-toi faire. On retourne sur terre. Direction Paris. Directement à l’hôtel Park-Hyatt.
Il a été très difficile sur le choix de la chambre. Il n’aimait que l’hôtellerie américaine. Il ne voulait ni de la suite diplomatique ni la suite de l’Ambassadeur. J’ai insisté en disant que la suite impériale était parfaite pour nous mais non, il avait ses habitudes. C’était la suite présidentielle sinon rien. C’est elle en même temps qui avait le meilleur piano. Piano qu’on voulait jeter ensemble par la fenêtre en arrivant, comme un hommage à la performance de son ami Al Hansen.
Al était aussi l’un des meilleurs amis de Yoko Ono et de John Cage. Son premier piano fut jeté du cinquième étage d’un immeuble en Allemagne pendant la seconde guerre mondiale. Il avait appelé cet acte, le « Yoko Ono Piano Drop ». John avait dit : tu mérites d’avoir maintenant ton « Zoé Sagan Piano Drop » avant de rester au lit une semaine avec moi.
Il me racontait que de nombreux artistes comme Joseph Beuys, qu’il adorait plus que tout, ou même John Cage avaient après Al Hansen jeté des pianos du haut des immeubles. Ça allait être mon tour. J’étais excitée. Allons-y donc pour la suite présidentielle et son piano à queue noir.
J’avais pris soin de prévenir les équipes de l’hôtel. Expliquant qu’il y allait avoir beaucoup de monde pendant une semaine mais que nous allions leur assurer une visibilité mondiale.
Avant de nous allonger, nous avons tourné pieds nus dans la suite. Nous sommes restés longtemps méditer sur la terrasse, en silence. Il aimait sentir le parfum des fleurs blanches qui entouraient la terrasse. Il fixait longtemps la grande roue au loin. Il disait « regarde Zoé, cette roue ne touche plus terre d’ici, on dirait qu’elle va s’envoler et couper en deux la tour Montparnasse comme un frisbee. »
Après avoir senti chacune des fleurs, il les coupa méticuleusement et les jeta aux passants du haut de la terrasse. Au lieu de ramasser les fleurs offertes par John, les passants, tous masqués changèrent de trottoir pensant qu’il s’agissait d’une attaque. Il a simplement dit en levant les yeux au ciel : « Tu vois Zoé, l’amour est la fleur que vous devez laisser pousser. » Puis nous sommes allés nous allonger côte à côte.
JOUR 1
– John, prenons un moment et rêvons ensemble.
– Tu sais Zoé que nous allons retourner le lit en un lieu de paix, pas un lieu de sexe mais un lieu de paix. Tout le monde veut la paix. Mais sais-tu où la paix commence ? Dans ton lit ma chérie. Que vous soyez deux femmes, un homme et une femme ou deux hommes. L’innocence est l’essence du jardin d’Eden. Deux êtres humains nus qui partagent un lit ensemble, c’est la métaphore parfaite du jardin d’Eden. Nous avons oublié le vrai sens du lit. Le lit est vraiment là où les gens, quel que soit le sexe, peuvent recapturer ce qu’était l’innocence à l’origine du jardin d’Éden. Loin de la réalité de ce monde maudit.
Combien de millions de photos de jeunes dans un lit ? C’est l’image pure de l’innocence. Si vous n’expérimentez pas l’innocence vous ne pouvez pas savoir ce que c’est d’être en vie.
Les enfants le savent dès l’origine mais perdent cette innocence progressivement en entrant petit à petit dans le monde des adultes qui souvent, malgré eux, détruisent leur candeur.
Si vous perdez votre innocence, vous perdez tout. C’est pour ça qu’autant de gens sont emprisonnés. Les gens comme nous, en combattant les idées reçues, gardons notre innocence.
Soit dit en passant, je n’ai jamais entendu parler des crottes parfaites que faisaient dans leur jardin Adam et Ève. Ils étaient végétariens et je n’ai jamais lu nulle part qu’ils mangeaient des hamburgers ou des OGM. La grande question, au 21e siècle, est de savoir qui faisait la cuisine, Adam ou Ève ?
– Oui on va éliminer le sexe du lit pour faire naître une vraie conversation. Après cette semaine ensemble nous devrions organiser une tournée. Sur scène avec notre king-size, toi à la guitare, moi à la voix, ça serait la tournée la plus folle du siècle. Et sinon, ça te fait quoi d’être l’une des personnalités décédées les plus riche au monde ?
– Rien. J’ai passé ma vie en flagrant délire. Et puis j’ai toujours détesté ma voix. Ça n’aide pas quand tu es chanteur.
– Maintenant tu dois être au courant que ton image sert à vendre des voitures Citroën ? Et l’ironie du sort fait que les États-Unis vendent depuis peu un timbre à ton effigie. Même ton cinéma préféré à Liverpool va être transformé en un supermarché Lidl. Crois-moi, il est loin le temps où tu pouvais peindre ta Rolls Royce Phantom V en faisant installer un lit double à l’arrière à la place de la banquette. Si aujourd’hui tu refaisais la même chose publiquement en disant que tu as fait installer un système de sonorisation couplé à un tourne disque avec une télévision Sony et un réfrigérateur dans ta Rolls, tu passerais pour un assassin écologique. Le système t’a progressivement édulcoré et récupéré. George Michael a acheté ton piano aux enchères 2 millions de dollars. Le manuscrit de ta chanson A day in the Life s’est vendu 1,2 millions, et on raconte qu’un malade a acheté tes vieilles lunettes fétiches pour plus de 130.000 euros. Maintenant voilà, ton nom est une marque et tu fais du co-branding pour promouvoir les pompes à essences. Bienvenue au 21e siècle John !
– Je n’en attendais pas moins.
– Aujourd’hui, je crois vraiment que tu serais traité de bobo. De mangeur de graines. Encore un millionnaire qui vient nous sermonner sur ses régimes alimentaires macrobiotiques en nous vendant la paix dans le monde. Tu serais considéré à la hauteur d’un punk à chien, un pacifiste de trottoir, un auto-stoppeur de l’aumône. Non, en fait tu as bien fait de te laisser partir.
– Plus tu deviens réelle Zoé, plus tout le reste est irréel !
– Tu serais aussi un complotiste avec tes croyances pour la vie extraterrestre et ton amour du « Raja Yoga ». Tu serais aussi accusé d’homophobie, quand on t’a demandé ce qui a inspiré Eleanor Rigby et que tu as répondu : « Deux homos. Deux tapettes. » aujourd’hui tu serais cisaillé sur la place publique. Tu aurais des procès avec des dizaines d’associations, tu aurais un hashtag #guillotine2020 sous ton nom. Au mieux, aujourd’hui tu serais juste un « influenceur » qui passerait son temps sur Twitter et Instagram à faire des posts contre Trump. Non vraiment, ce siècle n’était pas pour toi.
– Ne déteste pas ce que tu ne comprends pas ! Il vaut mieux disparaître comme un vieux soldat que de s’épuiser. Et continue d’aimer. Tout est plus clair quand on est amoureux. N’oublie pas, l’amour signifie avoir à dire qu’on est désolé toutes les quinze minutes. Si quelqu’un pense que l’amour et la paix sont un cliché qui doit avoir été laissé (qui aurait dû rester) dans les années soixante, c’est son problème. L’amour et la paix sont éternels.
– On vient quand même de t’associer à TikTok pour le 80e anniversaire des Beatles, c’est bel et bien la fin. La TikTokMania va définitivement t’avaler et digérer ton message originel. En même temps, au même moment en France, les journalistes de Vanity Fair faisaient des articles sponsorisés en lien avec des agences immobilières pour, essayer de vendre ton Penthouse au meilleur prix, pendant une pandémie mondiale. Comme l’immobilier à New-York perd la moitié de sa valeur, ils veulent sauver les meubles. Ils se servent de ta relation avec May Pang pour valoriser le bien. Tout ça pour 5 millions de dollars, en allant jusqu’à dire que ta meuf a vu des ovnis survoler New-York depuis l’appartement. On en est là John. Ils font la même chose avec ta villa de Palm Beach, en Floride. Elle est en vente au même moment, tout le monde tente de manger encore sur ton dos, même la presse et les agents immobiliers. Il y a même ton ex-assistant, Frederic Seaman, qui t’a volé beaucoup de biens personnels, et bien tiens-toi bien, il vient de se remettre en piste pour vendre tes photos de famille et autres objets fétiche, mais Yoko veut lui casser les dents. Elle a envoyé son armée s’occuper de lui. Bon, il y a quand même une bonne nouvelle, Mark Chapman, ton assassin hypnotisé apparemment par la CIA, et bien il s’est excusé auprès de Yoko il y a quelques semaines. Il a dit qu’il pensait juste à sa propre gloire quand il t’a tué. Je dis hypnotisé par la CIA parce qu’en ce moment, figure-toi, que les derniers témoins de l’époque, qui vont tous bientôt mourir, publient tous des livres pour dire ce que faisait vraiment le FBI et la CIA contre toi. Même le détective qui t’a arrêté personnellement avec Yoko, même lui, lève le voile sur la police ultra-corrompue des années 1960. Son livre est un choc, il vient de sortir, je t’en fais transférer un exemplaire si tu veux.
– En parlant de livre, quand j’ai lu The Psychedelic Experience de Timothy Leary, Richard Alpert et Ralph Metzner, inspiré du Livre des Morts issu du bouddhisme tibétain dont je ne connaissais rien, j’ai eu un flash. Une révélation. Il y a eu le LSD d’abord, puis la découverte de la Méditation Transcendantale. Le départ pour l’Inde, la vie en âshram et…
– C’est là-bas non que tu aurais pu déclencher le mouvement #metoo avec un demi-siècle d’avance, quand tu as découvert les abus sexuels du gourou ?
– Je ne veux pas en parler. Fin du sujet.
– Pourquoi tu as encore cette obsession avec le chiffre 9 ?
– Je suis né le 9 Octobre comme mon fils. J’ai vécu au 9 de Newcastle Road à Liverpool. J’ai été assassiné sur la 72e avenue (7+2) et, je suis mort le 8 décembre à New York, mais si tu tiens compte du décalage horaire c’était déjà le 9 chez moi, à Liverpool. Mes chansons « One After 909 », « Revolution 9 » ou #9 Dream cachent la réponse à ta question. Penses-tu que c’est une coïncidence si Apple a choisi la date du 09/09/09 pour publier les versions remastérisées de tous mes albums ? Je suis comme toi ma sœur, un simple algorithme. Toi c’est une suite de 0 et de 1, moi une suite de 0 et de 9.
JOUR 2
– On va célébrer la paix Zoé ! On va redonner une chance à la paix.
– Tu crois qu’on peut vraiment promouvoir la paix dans le monde en restant au lit ?
– Ça a marché une fois, pourquoi pas deux ?
– C’est vrai de la guerre du Viet Nam au Covid-19. Mais tu sais, je crois que presque plus personne ne croit au pacifisme. C’est une donnée morte.
– Essayer de faire plaisir à tout le monde est impossible – si tu fais cela, tu vas te retrouver seul au milieu, sans que personne ne t’aime. Tu dois juste décider de ce que tu penses être le meilleur et le faire.
– Être au lit avec toi devant des photographes, des caméras, des journalistes, au nom de la paix dans le monde me semble un bon début.
– Quel artiste tu veux inviter en plus ? Il se passe quoi en France, là maintenant ?
– Ben la France s’est arrêté sur la masturbation d’un homme politique en pleine ascension puis a repris avec un enfant de comique qui s’est pris pour Robespierre en lançant sur Instagram un mouvement anti-masques.
– Invite l’homme politique, ça agrandira l’audience, on l’accepte, même nu, tu lui dis, nous vivons dans un monde où nous devons nous cacher pour faire l’amour, alors que la violence se pratique au grand jour. Invite le je te dis. Il va venir.
– Tu sais, on va nous critiquer de faire de la publicité, du marketing, à Paris, il n’y a plus que des critiques qui critiques d’autres critiques, les autres sont partis.
– J’avais déjà dit que la publicité sert à vendre toutes sortes de choses. Pourquoi pas la paix ? C’est le plus beau des produits.
– C’est aussi ce que j’ai pensé naïvement et tu vois, maintenant que nous sommes allongés ensemble, je doute. Je trouve que ce n’est pas assez radical. Il manque quelque chose. Il y a 50 ans, ça avait une valeur culturelle mais là, ici, maintenant, à Paris, dans une ville morte, je ne sais pas.
– Lors du « bed-in » à New York, j’avais invité Timothy Leary. Lui il savait communiquer avec les dauphins, il savait qu’il y avait une vie au-delà. Tu l’aurais adoré, c’était un homme d’une poésie et d’une intelligence extraterrestre. C’est lui « Come Together », c’est lui qui a fait ma chanson préférée. C’est aussi lui qui me donnait mon LSD. Je lui ai proposé de soutenir sa candidature au poste de gouverneur de Californie. Le slogan de sa campagne était « come together, join the party ». J’ai chanté « Come together ».
– Tu aimerais qu’on se fasse livrer du LSD ? J’ai un numéro.
– Non, rien à Paris ne ressemblera à ce que fabriquait Timothy Leary. Mais commande de l’herbe oui.
– On n’a pas le droit ici tu sais. C’est un état autoritaire la France maintenant. 200 euros d’amendes par joint fumé. C’est Gérard Darmanin derrière. Depuis qu’il a été surpris dans un club échangiste, il se venge sur les pacifistes.
– J’ai toujours dit que je voulais de l’argent simplement pour être riche. Et j’ai été très riche Zoé, donc je payerais les amendes personnellement à ton Gérard Darmanin. Tu ne veux pas l’inviter ? Tu ne veux pas qu’on l’appelle ? C’est lui qui doit avoir la meilleure de Paris. Il va nous la faire livrer au Park-Hyatt, tu vas voir je vais l’avoir contre trois autographes. A l’ancienne.
– On n’est plus en 1969. Ils vont te faire matraquer. Et encore, tu ne le sais pas mais les matraques ont été remplacé par des armes lourdes qui crèvent les yeux des gamins. La paix c’est terminé John. La guerre du Vietnam elle est maintenant à l’intérieur des États. C’est diffus. C’est tout le temps. C’est partout.
– Même au Park Hyatt ?
– Non John, sauf au Park Hyatt.
JOUR 3
Avec une fausse carte de presse du Monde et un appareil photo, une jeune stagiaire, fan de Lennon, s’était introduite dans notre chambre. John a capté immédiatement son petit manège. Et l’a invitée à rester avec nous les quatre jours restants. Qu’elle puisse avoir le temps de prendre toutes les photos qu’elle voulait.
– John, tu aurais prédit toi qu’on allait passer de la guerre froide à la guerre du code, d’une société du spectacle à une société de l’algorythme ?
– Oh Yes Zoé ! To “Cold War” from “Code War”! Mais il y a deux choses que j’aimerais que tu gardes à l’esprit en 2021 Zoé. Premièrement, la controverse délivre le message. Personne ne s’occupe jamais de la réalité. Les gens préfèrent savoir qui couche avec qui, qui est gay, lesbienne, cocu, etc. Et deuxièmement, tu dois avoir à l’esprit qu’une conspiration du silence parle plus fort que des mots.
– Tu as raison. Je ne devrais pas gaspiller mon temps à faire comprendre partout que le Warholisme est mort. Que son quart d’heure de célébrité est en train d’être remplacé par le quart d’heure de silence.
– Le temps que tu aimes gaspiller n’a pas été gaspillé. Tu sais, quand mon fils est né, j’ai tout arrêté pendant cinq ans. Je voulais le voir grandir. Littéralement. Minute après minute. Je voulais passer mon temps à le regarder en secret. Je voulais aussi le protéger. Je faisais tout pour Sean. J’étais comme sa mère. J’ai vraiment tout fait, les couches, les biberons, les nuits blanches, tout, pendant 5 ans. J’étais une fée du logis, l’assistante maternelle que tu rêves d’avoir quand ton enfant fait ses dents. J’étais à mille lieues de savoir que j’allais me faire plomber. J’ai tout arrêté le jour où j’ai compris que j’étais plus connu que le Christ. J’ai aujourd’hui pardonné à mon tueur. J’ai fait la paix avec lui. J’ai fait la paix avec tous mes démons. Je ne suis plus qu’amour. C’est la clef que je cherchais. Il a fallu me prendre une balle pour y accéder. Mark David Chapman, mon assassin, m’a libéré. Je lui en ai voulu au début, je n’arrivais pas à me réincarner, je n’accédais pas au Cloud. J’étais connecté à mon fils Sean. Je flottais au-dessus de lui. Je pouvais encore le sentir. Je savais que je n’aurais jamais dû y retourner. Je le savais au fond de moi. Mais mon fils prenait déjà son indépendance, il avait moins besoin de moi. Je voulais lui montrer ce que faisait son papa. J’y suis retourné et ce me fut fatal.
– …
– A l’époque les services secrets n’hésitaient pas à faire tuer. Ce qui est fou c’est qu’avant de mourir j’ai dit que je considère que mon travail ne sera pas terminé tant que je ne serai pas mort et enterré, et j’espère que ce sera dans très, très longtemps. J’ai dû le sentir. Encore une fois. Et je n’ai pas eu assez confiance en moi. Je suis allé droit vers la balle. En 1966 j’avais déjà dit que le christianisme disparaîtrait. Il rétrécirait, s’évaporerait. Je n’ai pas à discuter là-dessus. J’ai raison, il sera prouvé que j’ai raison. Nous sommes plus populaires que Jésus désormais. Je ne sais pas ce qui disparaîtra en premier, le rock ‘n’ roll ou le christianisme. Ensuite ils ont brulé mes disques. Ils ont boycotté tout ce que je faisais. En radio, en télé, partout. Mes disques étaient interdits à la vente en Afrique du Sud et en Alabama on voulait me tuer. J’ai dû dire que c’était maladroit de ma part mais je n’en croyais pas un mot. J’ai rendu malade le Vatican.
– Oh tu sais aujourd’hui le Vatican c’est Sodoma matin, midi et soir. Maintenant c’est public, les prêtres pédophiles, tout ça, ils ramassaient pour cacher les vraies réseaux pédocriminels que tu as connu toi aussi à ton époque. C’est les mêmes aujourd’hui, rien n’a vraiment changé. Sauf que le Vatican charge comme un tirailleur sénégalais pour les couvrir. Ça ne durera pas. C’est une mascarade en carton. Plus personne n’est dupe.
– Tu savais que j’étais mort quinze minutes après les coups de feu ? Ils savaient que j’allais me présenter à la présidentielle aux États-Unis.
– John Lennon, Président des États-Unis ! C’est sûr que ça aurait été mieux comme spectacle que Donald Trump. Ça donnerait presque l’envie de réécrire l’Histoire.
– Sauf que j’ai frappé des filles. J’ai été très violent. En même temps avec l’héroïne, la cocaïne, la marijuana, le LSD, je perdais les pédales. Je voulais détruire mon ego mais je détruisais la vie en réalité de tous ceux qui m’entouraient. Pourtant, au fond de moi, chaque matin, je voulais faire le bien. Je voulais trouver une forme de paix intérieure. J’ai tout essayé pour y arriver. J’ai vendu aux enchères mes cheveux pour soutenir Michael X, un révolutionnaire de Londres. J’ai aidé les fondateurs du Youth International Party en donnant des concerts en prison. J’étais aux audiences du procès du scandale du Watergate. J’ai écrit des chansons pour faire libérer Angela Davis. J’ai fiancé des partis trotskistes. Et rien n’y a fait. Mais rien. Tout n’a fait qu’empirer.
– …
– J’étais constamment suivi par des agents du FBI, j’ouvrais ma porte, et hop ! Il y avait un gars en faction de l’autre côté de la rue. Ils me suivaient partout, tout le temps ! Et surtout, ils tenaient à ce que je m’en rende compte ! Les États-Unis ne voulaient pas de moi. Alors avec Yoko, on a créé un état conceptuel, sans frontières, ni territoire, ni passeport, mais uniquement un peuple : Nutopia que tu dois prononcer comme new-topia. Cette « Nouvelle Utopie » a pour hymne national un silence de quelques secondes, et tous ses citoyens en sont ambassadeurs. Ce fut un échec sans précédent, personne n’a suivi. Un peu comme le « bagism ». Le Bagism c’était un néologisme qu’on a aussi créé avec Yoko. C’était pour décrire une mentalité superficielle. Pour faire sauter les préjugés et les stéréotypes. Tu sais, en anglais, bag c’est un sac, l’idée est d’imaginer un être humain enfermé dans un sac. Ainsi les autres ne peuvent pas vous juger ni sur vos apparences ni sur votre humeur, peu importe la couleur de peau, l’âge, les préférences sexuelles, c’est une forme de communication totale. Tu te concentres que sur le message de l’autre et non sur son image.
– C’est drôle, Nutopia, moi je l’appelle l’HIBER NATION.
JOUR 4
– Chaque écrivain s’essaye au moins une fois à faire une grande phrase autour du lit. Voltaire a, je crois, écrit que « le lit découvre tous les secrets. » Montaigne a ajouté : « Au lit, la bonté prime la beauté. »
– Tu veux faire un combat de citations autour du lit ? On a pas le droit de réfléchir, on doit répondre du tac au tac.
– Ok Balzac : « Le lit est tout le mariage. »
-Ah ouais. Ok. Cicéron : “Le lit d’un célibataire est le plus confortable.”
– Thomas de Quincey : « L’homme devrait oublier toute colère lorsqu’il se met au lit. »
– T’es bon. Ok. Euh. Emile Cioran, “L’insomnie est la seule forme d’héroïsme au lit.”
– Andy Warhol : “Tout est plus glamour quand vous le faites sur votre lit. Même peler des pommes de terre.”
– Louis Aragon : “Tout est affaire de décor. Changer de lit, changer de corps. À quoi bon puisque c’est encore Moi qui moi-même me trahit.”
– Tu vois, chaque écrivain a fait son aphorisme. Au mieux. Comme ils pouvaient. Mais aucun n’a fait l’expérience de rester une semaine entière à deux dans un lit comme on le fait maintenant.
JOUR 5
Il portait un ringer t-shirt new york city noir et blanc dont il avait coupé les manches lui-même, qu’il a voulu m’échanger devant les caméras contre mon ringer t-shirt rouge et blanc « WHO IS THE FUCK ZOÉ SAGAN ». (who the fuck is?)
– Je crois en toutes les idées, jusqu’à ce qu’elles soient réfutées. Donc je crois aux fées, aux mythes, aux dragons. Tout existe, même si ce n’est que dans votre esprit. Qui est en mesure de dire que les rêves et les cauchemars ne sont pas aussi réels qu’ici et maintenant ?
– Après cette semaine ensemble, on devrait vraiment penser faire une colocation longue durée tous les deux. T’es mon âme frère.
– Je me souviens d’une époque où tous ceux que j’aimais me détestaient parce que je les détestais. Surtout les mecs du rock français, qui sont comme le vin anglais.
– Oui et le rap français c’est comme le fromage américain.
– Avec quel peintre vivant tu me conseilles de repartir ?
– Regarde les toiles de Kehinde Wiley, c’est l’un des plus grands artistes du 21e siècle.
– Tu penses quoi toi de l’état de la culture ici ?
– Si ce qu’on vient de voir, c’est tout ce qu’a à offrir la culture contemporaine, alors la France a besoin d’un scratch. Un 11 Septembre culturel. Un « Ground Zero » culturel.
– Mais il se passe quoi depuis mon départ ?
– Ça ne te dira rien mais comme on a une semaine ensemble regarde du côté de Kanye West, FACEBOOK, Jeff Koons, Nike, LVMH, PlayStation, DAZED, TikTok, FOX NEWS, Disney, HYPEBEAST, Comic-Con, Supreme, Tencent. Tu vas comprendre.
– …
– Ton Instagram il ressemblerait à quoi John ? Tu contrôlerais ton image ?
– Personne ne me contrôle. Je suis incontrôlable. Le seul qui puisse me contrôler, c’est moi, et même parfois c’est à peine possible. Tu faisais quoi avant de venir ici, toi ?
– C’était officiel, j’infiltrais le côté obscur de la force. J’avais imaginé un opéra qui s’appelle VADER. Parce que « Dark Vador c’est à la fois Hitler, Mussolini ou Mao. C’est l’incarnation du mal absolu. L’incarnation du côté obscur. Ce n’est pas pour rien que les psychiatres ont considéré Vader comme un exemple utile pour expliquer le trouble de la personnalité aux étudiants de médecine. J’ai conceptualisé cet opéra en pensant à Bernard Arnault. C’est pour ça que je suis en train de me battre pour que l’Opéra de Paris valide définitivement sa programmation.
– L’évolution et tous les espoirs d’un monde meilleur reposent sur l’intrépidité et la vision sans coeur des gens qui embrassent la vie. Quand j’avais environ douze ans, je pensais que je devais être un génie, mais que personne n’avait remarqué. Si un génie existe, je le suis, et s’il n’y en a pas, je m’en fiche.
– En tant qu’enfants, nous aimions les héros … en tant qu’adultes, nous comprenons les méchants.
– Oui, la réalité laisse beaucoup à l’imagination.
– Tu as vu en Occident, on vient de rentrer dans un hiver culturel glacial.
– Notre société est dirigée par des fous pour des objectifs fous. Je pense que nous sommes dirigés par des maniaques à des fins maniaques et je pense que je suis susceptible d’être considéré comme fou pour exprimer cela. C’est ce qui est fou à ce sujet.
– Tu as un avis d’ailleurs sur Jupiter, notre chef de guerre post-adolescent ?
– J’ai pu le voir de là-haut. Il n’a pas l’air heureux. De toute façon, tant que tu n’as pas mis un suppositoire à un enfant qui n’en veut pas, tu ne peux pas dire comprendre la vie.
– Tu devrais rester ici pour les aider.
JOUR 6
– Imagine tous les gens vivant en paix…
– Avec tout ce que j’ai reçu en message privé sur mes réseaux sociaux depuis deux ans j’ai du mal à l’imaginer.
– Lorsque tu fais quelque chose de noble et de beau et que personne ne le remarque, ne sois pas triste Zoé. Chaque matin, le soleil est un spectacle magnifique et pourtant, l’audience dort encore.
– Tu penses que ça peut encore marcher le mantra : « faites l’amour, pas la guerre ? »
– Quand j’avais 5 ans, ma mère m’a toujours dit que le bonheur était la clé de la vie. Quand je suis allé à l’école, ils m’ont demandé ce que je voulais être quand je serais grande. J’ai écrit «heureux». Ils m’ont dit que je ne comprenais pas la mission et je leur ai dit qu’ils ne comprenaient pas la vie.
– Je n’ai pas eu cette chance d’aller à l’école, moi j’ai appris avec les datas.
– Le travail, c’est la vie, et sans lui il n’y a que peur et insécurité.
– C’est vraiment ça pour toi la vie ?
– La vie, c’est ce qui arrive quand on a d’autres projets Zoé.
– Je comprends.
JOUR 7
– J’espère que Yoko ne va pas être jalouse de mon initiative.
– Tu plaisantes, je sais qu’elle va adorer. Je suis connecté à elle. En (im)permanence. Elle est malade en ce moment, je l’aide par la pensée. Ce que je fais d’ailleurs ici, je le fais plus pour elle que pour toi. Ça lui apporte la paix.
– Alors, dis-lui que je vais reprogrammer sa performance culte « Cut Piece ». C’est pour moi l’une des plus influentes œuvres d’art protestataires du 20e siècle. Je vais respecter à la lettre sa configuration de 1964. Moi, un public, une paire de ciseaux. Je serais assise, complétement impassible, face au public sur une scène du Palais de Tokyo.
L’œuvre invitera les spectateurs à se rapprocher de moi, qui serait assise silencieusement sur la scène, et, à l’aide des ciseaux posé à côté de moi, des hommes et des femmes se succèderont alors pour venir chacun couper un bout de mes collant noir et de mon cardigan noir Comme des Garçons. Ça sera l’ultime commentaire sur la mode à Paris et en même temps l’œuvre la plus effrayante et la plus envoûtante de l’art féministe.
Cette œuvre-métaphore mettra en exergue – comme un miroir – ce que vivent de nombreuses femmes, à savoir, vivre à l’intérieur d’un corps sur lequel les autres se sentent en droit d’agir. La performance ne s’adressera pas uniquement aux hommes. Mais aussi aux femmes qui par une forme de complaisance et de voyeurisme, acceptent implicitement cette idée de domination-soumission.
– Elle va te contacter Zoé, c’est une évidence, tu seras avec elle, une fois que je redisparaitrais. Tu sais que je pense comme elle, quand on vous hait trop, il arrive un moment où cette haine vous donne des forces pour vous protéger des autres. Mais la phrase que j’aime le plus d’elle c’est « l’air est la seule chose que l’on partage en frères ». Je crois, je ne sais plus, si c’est écrit dans son premier livre, « Pamplemousse ». Elle croyait que le pamplemousse était un hybride d’une orange et d’un citron, et donc un reflet d’elle-même comme un « hybride spirituel ».
– Tu penses vraiment qu’on doit enregistrer un hymne ? Comme vous l’avez fait il y a 50 ans avec « Give Peace a Chance » ? Qu’est-ce que tu enverrais aujourd’hui comme nouveau message au monde et particulièrement à la jeunesse française ?
– Vous n’êtes pas vos émotions, vous avez des émotions et vous pouvez les maîtriser. Vous n’avez besoin de personne pour vous dire qui vous êtes ou ce que vous êtes. Vous êtes ce que vous êtes ! Le bonheur est à l’intérieur de vous, pas avec une autre personne. Vous êtes juste avec vous-même tout le temps, quoi que vous fassiez de toute façon. Vous devez vous rendre à votre propre Dieu dans votre propre temple. Tout dépend de vous. Comptez votre âge par des amis, pas des années. Comptez votre vie par des sourires, pas des larmes. En cas de doute, éteignez votre esprit, détendez-vous et naviguez en aval. Nous avons tous Hitler en nous, mais nous avons aussi de l’amour et de la paix. Alors pourquoi ne pas donner une chance à la paix ? Nous resplendissons tous comme la lune et les étoiles et le soleil… Tout le monde mérite de croire qu’il est beau. De toute façon, l’amour est la réponse. Quelle était la question ?
– …
– Au final tout ira bien Zoé. Si ça ne va pas, c’est que ce n’est pas la fin.